Euralis : « Pouvoir continuer demain à produire sur nos territoires » - Premium

Quand le contrat Gaïa a-t-il été créé, et sur la base de quel constat ? Depuis 2020, on a vu des clients agroindustriels commencer à exprimer des besoins autour des thématiques du climat, des émissions de carbone… C’est pour y répondre que l’on a créé en 2021 le contrat Gaïa. C’est un cahier des charges qui rassemble plusieurs thématiques : l’utilisation de couverts végétaux, la gestion de l’eau et de la biodiversité, la réaction des intrants chimiques et phytosanitaires. C’est aussi un axe fort demandé par la société, et on a structuré ce contrat-là pour accompagner les agriculteurs dans cette nouvelle façon de produire.Pourquoi avoir choisi, à l’époque, de créer un nouveau cadre au lieu de s’inscrire, par exemple, dans celui de l’agriculture biologique ? Euralis est membre fondateur d’Agribio Union, on peut accompagner les agriculteurs qui décident de se convertir au bio. On avait donc déjà cette solution dans notre portefeuille. Notre analyse était la suivante : sur le marché des commodités, c’est-à-dire celui où les céréales sont vendues selon un cahier des charges international basique, on a perdu la bataille du prix. Le maïs français était à 60% de parts de marché sur le marché espagnol, à 80% sur les marchés néerlandais ou allemands, il est aujourd’hui entre 15 et 20%. On travaille donc maintenant sur des marchés spéciaux, nos clients ne sont plus les grands fabricants d’aliments à bétail par exemple, ils achètent du brésilien ou de l’ukrainien. Nous sommes sur un marché de niche, et on constate qu’il est de plus en plus exigeant. Nous avons donc décidé d’ouvrir une troisième voie, celle d’un maïs qui ne soit pas bio, mais qui soit plus exigeant que les commodités, avec l’ambition de construire une production agroécologique qui soit rentable et qui permette aux industriels d’avoir des garanties sur leurs volumes.À lire également - Rencontres de l'économie agricole : un tableau sombre des perspectives du secteurDémontrer l'impact de ces pratiquesComment installer ce nouveau label auprès des acheteurs ? Pour ça, nous avons besoin d‘indicateurs forts, qui vont permettent de transformer ces pratiques agroécologiques en bénéfices. Ces indicateurs sont de 4 ordres : le premier c’est le carbone et le climat. Le deuxième, c’est l’eau. Le troisième, c’est la biodiversité, et le quatrième c’est la RSE. Ce qui tire aujourd’hui le développement et la compréhension de ce contrat pour nos clients, c'est la partie carbone et climat. Depuis l’Accord de Paris en 2015, tous les groupes internationaux ont dû définir des trajectoires de réduction de leur empreinte carbone. Cela peut se faire par la réduction de leurs émissions ou par la séquestration, et nous avons un rôle à jouer sur ces deux axes. En réduisant la consommation d’engrais azotés, on réduit l’empreinte carbone de notre maïs, et en favorisant les couverts végétaux, les parcelles jouent un rôle de puits à carbone même pendant l’hiver.Est-ce quantifiable ?On a modélisé tout ce cycle-là et démontré que le maïs produit de cette façon permet de séquestrer entre une et deux tonnes de carbone par hectare et par an. On démontre donc à nos clients que sur ce premier point, par ces pratiques-là, on avait un impact positif sur leur bilan carbone. Nos clients ont aussi les mêmes demandes sur la partie eau, sur la partie biodiversité, sur la partie RSE. Ils viennent avec des référentiels, on se retrouve face à des industriels qui nous challengent avec des questionnaires, sur le travail des enfants, l’exploitation des étrangers… pour un européen c’est évident, mais face à du maïs brésilien, ça rentre en compte. On travaille aussi sur l’eau. Le maïs produit beaucoup de tonnes à l’hectare et consomme moins d’eau que d'autres productions, mais il a l’inconvénient de produire en été, au même moment que les usagers humains et industriels ont besoin d’eau, et au moment où il y en a le moins. On peut agir, en agriculture, sur la nature du sol et on arrive, par cette action à diminuer le besoin en eau de 30mm sur un cycle de vie d’une plante. En été, on a besoin de faire entre 3 et 6 passages d’arrosage selon la nature du sol, et avec ces pratiques on économise un passage.Comment ce contrat fonctionne-t-il du côté des agriculteurs ? Euralis leur achète leur production plus cher en échange d’une adhésion à un cahier des charges. Sur les questions de l’utilisation d’engrais chimiques, ce cahier va moins loin que le bio, mais sur le sujet de l’eau, de la biodiversité, il va au-delà.« Accompagner la transition des modes de production »Ces pratiques entraînent-elles une baisse des rendements, ou des coûts supplémentaires ? Ce sont plutôt des coûts supplémentaires que des baisses de rendement. Le contrat Gaïa vient accompagner la transition des modes de production. Augmenter le taux de matière organique dans les sols, par exemple, ça ne se fait pas en une campagne, ça se fait en 5, 10 ans. C’est dans le cadre de ce processus que le contrat Gaïa vient aider les agriculteurs. Le contrat englobe trente thématiques, et l’agriculteur, selon son degré d’engagement dans ces pratiques, peut avoir de zéro à trente points. En fonction de son nombre de points, il touchera entre deux et dix euros par tonne, soit de 20 à 100 euros par hectare pour du maïs. L’an dernier, la prime moyenne était de 7,5 euros.Par rapport à quel prix de la tonne de maïs ? C’est très volatil. L’année prochaine, on sera à 180 euros la tonne, donc la prime n’est pas négligeable. Il faut aussi la mettre en rapport avec ce qu’elle vient compenser, ou sponsoriser. Pour mettre en place un couvert végétal, il faut compter entre 40 et 60 euros de semences par hectare, puis le travail d’implantation de ce couvert qui va revenir entre 40 et 50 euros. Le Gaïa vient donc sponsoriser entre la moitié et la totalité de la mise en place de ces couverts végétaux. Sachant qu’il doit aussi mettre en place d’autres pratiques… Mais c’est un investissement : en réutilisant la ressource de ce couvert végétal pour simuler ses plantes, il peut aussi faire des économies sur les achats d’engrais. C’est aussi là qu’interviennent les conseillers Euralis pour l’aider à faire ces calculs.« Pouvoir continuer demain à produire sur nos territoires »Combien d’agriculteurs s’en sont-ils saisi ? Aujourd’hui, une petite moitié de nos surfaces est couverte l’hiver, il y a dix ans ça n’existait pratiquement pas. Tous ne concernent pas le contrat Gaïa. Sur ce contrat, en 2023, on a accompagné 500 agriculteurs sur 12.500 hectares, et cette année on a une prévision de passer à 600 agriculteurs pour 14.000 hectares. Sachant qu’il y a environ 4.000 agriculteurs céréaliers sur notre territoire, ça commence à être significatif.À lire également - « Vouloir planter trois fois plus, c’est mettre encore plus en péril la filière bio »Y a-t-il eu des déconversions, comme c'est le cas en ce moment avec le bio ? Le premier ennemi du bio a été l’inflation et le pouvoir d’achat. Il y a eu de la surproduction et des baisses de prix qui faisaient qu’il n’était plus rentable de continuer en bio. Sur Gaïa, on n’est pas dans cette dynamique, on n’est pas sur les mêmes investissements, la même transformation. Pour autant, nous sommes conscients des enjeux du changement climatique. On a fait des simulations sur les difficultés qui pourraient être les nôtres en 2050-2100, et nous avons fait le constat qu’il faut être actif sur ces thématiques pour pouvoir continuer, demain, à produire sur nos territoires. L’UE consomme 80 millions de tonnes de maïs par an. Elle n’en produit que 60 millions. On a besoin tous les ans d’importer 20 millions de tonnes de pays tiers. Nous avons la volonté de démontrer que l’agriculture française est différente au niveau mondial, qu’elle a des atouts, on veut être fiers de cette transformation que l’on veut donner à notre agriculture, pour autant qu’elle soit viable et différenciante.

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