« La notion environnementale va modifier toutes les activités de nos entreprises » : revivez B to Biarnes #3 avec Mehdi Guellil - Premium

« Objectif 100 millions », qu’est-ce que c’est, et où en est-on ? C’est un défi que l’on a lancé il y a quelques mois. L’idée est de proposer un outil très simple et lisible pour décarboner, aller chercher partout des tonnes de CO2 et les additionner dans un compteur pour arriver à ces 100 millions de tonnes. Nous voulons embarquer dans ce défi toutes les entreprises, les entités qui seront amenées à décarboner, proposer une logique de communauté. On sera chacun amené à décarboner notre activité, c’est notre objectif commun. Et tous ces efforts seront rassemblés dans un compteur collectif, que nous voulons démarrer pour la nouvelle année. Il faut décarboner, tout le monde en est aujourd’hui convaincu. Mais c’est un sujet complexe, lié à l’énergie. C’est un métier compliqué, d’expert. On a voulu prendre la chose complètement à l’envers et renvoyer la balle aux entreprises pour qu’elles intègrent le CO2 dans leurs calculs, et arriver, demain, à travailler, à réfléchir, dans un contexte bas carbone.D’où vient la décision de lancer ce défi ? Cela fait une vingtaine d’années que je travaille dans le monde de l’énergie, une quinzaine d’années que je travaille sur la décarbonation. Si aujourd’hui, je cherche à faire une forme de bilan, si je me demande : « Concrètement, qu’as-tu réellement apporté à la décarbonation ? Combien de tonnes de CO2 as-tu enlevé ? », eh bien… ça n’est pas glorieux ! Notre entreprise produit beaucoup de rapports, d’analyses. On accompagne beaucoup de clients qui réfléchissent… ça, pour réfléchir, on a vraiment beaucoup réfléchi ! Mais concrètement, on n’a pas réellement initié de vraies actions qui permettent de décarboner. Les 100 millions c’est simple, c’est proposer aux entreprises de décarboner en commençant par leurs activités.« La décarbonation va devenir le sujet de toutes les entreprises »Est-ce aussi une façon de faire venir des clients potentiels à Kerdos Energy ? En un sens, oui : Kerdos est là pour vendre des prestations d’accompagnement en transition énergétique. Quand on regarde les perspectives, on se dit que l’on a face à nous un boulevard : il va y avoir beaucoup de demandes sur la transition énergétique et la décarbonation. En tant qu’entrepreneurs, on sait qu’il va y avoir beaucoup de travail. Néanmoins, l’objectif que l’on a voulu mettre sur les 100 millions n’est pas en euros. On essaie d’inventer une économie qui ne parle plus d’euros mais de CO2 : est-ce que ce fameux CO2 a une valeur ? L’unité de transaction dans les 100 millions, c’est le CO2, et on demande aux entreprises de venir déposer des tonnes de CO2 sur le compteur. C’est difficile, car toutes les initiatives qui existent aujourd’hui en termes de décarbonation se comptent en argent. Et c’est vrai qu’on aura besoin d’argent, il va falloir mobiliser beaucoup de fonds sur ces différents sujets. Par contre, on a du mal à faire passer le message pour dire que la décarbonation, ça ne sera pas l'œuvre d’experts comme nous, ça devra être le sujet de toutes les entreprises. C’est une évidence, la notion environnementale va modifier toutes nos activités, elle va modifier l’économie. Par le biais des 100 millions, on vous propose de commencer à réfléchir à ces éléments, de se demander « Qu’est-ce qu’une tonne de CO2 ? Et qu’est-ce que notre entreprise demain pourra ou ne pourra pas faire dans un monde contraint en CO2 ? »C’est un sujet que les entreprises intègrent déjà de plus en plus dans la conception de leurs projets. Est-ce qu’être peu polluant est en train de devenir moins cher que d’être pollueur ?La question cachée derrière celle-ci, c’est le prix de la tonne de CO2… Le prix que l’on donne à quelque chose, c’est le prix que l’acheteur est prêt à payer. Depuis ce matin, nous avons tous émis du CO2, par nos activités, par notre consommation… Et on n’a pas eu à payer pour ça. Donc, la vraie valeur du CO2, c’est zéro. Tout simplement, parce que l’on vit aujourd’hui dans une économie qui émet énormément de CO2, mais on n’a pas imaginé de mécanisme pour donner un prix à ces émissions. La valeur-repère oscille entre 80 et 90, voire 100 euros la tonne, qui a été dépassé en 2023. Il y a une vingtaine d’années, des économistes avaient calculé que le jour où l’on dépasserait cent euros la tonne, on entrerait dans une économie où il serait plus rentable de s’intéresser à des projets bas carbone que de continuer à fonctionner sur des projets sans contrainte CO2. Donc, si vous arrivez à identifier la quantité de CO2 émise par votre entreprise, votre projet, vous pouvez multiplier ce chiffre par cent, et c’est le prix du CO2 émis. Ça amène à des réflexions un peu différentes…« Demain, la régénération des écosystèmes pourrait générer de l'activité économique »Tant que ce prix reste hypothétique, est-ce qu’il existe réellement ? Peut-on attendre que l’économie se comporte naturellement de façon vertueuse pour décarboner, alors que c’est précisément notre modèle économique qui a créé la crise climatique ?Sur ces sujets, on parle souvent de « triangle de l’inaction ». Il y a trois acteurs : d’abord, les Etats, les dirigeants, qui fixent les règles. Sur une autre pointe de ce triangle, il y a les entreprises, l’économie, toutes les activités qui mettent sur le marché des produits qui polluent ou ne polluent pas. Et la dernière partie, c’est le consommateur, qui, à un moment où à un autre, choisit ses produits, et qui est aussi citoyen et vote pour les dirigeants. Et chacun se renvoie la balle : « C’est pas moi, consommateur, je ne suis pas là pour faire les lois et j’achète les produits qui sont rentables ou pas rentables ». L’entreprise dit « Je veux bien décarboner, mais l’Etat n’a pas fixé de réglementation, le consommateur achète mes produits et je dois rester compétitif. Et l’Etat a envie de se faire réélire et n’a pas envie de casser l’économie. Dans ce triangle de l’inaction, chacun se renvoie la balle, et au final personne ne bouge, et c’est ce qui s’est produit ces dernières années. Par contre, ce qui est certain, c’est que d’une manière ou d’une autre, il va falloir trouver un moyen de réduire nos émissions ; et donc, la question est « dans quelle mesure l’économie d’entreprise peut s’octroyer le luxe de ne pas considérer ce risque-là ? »On parle de CO2, qui est l’enjeu le plus pressant, mais il y a d’autres enjeux en termes d’économie. Par exemple, les responsables politiques évoquent souvent le problème que leur pose le « zéro artificialisation nette » : comment construire des usines, aussi vertueuses soient-elles, si l’on ne peut plus artificialiser des terres ? Cet exemple ne montre-t-il pas que l’on essaie de concilier deux choses irréconciliables, entre un système dont la croissance est l’horizon ultime - si une entreprise ne grandit pas elle meurt, si un territoire n’est pas en croissance économique il est mort - et un espace physique et des ressources qui ne sont pas infinies ? Vaste question… Encore une fois, le sujet qui nous est posé est redoutablement complexe. Je lis beaucoup sur ce sujet, et j’ai parfois l’impression que plus je lis, moins je comprends. Il y a énormément de critères : le CO2, les questions de biodiversité, l’usage des sols, l’eau… Comment sera le monde demain ? Demain, en 2030, on arrivera dans un monde fortement contraint en carbone. Est-ce que ça sera voulu et organisé, ou bien subi ? Je ne sais pas. Mais on va arriver à un moment où il y aura des contraintes, et il faudra imaginer la façon dont nos activités économiques s’y adapteront. Si l'on regarde un peu plus loin, à l’horizon 2040-2050, on parle de plus en plus d’un terme qui me plaît beaucoup, qui est celui d’économie de la régénération. Le pari qui est fait pour demain, après-demain, c’est de se dire que la régénération des écosystèmes, la réintroduction des espèces, le fait de prendre soin des sols, pourrait générer une activité, et pourquoi pas nous consommateurs, nous entreprises, acheter ces services qui nous permettraient de développer cette forme d’économie. Le business, c’est une activité sociale, qui permet de créer du lien, d’échanger des marchandises et des services ; il n’y a pas de raison qu’il soit incompatible avec l’humanité !

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