Transformation des entreprises : « Il est plus difficile de changer si notre environnement n’est pas dans cette dynamique »
Anne-Eugénie Gaspar, spécialiste de la RSE et de la RSO. Crédits : Placéco
Dans le monde de l’entreprise, comme dans la vie personnelle, les décisions sont rythmées selon les biais cognitifs de chacun… Encore faut-il en être conscient. Comment identifier les freins au changement, et trouver des solutions pour les contourner ? Éléments de réponse avec Anne-Eugénie Gaspar, spécialiste de la RSE.
Anne-Eugénie Gaspar travaille sur les démarches RSE dans les entreprises depuis plus de 20 ans. Après avoir quitté l’Afnor (association française de normalisation) il y a deux ans, elle se questionne désormais sur « les mécanismes qui font que les gens sont bien, et qu’un dirigeant s’engage, ou non, dans une démarche RSE pour son entreprise ».
Vous vous êtes récemment formée aux biais cognitifs, expliquant les freins au changement. De quoi parle-t-on ?
Il s’agit notamment des recherches de Daniel Kahneman [ndlr, prix Nobel d’économie et expert en psychologie cognitive], qui a défini la pensée humaine selon deux systèmes. Le premier est le système « automatique », celui qui permet de prendre 99% des décisions de la journée. Il naît de notre éducation, de nos expériences, de la culture et des valeurs dans lesquelles on a grandi. Ce système de prise de décision est rapide, beaucoup basé sur l’émotionnel. Le système 2, quant à lui, va se baser sur l’analyse, l’objectivité, la rationalité, avec une vision de long terme. J’ai rencontré Charlotte Rolland, docteur en neurosciences à Lyon, positionnée sur ces biais cognitifs. Elle travaille sur un troisième système, avec un questionnement - comment sortir du système émotionnel pour ne pas être embarqué par des prises de décision qui ne sont pas forcément les bonnes à un instant T. Comment faire un pas de côté, pour émettre des éléments plus analytiques et objectifs.
Quels sont ces freins au changement ?
D’abord il y a la balance décisionnelle, le ratio bénéfices/risques. Ensuite, il y a la norme sociale. Ce sera plus difficile de changer, si l’environnement dans lequel on évolue n’est pas lui-même dans une dynamique de changement. On peut se dire qu’il faut y aller, mais la référence actuelle n’est pas la même, donc même si on veut évoluer, on n’ira pas car cela demandera plus d’énergie pour aller dans ce changement, pour entraîner les personnes. C’est la question du collectif. Ensuite, le troisième frein peut potentiellement être celui des expériences négatives que l’on a eues, et qui sont un frein à repartir dans une transformation.
Embarquer plus facilement ses collaborateurs
Encore faut-il être conscient que l’on a des biais pour pouvoir les identifier…
Absolument, il faut avant tout comprendre que nous avons des biais, pouvoir les identifier - sur la RSE, la QVCT [ndlr, qualité de vie et conditions de travail] en ce qui me concerne -, pour ensuite trouver des solutions à mettre en place pour les contourner. C’est la méconnaissance de notre propre fonctionnement et de nos mécanismes automatiques qui font que l’on répète tout le temps le même schéma.
Comment identifier ces biais, en entreprise par exemple, et les contourner ?
Il existe une fresque des étapes humaines du changement [ndlr, déclinaison de la fresque pour le climat] qui est basée sur des modèles scientifiques. Elle permet, sur une demi-journée pour le premier niveau, de comprendre les différentes étapes d’un processus de changement. De pouvoir identifier les biais, les processus à l'œuvre, qui font que l’on ne passe pas à l’étape suivante. Prenons un exemple concret. Une entreprise fait son bilan carbone, et définit ensuite un plan d’actions à mettre en place. Encore faut-il aller au bout… Et s’il y a trop de contraintes - tout le monde n’a pas compris, n’est pas d’accord car chacun a ses propres intérêts -, c’est un facteur fort de non mise en œuvre. Donc il faut s’interroger sur les bénéfices individuels et collectifs qui font que l’on va s’engager dans l’action ou non, que l’on va la questionner… Le sujet du participatif est primordial dans l’entreprise, dans le collectif.