Jacques Pédehontaa : « Le Béarn a de très nombreux marqueurs pour développer sa notoriété » - Premium

Le Béarn souffre aujourd’hui d’un déficit clair de notoriété par rapport au Pays basque. D’après vous, d’où vient-il ? Dans l’après-guerre, les années 50-60 ont fait que le Béarn a été particulièrement gâté sur trois aspects économiques. Le premier, c’est la découverte du bassin de Lacq en 1956. Le deuxième, c’est la culture du maïs hybride, introduit par les Américains et la Plan Marshall. Le troisième, c’est l’économie touristique, qui avait gâté le Béarn dès la fin du XIXe siècle et avait fait la bonne fortune de Salies-de-Béarn, Eaux-Chaudes, Eaux-Bonnes, Laruns… Le problème de ces trois éléments qui ont à la fois l’identité et l'économie du Béarn, c’est que ce n’est pas nous qui les avons découverts, même si les Béarnais ont évidemment participé à leur développement, leur essor, leur dynamique… Le Béarn a longtemps eu une forme de syndrome de l’enfant gâté, à qui tout est donné sans effort. Je dirais qu’aujourd’hui, on paie d’une certaine manière cette abondance au moment de nous remettre en cause. Ce n’est pas facile : la nouveauté bouscule, changer ses habitudes bouscule, accueillir les autres bouscule aussi. Ces trois piliers sont en difficulté aujourd’hui ? Le bassin de Lacq était sur un certain déclin, mais il est aujourd’hui en train de repartir de l’avant avec 3.000 nouveaux emplois dans les dix ans. Cette remise en cause, cette prise en main de son destin ont eu lieu. Par contre, le monde agricole est terriblement bousculé, son modèle est à bout de souffle et on ne sait comment arriver à le faire rebondir. Pour ce qui est de l’économie touristique, on a tellement bien vécu au siècle dernier que, aujourd’hui, dans un monde concurrentiel entre les destinations, c’est devenu très compliqué. Le thermalisme aussi est obligé de se réinventer. La cure de bon-papa où l’on venait passer trois semaines aux thermes, c’est terminé. Il faut ajouter du territoire, de la gastronomie, du packaging… On est aujourd’hui dans cette phase intermédiaire, ce réveil un peu douloureux avec une remise en cause à tous les étages qui nous percute et nous bouscule ; alors que le Pays basque, gâté par l’océan qui reste un atout touristique incroyable, forgé par une histoire différente, sorti il y a peu de temps de 50 ans de luttes armées, a reconquis sa clientèle sur la base de leur identité, de ses valeurs et ses produits… Qu’attendons-nous pour faire de même ?« Nous avons été, à un moment donné, incapables de faire valoir notre identité »Pourquoi si peu de produits béarnais sont-ils reconnus en tant que tels ? On pense au linge, au béret, au jambon, trois produits estampillés « Pays basque » alors qu’ils sont d’origine béarnaise. Le linge est un bon exemple : c’est quand même un comble que les deux derniers tisserands d’Oloron, Moutet et Lartigue, portent une IGP appelée « Linge basque ». Que s’est-il passé ? J’ai posé la question à l’INPI. Pour eux, nous n’avons pas assez d’éléments de notoriété qui peuvent mettre le Béarn en avant pour permettre une revendication AOP « Linge Béarnais ». On ne rentre pas dans leurs critères parce qu’ils estiment que nous ne cochons pas assez de cases, de marqueurs de notoriété. C’est la même chose pour le béret : on part sur une identité géographique du béret basque, parce que nous avons été, à un moment donné, incapables de faire valoir notre identité. Pourtant, la capitale du béret c’est Oloron, pas Saint-Jean de Luz. Et encore aujourd’hui, on court après. Je ne suis pas pour autant partisan de baisser les bras, ou alors on baptise tout notre département « Pays basque ». Il faut sortir d’un certain défaitisme.D’un point de vue économique, quelle est l’utilité de développer cette notoriété du Béarn ? Cela a-t-il un avantage au-delà du folklore et du tourisme ? Le travail que je fais, avec la Principauté de Laàs, la confrérie des Béarnais du Tour de France… me vaut souvent l’étiquette de quelqu’un qui serait dans la nostalgie et le folklore. Mais à un moment donné, il faut des choses qui se voient, qui sont visibles dans l’espace public. Des marqueurs identitaires, qui servent à cultiver un sentiment d’appartenance qui avait disparu. Au Pays basque, en Bretagne, en Corse, ce sentiment est terriblement important. Et il est important, parce que la résultante de ce travail, c’est du chiffre d’affaires. Une étude de la CCI du Pays basque a montré qu’à produit égal, un packaging basque, avec le drapeau ou la croix basque, fait une différence de 15 à 20% en matière de chiffre d’affaires ! Je pense que ça vaut le coup de se battre. Mais on revient de tellement loin que ça ne se fera pas en un claquement de doigts.« Je rêve qu'un jour l’AOP du béret soit béarnaise »Sur quels marqueurs peut-on travailler pour créer cette notoriété ? Le Béarn a de très nombreux marqueurs. Certains, comme le jambon ou la marque Ossau-Iraty, ont été complètement accaparés par le Pays basque, c’est terminé, la messe est dite. Mais nous avons beaucoup d’autres choses. Henri IV, Bernadotte, Gaston Fébus… Le deuxième épisode des films Les 3 Mousquetaires vient de sortir : comment avons-nous pu oublier et laisser oublier que Athos, Porthos et Aramis sont des Béarnais ? Notre drapeau, avec ses deux vaches : les vaches de race béarnaise, avec leurs cornes en forme de lyre, c’est aujourd’hui une association de 150 éleveurs, un cheptel de 700 têtes… bien sûr, ça n’est pas cela qui va changer l’économie du département, mais c’est une niche qui peut intéresser certains éleveurs. Il y a le saumon des gaves. Je rêve aussi que l’on soit un jour suffisamment forts pour que l’AOP du béret soit béarnaise. Le 6 décembre dernier, la transhumance a été classée au patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO. Or, les trois vallées béarnaises sont celles qui ont la plus forte concentration de bergers transhumants. 380, parmi eux 170 femmes. L’Unesco consacre mondialement ce phénomène, et nous on passerait à côté ? C’est insensé !Vous travaillez également sur le modèle des Confréries… Chaque année, au Conseil Général, nous invitons les dix confréries du Béarn, pour procéder à des intronisations avec remise de diplôme, béret, cape et bouteille de Jurançon. Les mêmes qui nous moquent comme des arriérés folkloriques vont ensuite accueillir religieusement à Pâques le défilé des confréries à Bayonne… Cette semaine, a lieu à Paris le salon viticole. La marque de fabrique des stands dignes de ce nom, ceux des vins de Bourgogne par exemple, ce sont les confréries. Les 15 à 20% de supplément de chiffre d’affaires dont auraient bien besoin nos commerçants, nos agriculteurs, ils sont là, dans ces éléments qu’il faut mettre en avant. Il ne tient qu’à nous de faire.

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