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Santé mentale des dirigeants (2/4) : une détresse psychologique accrue, mais encore tabou

Écosystème
mardi 24 juin 2025

La santé mentale des Français est la grande cause nationale de 2025. Au-delà de l’affichage, qui contribue en partie à la libération de la parole, comment vont les entrepreneurs et dirigeants de Nouvelle-Aquitaine, pour qui le sujet est encore tabou ? Notre série livre quelques éléments de réponse.

Santé mentale des dirigeants (2/4) : une détresse psychologique accrue, mais encore tabou

Près de sept dirigeants sur dix avouent « peiner à se déconnecter même pendant leurs périodes de repos ». Photo d'illustration : Adobe Stock

Alors que six dirigeants sur dix déclarent montrer des signes de détresse psychologique, la santé mentale des patrons semble encore trop tabou. Pourtant, les initiatives se multiplient pour leur apporter une aide urgente, ponctuelle, ou à long terme.

Treize millions de Français souffriraient de troubles psychologiques. Une réalité qui prend de l’ampleur, ou du moins, dont on parle plus depuis les périodes de confinement. Au point que le gouvernement en a fait sa Grande cause 2025. Le monde de l’entreprise n’échappe pas au mal-être que vivent nombre de citoyens. Selon le ministère du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles, le nombre de maladies psychiques reconnues d’origine professionnelle a ainsi explosé en 2023 (+25%). Si cela concerne les salariés, les dirigeants ne sont pas à l’abri. Souvent seuls aux manettes de leur entreprise, « la tête dans le guidon », ils demandent difficilement de l’aide. Aller mal, quand on est un patron, ça ne se dit pas. C’est l’un des apprentissages d’une récente étude menée par l’Institut Choiseul : plus de six dirigeants sur dix considèrent que la consultation d’un professionnel de la santé mentale est un sujet tabou.

Plus inquiétant : il y a un décalage entre ce qu’ils laissent transparaître, et leur état de santé. Une autre étude menée par Empreinte Humaine et Opinion Way souligne ainsi que 58% des interrogés « montrent des signes de détresse psychologique », tandis que 82% « déclarent être en bonne santé ». Le stress, et les symptômes liés, auraient-ils trop longtemps été perçus comme la norme des dirigeants, les incitant à ne pas parler de leur situation ?

Le stress, source d’épuisement

Toujours selon l’Institut Choiseul, la principale cause de stress (62%) est la charge de travail, et la priorisation des tâches. Vient ensuite la gestion RH (51%) et notamment les recrutements ou les licenciements ; puis la pression financière (43%). Si le stress est nécessaire à la survie humaine, Harmonie Mutuelle rappelle dans un guide à destination des dirigeants, qu’à terme, c’est l’épuisement qui se fera sentir. « Les urgences s’enchaînent ou s’intensifient, l’organisme produit toujours plus d’hormones activatrices, sans retour possible à la normale. Tel un moteur en surrégime, il s’épuise. » L’observatoire Amarok a créé un « stressomètre entrepreneurial », censé quantifier l’intensité moyenne de stress ressenti pour différents événements. Cela va du manque de reconnaissance du dirigeant, tout en bas de l’échelle, au dépôt de bilan.


« Quand on vit cette situation [ndlr, de sauvegarde d’entreprise], on pense qu’on n’a plus de solution, on se retrouve seul. On se convainc qu’on est nul », témoigne Denis Lavaud, fondateur de l’entreprise L’Angélys (Charente-Maritime). Si l’activité de l’artisan glacier s’est aujourd’hui stabilisée, il ne cache pas avoir pensé, dans un moment de grande difficulté financière, au suicide. À l’époque, en 2008, on parlait encore moins de santé mentale.

Se forcer à déconnecter

Depuis, les structures de soutien se multiplient. À l’instar de l’Apesa, association pour l’aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë, née en 2013 au Tribunal de commerce de Saintes, sous l’impulsion du greffier Marc Binnié. La structure compte aujourd’hui plus de 71 antennes partout en France, et accompagne les chefs d’entreprise dans le besoin. D’autres associations existent, comme 60.000 rebonds, ou Entraide et Entrepreneurs ; et des fonds dédiés voient le jour. L’an passé, l’Apesa s’est associée à Harmonie Mutuelle et Pavillon Prévoyance pour lancer un fonds destiné « à promouvoir et développer des actions dont l’objectif est de préserver la santé mentale des entrepreneurs ». 700.000 euros y seront alloués sur cinq ans.

Avant d’atteindre certains états extrêmes de mal-être, plusieurs leviers existent, soulignés par les professionnels. D’abord, en arrivant à rééquilibrer le partage vie pro/vie perso. L’Institut Choiseul souligne que près de sept dirigeants sur dix avouent « peiner à se déconnecter même pendant leurs périodes de repos ». Deux autres constats sont mis en avant : seulement 36% des interrogés consacrent régulièrement du temps à leurs activités personnelles ou familiales ; et 45% regrettent de ne pas pouvoir le faire davantage. Dans son guide à destination des chefs d’entreprise, Harmonie Mutuelle questionne la psychologue et docteur en entrepreneuriat, Charlotte Moysan. Celle-ci témoigne : « Un dirigeant pense devoir être toujours joignable. [...] Il a aussi besoin d’être exemplaire, il veut être là tôt et partir tard. »

Pour elle, la priorité est de rétablir cet équilibre, non pas à 50/50, mais en se fixant « des objectifs réalistes ». « Veiller toujours à être pleinement là où on est, écouter les remarques de ses proches, poser ses limites sur le travail le week-end, les vacances, et s’y tenir. » Une rigueur qui peut sembler inatteignable, mais nécessaire au long terme, pour préserver sa santé mentale, et souvent celle de ses proches. Si le sujet est encore tabou dans le monde professionnel, de plus en plus de voix s’élèvent pour témoigner de leur expérience, et inciter les autres dirigeants à libérer leur parole.

Le mot de notre expert partenaire :
La simple évocation des potentielles fragilités du dirigeant est souvent considérée comme tabou par les chefs d’entreprise eux-mêmes. L’inconscient collectif est encore fortement marqué par l’image du patron tout puissant et donc indestructible. Prendre soin de sa santé est donc un objectif essentiel : pour lui-même, pour son entreprise et, plus largement, pour l’économie française dont il est un maillon. C’est parce que ce capital-santé est à nos yeux le premier capital immatériel de l’entreprise, que nous nous sommes engagés à tout faire pour aider les dirigeants à se protéger des risques liés à l’exercice de leur engagement.
Magali Blanchet, Directrice Harmonie Mutuelle – région Nouvelle-Aquitaine

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