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Space Cargo : le Petrus envoyé dans l’espace livre ses premiers secrets

Innovation
mercredi 24 mars 2021

Cette bouteille de Château Petrus a passé 14 mois à bord de l'ISS - photo AL

La quasi-absence de gravité qui règne à bord de la station spatiale internationale a-t-elle un impact sur le vieillissement d’un grand cru ? Après 14 mois passés en orbite, les 12 bouteilles de château Petrus envoyées par Space Cargo Unlimited commencent à livrer leurs secrets. De premiers enseignements grâce auxquels la startup espère bien pouvoir contribuer à l’avancée de la recherche scientifique et agronomique.

12 bouteille de château Petrus (millésime 2000) sont parties le 2 novembre 2019 en direction de la Station Spatiale Internationale. Elles sont rentrées 14 mois plus tard à bord d’une capsule Dragon opérée par SpaceX, avant de rejoindre l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin (ISVV) de Bordeaux où une dégustation a été organisée en présence d’une douzaine de spécialistes du vin. Son objectif ? Comparer le vin ayant séjourné dans l’espace à celui étant resté sur Terre pour déterminer si la quasi-absence de gravité dans laquelle évoluent les astronautes est susceptible de modifier la façon dont le vin vieillit.

« On a recréé l’environnement terrestre à bord de l’ISS à l’exception d’un unique paramètre, la gravité, explique Nicolas Gaume, figure historique du jeu vidéo bordelais qui partage aujourd’hui sa vie entre ses fonctions d’exécutif chez Microsoft et deux startups tournées vers l’espace, dont Space Cargo Unlimited, cofondée avec Emmanuel Etcheparre. En enlevant la gravité, on créée un stress prodigieux, auquel la nature réagit en développant des stratégies pour s’adapter. C’est ce stress que nous voulons capturer, pour que la nature nous montre comment résister à des phénomènes tels que le changement climatique. »

Des différences de couleur et un vieillissement plus marqué

Sélectionné pour son aptitude au vieillissement et son assemblage presque mono-cépage - et sans doute aussi sa notoriété, le Petrus 2000 expédié dans l’espace va désormais faire l’objet d’analyses scientifiques pour identifier la façon dont ses composants ont réagi à leur séjour dans l’espace. En attendant, il a donné lieu à une première dégustation à l’aveugle. Premier enseignement en forme de bonne nouvelle pour les amateurs d’étiquettes prestigieuses : le séjour dans l’espace n’a pas altéré le château Petrus, qui conserve toutes ses qualités exceptionnelles.

Comparé à une bouteille conservée sur Terre dans des conditions identiques, le vin spatial révèle toutefois quelques nuances. « On a pu observer et mesurer une différence dans les paramètres de la couleur », révèle Philippe Darriet, directeur de l'unité de recherche Œnologie au sein de l’ISVV. Au niveau gustatif, des différences ont également été perçues (voir l'avis de l'œnologue Jane Anson en vidéo), même si ces critères sont plus subjectifs, du fait de la sensibilité de chaque dégustateur et des possibles variations d’une bouteille à l’autre d’un même millésime. « Il faut qu’on approfondisse cette évaluation sensorielle sur d’autres échantillons, puis qu’on mette en œuvre notre capacité d’analyse des composants qui vont nous signifier les paramètres d’évolution du vin », complète le chercheur. Une fois l’étude menée à bien, ses résultats feront l’objet d’une publication scientifique dans une revue internationale.


L'avis de l'oenologue Jane Anson suite à cette dégustation spatiale 

Etudier un système biologique dans son ensemble 

Space Cargo Unlimited entend de son côté prolonger cette démarche de recherche appliquée sur l’ensemble des étapes du cycle de vie de la vigne et du vin. La startup, qui a déjà réalisé trois misions sur les six qu’elle ambitionne de mener au total, a par exemple envoyé 320 sarments de vigne dans l’espace peu après ces bouteilles de Petrus. Revenus sur Terre après 10 mois, ils ont été partagés entre l'Institut national de la recherche agronomique (Inrae) et les pépinières du groupe Mercier de façon à y être étudiés. « Il faut laisser la nature faire son œuvre, mais on constate que ces plants ont une croissance plus rapide et sont plus feuillus que leurs équivalents terrestres, se réjouit Nicolas Gaume. Il est encore trop tôt pour tirer la moindre conclusion, mais ces premiers résultats nous donnent beaucoup d’enthousiasme pour poursuivre nos recherches ».

Prévue à l'horizon 2022, la prochaine mission de Space Cargo Unlimited, qui profite du soutien des agences spatiales européennes ainsi que d’acteurs privés comme Thalès, Nanoracks mais aussi SpaceX et Blue Origin, devrait s’intéresser plus précisément à la phase de fermentation, une fois que la startup aura identifié comment mener à bien son expérience dans le respect des règles draconiennes qui régissent la Station Spatiale Internationale. « En principe, l’alcool est interdit à bord », rappelle en souriant Nicolas Gaume.

Reste une question : combien coûtent ces expériences ? La startup reste évasive sur la question du financement. Elle précise juste bénéficier du soutien de plusieurs investisseurs privés en parallèle des soutiens public lui ouvrent l’accès à la Station Spatiale Internationale, et souligne avoir acheté ses bouteilles de Petrus sur la place de Bordeaux comme n’importe quel collectionneur. « Il y a encore très peu de recherche appliquée dans l’espace parce que l’accès reste compliqué. Nous sommes là pour permettre à ce programme d’exister, et nous sommes heureux que notre intuition de départ se confirme », estime Nicolas Gaume. Une démarche saluée par le maire écologiste de Bordeaux. « Tout ce qui peut améliorer la résilience des vins de Bordeaux par rapport au changement climatique et l’indépendance face aux intrants chimiques nous intéresse », salue Pierre Hurmic.

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