Chaussures : Le Soulor 1925, les montagnes béarnaises en étendard - Premium
L'atelier Le Soulor 1925 propose des chaussures de montagne « Made in Béarn » | Photo : Le Soulor 1925
« Les bergers, les montagnes, c'est du soft power » assure Philippe Carrouché. Dirigeant du bottier béarnais Le Soulor 1925, il a repris en 2016 avec un associé un atelier de chaussures au bord de la disparition pour en faire une marque en pleine expansion. La recette : vendre le Béarn.
Quand il accueille les clients dans sa boutique à Nay, Philippe Carrouché porte toujours un béret. Et si ce n’est lui, ce sont ses employés. C'est un principe : « Il faut toujours coller quelqu’un avec un béret derrière le comptoir ». C’est que l’entreprise Le Soulor 1925 est béarnaise et tient à le faire savoir.
À deux semaines de l'interdiction bancaire
À son origine, il y a un petit atelier de chaussures familial niché dans une cour un peu décatie de Pontacq. Datant de 1925, il est tenu par Aldo, le dernier descendant de la famille fondatrice. Quand celui-ci part à la retraite en 2016, l’atelier semble voué à disparaître… et avec lui, un pan de l’histoire et de l’artisanat local. Sauf qu’un ancien client, Stéphane Bajenoff, prend le relais. Rapidement rejoint par Philippe Carrouché, les deux associés décident de sauver l’atelier.
Quand ils la reprennent, raconte Philippe Carrouché, l’entreprise est à deux semaines d’être interdite bancaire. Elle n’a pas de marque, pas de logo, pas de site internet, pas vraiment de gamme de produits non plus, et sa clientèle se réduit aux habitués qui viennent racheter une paire tous les cinq ou dix ans. Rarement plus souvent : les chaussures d’Aldo, tout le monde s’accorde à le dire, c’est du solide. Les prix vont être revus à la hausse, pour s’aligner sur ce que permet la qualité du produit. La gamme est élargie, enrichie et modernisée. Et une marque est créée : Le Soulor 1925, d’après l’année de fondation. Et pour vendre cette marque, il va falloir raconter une histoire.
Vendre les Pyrénées
« Chaussez nos montagnes », proclame le slogan du Soulor. Quand Philippe Carrouché fait visiter sa boutique et admirer ses chaussures de marche, un terme revient tout le temps : les chaussures du Soulor, ce sont les chaussures des bergers pyrénéens. Et l’entreprise fait de gros efforts pour que cela soit le cas : « On livre les écoles de bergers, on participe à la Passem, à Hestiv’Hoc, détaille Philippe Carrouché. On vend aux bergers pour pouvoir vendre aux autres. Ça compense le fait qu’on n’a pas un rond pour une agence de com’ », rigole-t-il. L’expression familière, le verbe haut, le bon mot venant facilement, font aussi partie de la stratégie. Philippe Carrouché est ce que l’on appelle dans les médias « un bon client ». Qu’une équipe de télévision nationale vienne tourner en Béarn, et elle passe toujours chez lui. C’est autant de publicité gratuite et de visibilité pour l’histoire du Soulor.
D’ailleurs, il n’y a pas qu’aux clients que le Soulor vend son histoire et sa culture. Il la vend aussi pour attirer des employés. Depuis son rachat, l’entreprise est passée d’un à seize salariés. Or, « avec leurs compétences, ils pourraient aller travailler chez Chanel et gagner beaucoup plus qu’avec nous », assure Philippe, montrant les artisans au travail dans leur atelier, affairés derrière d’énormes machines en fonte. Pour attirer employés et ouvriers qualifiés, ce n’est pas le salaire proposé qui sert d’argument massue : c’est le cadre de vie et le fait de participer à une histoire, à une chaîne de transmission. Le dernier employé de l’atelier d’Aldo, Robert, est toujours là. À 63 ans, « on ne le laisse pas partir à la retraite » lance son patron sur le ton de la plaisanterie. Robert travaille désormais dix heures par semaine pour former les apprentis du Soulor.
Philippe Carrouché distingue trois catégories de clients pour ses chaussures. Il y a d’abord « les historiques » : bergers, vétérinaires, artisans… ceux qui ont réellement besoin de chaussures solides et qui constituaient la petite clientèle de l’atelier original. Le coup de génie, c’est d’avoir ajouté à ces clients deux autres catégories, qu’attire l’idée d’être associée à la première. Ce sont d’une part « les CSP+ », les habitants des grandes villes et la clientèle étrangère. D’autre part, « les militants », des consommateurs engagés qui tiennent à acheter local et sont prêts à dépenser plus cher pour un produit dont ils connaissent l’origine des matériaux. « Avec nous, ils sont certains que leurs chaussures ne sont pas faites en Chine par des enfants », conclut Philippe.
Pour qu’ils puissent s’en assurer, le Soulor joue la transparence… très littéralement. Dans le nouvel atelier, installé depuis 2021 dans l’ancienne caserne des pompiers de Nay - un investissement d’environ 500.000 euros -, la boutique et la production partagent l’espace, séparé par un simple cordon. Les clients viennent voir, autant qu’ils viennent choisir.
« Créer une activité pérenne en Béarn »
En 2020, le label Entreprise du Patrimoine Vivant est venu récompenser les efforts du Soulor 1925. « C’est un label que les clients identifient très bien, assure Philippe Carrouché. Il vient crédibiliser notre récit. Les bergers, les montagnes, le label EPV, c’est du soft power, raisonne-t-il. C’est vendre un territoire, son image, l’histoire qu’il raconte. Les Basques savent très bien le faire. Il faut que l’on apprenne à faire pareil en Béarn aussi ».
Et le concept fonctionne. A la reprise, l’entreprise produisait 200 paires de chaussures par an et faisait 45.000 euros de chiffre d’affaires. Aujourd’hui, 3.000 paires par an sortent du nouvel atelier, et dégagent 900.000 euros de chiffre d’affaires. Le Soulor a ouvert plusieurs boutiques, à Pau d’abord, puis à Paris début 2022. Et Philippé Carrouché s’apprête à partir en mission de prospection au Japon, puis à New York. Aujourd’hui, l’entreprise est « tout juste à l’équilibre ». « On ne gagne pas d’argent, mais tout n’est pas fait pour gagner de l’argent, philosophe Philippe Carrouché. Notre objectif, c’est de créer une activité pérenne en Béarn, d’assurer la transmission. Mais vous savez, ce que l’on fait ici, il y a quelques décennies, cela n’aurait rien eu d’extraordinaire, c’était même très naturel. Aujourd’hui, il y a quatre entreprises du patrimoine vivant à Nay. Comme quoi, quand on parle de désindustrialisation, il ne faut pas désespérer ».
Le Soulor 1925
Fondation en 1925, rachat en 2016
Effectif : 16 employés
Chiffre d'affaires : 900.000 euros
