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Santé mentale des dirigeants (4/4). À l’Apesa de Gironde, des prises en charge plus nombreuses

Écosystème
jeudi 26 juin 2025

La santé mentale des Français est la grande cause nationale de 2025. Au-delà de l’affichage, qui contribue en partie à la libération de la parole, comment vont les entrepreneurs et dirigeants de Nouvelle-Aquitaine, pour qui le sujet est encore tabou ? Notre série livre quelques éléments de réponse.

Santé mentale des dirigeants (4/4). À l’Apesa de Gironde, des prises en charge plus nombreuses

Caroline Ricou-Bourdin a présidé le Tribunal de commerce de Bordeaux entre 2021 et 2024. Crédits : MBC

Depuis 2014, l’Apesa de Gironde propose une aide psychologique aux entrepreneurs et dirigeants en souffrance aiguë. Inscrite dans le réseau national Apesa, qui prend racine à Saintes en Charente-Maritime, elle a aidé l’an passé une cinquantaine de personnes. Un nombre en hausse.

Depuis peu, Caroline Ricou-Bourdin préside la section girondine de l’Apesa. Une façon, pour l’ancienne présidente du Tribunal de commerce de Bordeaux (2021-2024), de prolonger son engagement. Forte de son expérience, elle livre un constat sur la situation - et sur les causes du mal-être des dirigeants accompagnés par l’association.

L’Apesa est une structure d’accompagnement pour les entrepreneurs et chefs d’entreprise, qui s'appuie notamment sur des « sentinelles », pour détecter des situations de mal-être…
Oui, nous formons des personnes que l’on appelle des sentinelles. Elles sont la porte d’entrée du dispositif, qui permet à tout chef d’entreprise en éprouvant le besoin, et avec son accord, de bénéficier d’une prise en charge psychologique rapide, gratuite et surtout confidentielle. La notion d’accord est très importante, nous leur demandons deux ou trois fois, et sans consentement nous n’intervenons pas. Nos sentinelles sont des juges, des mandataires judiciaires, des avocats ; mais aussi certains dirigeants de gros syndicats comme le Medef ou la CPME, ou certaines associations référencées comme sérieuses, à l’instar d’Entraide et Entrepreneurs. Tous bénéficient d’une formation, on leur apprend à parler aux gens, à se faire aider s’il le faut - elles ne sont pas lâchées dans la nature. Car on a devant soi une personne très fragile, il n’est pas question de dire des choses qui pourraient aggraver l’état de souffrance aiguë dans laquelle elle se trouve.

Il est important de préciser, en effet, qu’on parle là de souffrance aiguë, non pas d’un « coup de mou » passager…
Il faut être très vigilant là-dessus, oui. Certains nous découvrent et se disent « Je vais téléphoner, ils vont me trouver un professionnel » ; mais ce n’est pas du tout le principe. Lorsqu’une sentinelle émet une fiche d’alerte avec l’accord de la personne, elle remonte au centre de Nantes, la « centrale » gérée par Vyv, qui compte entre 8 et 12 psychologues qui se remplacent. Ainsi un entrepreneur qui ne va pas bien est approché par cette cellule dans les 24 à 48 heures. Là, les psychologues procèdent à une deuxième évaluation, et vont voir s’il y a besoin des cinq séances que l’on propose. Ou s’ils arrivent à aiguiller l’entrepreneur autrement. En demandant plusieurs fois son consentement, nous sommes sûrs de ne pas être intrusifs.

L’Apesa a vu le jour en 2013 dans le Tribunal de commerce de Saintes, à l’initiative de deux hommes. Marc Binnié, greffier, et Jean-Luc Douillard, psychologue clinicien. Aujourd’hui elle compte 104 antennes locales, dont celle de la Gironde qui a rejoint l’Apesa dès 2014. L’an dernier dans le département, 71 fiches alerte ont été émises pour 48 prises en charge concrétisées (4.000 fiches à l’échelle nationale). « C’est en hausse, commente Caroline Ricou-Bourdin. Je crois qu’en 2022, il n’y avait même pas une vingtaine de fiches alerte. » En France, 5.693 sentinelles œuvrent au quotidien, ainsi que 1.798 psychologues partenaires.


Quels signaux peuvent alerter les sentinelles ?
Lorsqu’une sentinelle rencontre quelqu’un, plusieurs fois comme un juge par exemple, elle peut voir l’état de fatigue de la personne. Et si, entre deux audiences, cette dernière est toujours épuisée, si elle pleure facilement… On va spontanément aller vers elle. Et puis si l’entrepreneur nous dit « J’ai un divorce », « J’ai perdu ma maison » ou « Mes enfants ne veulent plus me voir », ce sont des symptômes qui ne peuvent pas trop tromper. Et il y en a. Ensuite, pour un entrepreneur, sa société c’est son enfant. Sa création. Il y est très attaché et se dit toujours qu'il va s’en sortir. Un chef d’entreprise ne compte pas ses heures, travaille tout le temps même le week-end, prend des vacances quand il peut… Ce sont des personnes qui, nerveusement, subissent de très gros traumatismes.

Rendre obligatoire une formation avant d'entreprendre

Pourquoi fait-on face à une telle hausse du mal-être des dirigeants ?
Il y a un problème, c’est l’absence de formation. Autrefois, quelqu’un qui voulait devenir chef d’entreprise était à minima renseigné sur ses obligations. C’est une chose sur laquelle je suis revenue dans mon dernier discours de présidente du Tribunal de commerce de Bordeaux. On essaye maintenant d’aider les entrepreneurs, on a mis en place une politique de prévention qui a pris ici une place très importante… Mais il est urgent de rendre obligatoire un minimum de formations. Il y a quelques années, c’était le cas. Si j’ai bien compris - mais je n’ai pas vu le texte donc je reste réservée là-dessus -, les députés ont abrogé la loi au motif que la liberté d’entreprendre doit appartenir à tout le monde. Que je sache, quel que soit le métier que l’on exerce, on doit passer par une formation et on s’y plie. Il faut apprendre à quelqu’un qui veut entreprendre à quoi sert l’Urssaf, quelles sont les différentes taxes en vigueur et à quoi elles servent - c’est important d’expliquer où va l’argent -, parler du poids des normes. Tout le monde a des obligations mais aussi des devoirs, que l’on a tendance à oublier.

Pensez-vous que l’on assiste, aujourd’hui, à une libération de la parole concernant la santé mentale des dirigeants ?
C’est comme l’échelle sociale, on ne va pas fermer les yeux. Vous avez des entrepreneurs qui s’aident entre eux, puis il y en a qui sont tout seuls et ne savent pas quoi faire. Ceux-là parlent plus facilement. Je pense que c’est une bonne chose qu’ils aient le courage de parler. Car oui, il faut du courage pour éviter de faire ce qu’on appelle une grosse bêtise - de disparaître. Il faut du courage pour se reprendre, reconnaître que l’on a à un moment flanché, mais que l’on a l’avenir devant soi.

Le mot de notre expert partenaire :
Harmonie Mutuelle, en tant qu’entreprise mutualiste à mission, se mobilise au quotidien auprès de 150.000 entrepreneurs en France pour les écouter, les protéger et les accompagner dans leur vie professionnelle et personnelle. En créant, avec nos partenaires, un fonds dédié pour soutenir les actions au service de la santé mentale des chefs d’entreprise, nous souhaitons approfondir notre démarche en fédérant les énergies autour de l’écosystème entrepreneurial, guidés par une ambition commune : agir ensemble pour prendre soin de la vie des entrepreneurs engagés.
Magali Blanchet, Directrice Harmonie Mutuelle – région Nouvelle-Aquitaine

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