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Crise agricole (1/6) : l’agrivoltaïsme, alibi ou vrai complément de revenus ?

Écosystème
mardi 20 février 2024

Alors que les agriculteurs des quatre coins de la France ont fait entendre leur voix en ce début d’année, Placéco s’interroge sur les possibilités de diversification du secteur. Agrivoltaïsme, cultures atypiques ou agritourisme : quels leviers existent pour consolider un modèle d’exploitation et assurer une stabilité financière ? Découvrez tout au long de la semaine une série d’articles qui explorent, en partie, ce vaste sujet.

Le décret d'application autour de l'agrivoltaïsme devrait paraître dans les mois à venir. Photo d'illustration : Adobe Stock Ipman

Le sujet de l’agrivoltaïsme semble séduire, de plus en plus, des agriculteurs en recherche d’un complément de revenus. Si peu de projets semblent concrétisés en Nouvelle-Aquitaine, le potentiel d’ensoleillement est lui bien là. Quels rendements les exploitants en attendent ? Comment éviter des « projets alibis » qui ne respecteraient pas la production agricole ? Éléments de réponse.

Qu’est-ce qui a pu pousser la famille Etchélécu, propriétaire et exploitante de la ferme éponyme dans le Béarn, à se tourner vers l’agrivoltaïsme ? Avant tout un besoin de « pérenniser l’exploitation », avant de la transmettre à ses enfants. Et après presque quatre ans de maturation, le projet de serre photovoltaïque abritant leur production de fraises est presque achevé. Mais si la tendance à l’agrivoltaïsme est de plus en plus à la mode, elle reste encore confidentielle… Dans les Landes, il y a certes le projet Terr’Arbouts, porté par l’association d’agriculteurs Patav et la société GLHD (Green Lighthouse Développement), qui prévoit de s’étendre sur 1.300 hectares de surface agricole productive. Mais il n’est pas encore sorti de terre, et à part lui, peu d’autres dossiers sont connus de la Chambre d’agriculture. Même son de cloche en Gironde, où « rien n’est encore concrétisé ». « Il y a d’anciens projets, qui étaient qualifiés d’agrivoltaïques mais qui ne le sont qu’à moitié, avec quelques moutons qui circulent parfois. De vrais projets, avec une production agricole significative, il n’y en a pas de terminés », précise Laurent Courau, directeur délégué à la Chambre d’agriculture de la Gironde. Pour éviter ces « projets alibis » comme elle les appelle, et qui n’ont d’agrivoltaïque que l'intitulé, la chambre consulaire a officialisé le 16 janvier dernier une charte des bonnes pratiques. Son nom : « L’agrivoltaïsme en Gironde : oui, mais pas à n’importe quel prix ». Parmi les signataires, les représentants des syndicats agricoles, des entreprises d’agrivoltaïsme et des collectivités locales*.

Car c’est là tout l’enjeu : utiliser le photovoltaïque sur des terres, à un niveau raisonné, pour maintenir ou développer une production agricole significative. Laurent Courau explicite : « Avec les premiers projets, on mettra en place un suivi précis des productions, pour valider au fur et à mesure le principe d’agrivoltaïsme. C’est-à-dire, ne pas diminuer la production de la parcelle de plus de 10%. » Et si ce n’est pas le cas ? « Dans l’absolu, on démonte les panneaux solaires. Mais ne rêvez pas, ça ne sera jamais le cas quand un projet se monte à 1 million d’euros d’investissements. » Le principe n° 4 de la charte prévoit tout de même l’engagement des opérateurs sur le démantèlement de l’installation photovoltaïque, et « la possibilité d’une réversibilité en cas d’abandon de la production agricole ».

L’Ademe donne une définition précise du sujet. « Une installation photovoltaïque peut être qualifiée d’agrivoltaïque lorsque ses modules photovoltaïques sont situés sur une même surface de parcelle qu’une production agricole, et qu’ils l’influencent en lui apportant directement (sans intermédiaire) des services, et ce, sans induire ni dégradation importante de la production agricole (qualitative et quantitative), ni diminution des revenus issus de la production agricole. »

Des bénéfices financiers, mais pas que

Pour les agriculteurs, l’un des enjeux de cette diversification est notamment d'améliorer l'aspect exploitation, comme l’explique Jacques Etchélécu dans la plantation de fraises béarnaises. « Depuis trois à cinq ans, on perdait, avec les aléas climatiques, toute la fin de notre production. Maintenant, on reste bien sûr tributaire de certains aléas, comme les punaises ou les mouches, mais nous serons beaucoup moins exposés aux risques liés à la chaleur ou à la pluie. » Les volets électriques de ses serres, reliés à un capteur de luminosité, lui permettent ainsi de mettre automatiquement les fraises à l’ombre en cas de trop fortes chaleurs. En Gironde, la charte prévoit par exemple de favoriser les projets expérimentaux en zone viticole, à l’instar de Vitisolar, porté par un consortium, EDF en tête. Le concept ? 2.000 m² de vignes du domaine de la Grande Ferrade, à Villenave-d’Ornon, recouverts de panneaux solaires depuis 2023 pour une durée de cinq ans. Et des pieds de merlot, scrupuleusement étudiés.

Mais combien peut rapporter une structure agrivoltaïque à un agriculteur ? Jusqu’à 68.000 euros par an, pour les époux Etchélécu. Une fois l’électricité utilisée pour faire fonctionner la ferme, le surplus sera vendu, et devrait rapporter près de 28.000 euros. À cela s’ajoutent les économies d’électricité réalisées, soit 3.000 euros à l’année ; et la hausse du volume de fraises produites, grâce à l’ombre des panneaux photovoltaïques (40.000 euros). Mais il ne faut pas s’y tromper, tout le monde ne bénéficiera pas d’un tel « coup de pouce » financier. De son côté, le responsable Nouvelle-Aquitaine d’EDF Renouvelables, Pierre Couturier, précise la stratégie de l’opérateur. « Quand on vient sécuriser le foncier et travailler avec l’agriculteur, on n’achète pas le terrain. On verse ce qu’on appelle une redevance sur la durée de vie du projet, c’est-à-dire sur 30 ans. Cette redevance varie en fonction des typologies du terrain. On essaye d’avoir des redevances maîtrisées. » Mais encore ? Difficile d’obtenir une fourchette de prix. Cela commence à 1.500 euros à l’hectare et par an, « et la profession peut aller jusqu’à 5.000 euros, mais ce ne sont pas les pratiques d’EDF », botte en touche Pierre Couturier.

Partager la valeur 

Retour en Gironde, département dans lequel près de 6.000 exploitants sont installés. Dans sa charte des bonnes pratiques, le principe n° 5 prévoit « un meilleur partage de la valeur ». Et notamment, que les opérateurs et bénéficiaires abondent à un fonds départemental, « Quand on aura une cinquantaine ou une centaine de fermes agrivoltaïques en Gironde, on aura fait le tour, reprend Laurent Courau. Ce qui veut dire qu’il y aura peu d’élus, et beaucoup de non élus parmi les agriculteurs. Le fait de produire de l’énergie sur des parcelles agricoles apporte une forte valorisation financière, et nous estimons qu’il est important de la partager entre les fermes du département. » À ce sujet, Pierre Couturier d’EDF déroule la stratégie de l’énergéticien : « Notre volonté est de proposer des niveaux de redevance assez faibles, pour qu’une partie de la valeur soit fléchée vers des fonds, notamment départementaux, qui vont aider les autres agriculteurs. » Reste que pour l’instant, le décret d’application de la loi d’accélération des énergies renouvelables n’est pas encore connu. « On attend beaucoup, confie Laurent Courau, pour donner les éléments techniques sur l’agrivoltaïsme. »

Les signataires de la charte : FDSA 33, Jeunes Agriculteurs 33, Conseil départemental de Gironde, Coordination Rurale 33, Fédération française des producteurs agrivoltaïques, Chambre d'Agriculture de Gironde, l'Association des maires de Gironde. 

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