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Les vins de Bordeaux en mal d'amour ? (1/5)

Écosystème
lundi 15 février 2021

Crédit : Guillaume Bonnaud

Depuis une quinzaine d’années, les vins de Bordeaux ne sont guère épargnés par les critiques. D’où vient le Bordeaux bashing ? Quel a été son impact ? Que révèle-t-il de cette filière professionnelle bordelaise et comment fait-elle front ? Premier volet de notre série d'articles consacrée aux grands enjeux des vins de Bordeaux, à suivre toute la semaine sur Placéco.

Mi-janvier dernier, Bernard Magrez, le célèbre propriétaire notamment de quatre crus classés dans le Bordelais, pointait sans ménagement dans la presse le passéisme, le manque de dynamisme et de renouvellement des vins de Bordeaux. Cette dernière attaque vient ainsi s’ajouter à une longue liste de critiques virulentes contre les vins de Bordeaux depuis le milieu des années 2000. Tout d’abord, au niveau des papilles. Alors que les consommateurs sont devenus friands de vins jeunes, plus fruités et souples, les Bordeaux se sont vu reprocher leurs goûts trop boisés, trop tanniques et techniques, voire pour certains trop uniformes. De même, les usages n’étant plus guère aux vins de garde, les Bordeaux ont pu décevoir bien des palais trop impatients. La flambée des prix des Grands Crus, comme en 2010 ou 2018, a également détourné nombres d’amateurs, cavistes et sommeliers. Trop snob, trop arrogant, vivant trop sur sa réputation et ses acquis…Le premier vignoble de France, en surfaces et en volumes de production, a essuyé maintes salves. Sans compter l’émission Cash Investigation d’Elise Lucet, diffusée en 2016, dénonçant l’usage des pesticides dans la viticulture et plus spécialement le Sud-Ouest qui a ébranlé toute la filière bordelaise.

Un phénomène franco-français

Pour beaucoup d’acteurs du secteur, ce dénigrement reste cependant essentiellement franco-français. Ils témoignent que, lors de rencontres ou de relations à l’international, cette notion de Bordeaux bashing n’est pas présente, « leurs interlocuteurs gardent des étoiles dans les yeux au seul nom de Bordeaux ». Bordeaux garderait toute son aura, tout comme les Champagne. Selon les négociants travaillant à l’export, la flambée des Bourgogne blancs à l’étranger ne se serait pas faite au détriment des Bordeaux.

Le fait de « dénigrer « ou de « bouder » les vins de Bordeaux serait ainsi plus le fait de consommateurs parisiens ou d’urbains, plutôt aisés, curieux de découvrir une diversité de goûts et de terroirs ou de restaurateurs, influenceurs, cavistes et sommeliers ne se retrouvant plus dans le rapport qualité prix des Grands Crus. Pour expliquer le phénomène, certains pointent une tendance du Bordelais à avoir privilégié la quantité au détriment de la qualité. Dans ce contexte, la montée en puissance de nombreux autres territoires viticoles français lors de ces deux dernières décennies a rebattu les cartes.

Un net recul des ventes depuis 2010

Dénié dans un premier temps, qualifié « d’injuste » ou de « normal puisqu’on est leader et connu dans le monde entier, donc cible de critiques », le Bordeaux bashing a au fil des années fini par être entendu. De fait, ce n’est pas seulement l’image qui est écornée, mais également les ventes. Si on remonte à près de dix ans, sur la campagne 2010-2011, le Bordelais avait écoulé sur le marché français 196 millions de bouteilles pour un chiffre d’affaires de 903 M€. En 2018-2019, ce marché ne représente plus que 130 millions de bouteilles, soit un recul de 33 % des volumes et un rapport de 766 M€, soit une perte de valeur de 15 %. A l'export, la tendance est moindre, avec une baisse en volume mais une augmentation en valeur, qui permet de faire passer le chiffre d'affaires de 1,75 à 2 milliards d'euros. 

Un phénomène plus vaste de réduction de la consommation de vin

D’après des études menées par le CIVB, le Comité Interprofessionnel des Vins de Bordeaux, ce recul des ventes ne serait dû qu’à la marge par l’influence du Bordeaux bashing. Les causes en seraient surtout la baisse globale de la consommation d’alcool chez les Français, qui serait passée de 150l par an par habitant après-guerre, à 100l dans les années 70 pour atteindre désormais 42l. Avec notamment comme variante forte, ces dernières années, une tendance à se tourner vers la bière, les alcools forts et les vins blancs au détriment des rouges. Le vignoble bordelais, avec ses 89 % de surfaces en cépages rouges, se retrouvent de fait plus spécifiquement à la peine. S’y ajoute, au niveau des habitudes d’achat, une moindre fréquentation des grandes et moyennes surfaces et de leurs foires aux vins, marché principal des Bordeaux en France. Pour le CIVB, la crise sanitaire due au COVID-19 a encore contribué à amplifier ces «mutations dans les habitudes des Français ».

La filière tente de faire front

Sur le terrain, la prise de conscience a fait du chemin et les pratiques ont pourtant bien évolué. Nombre de châteaux et toute une nouvelle génération de vignerons ont modifié leurs méthodes de vinifications, élargi leurs gammes, renoncé au boisé, diversifient les cuvées, cassent les codes du packaging et de l’étiquetage, adoptent le e-commerce. Ce sont aussi désormais 65% des châteaux bordelais qui sont engagés et certifiés dans des démarches environnementales contre seulement 35 % en 2014. Si les ventes de Bordeaux bio ne représentaient en 2019 que 5% des ventes totales, puis 5,6% en 2020, la machine est en route. Pour les acteurs de terrain, les lignes bougent bel et bien mais pour beaucoup, la bataille de l’image, pour reconquérir des consommateurs, elle, ne fait que commencer.

La suite de notre dossier : Chiffres 2020 : les vins de Bordeaux résistent dans un contexte tendu (2/5)

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