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Benoît Hamon : 10 ans après la loi ESS, « on est resté au milieu du gué »

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lundi 25 mars 2024

Benoît Hamon, retiré de la vie politique depuis 2021, est aujourd'hui le CEO de Singa Global, une ONG qui travaille à l'accueil de personnes réfugiées et migrantes. Crédits : MB

En 2014, la loi dite ESS, qui définit le champ de l’économie sociale et solidaire, était promulguée. Dix ans plus tard, comment la faire changer d’échelle, et soutenir les initiatives des territoires ? Éléments de réponse avec Benoît Hamon, ancien ministre de l’ESS à l'origine de cette loi.

En 2024, la loi relative à l’économie sociale et solidaire, que vous avez portée, fête ses dix ans. Où en est-on du développement de cette économie ?
Honnêtement, on est resté en partie au milieu du gué. Une loi, sans volonté politique derrière, manque de carburant. La volonté politique a été en pointillés ou intermittente, ou en tout cas a raté l’objectif qui était le nôtre à l’époque - le changement d’échelle de l’ESS. Puisque la loi, dans l’exposé des motifs, fixait comme objectif de s'inspirer de ce qui avait fonctionné pendant la crise des subprimes [ndlr, en 2008] qui est une crise du capitalisme, pour faire pivoter l’économie toute entière. En pensant déjà à la transition écologique, et en pensant déjà que l’ESS - même si la comparaison est impropre - avait un rôle de « locomotive ». L’idée était qu’il y ait plus d’entreprises de l’ESS, mais aussi plus d’entreprises de l’économie conventionnelle qui transitent vers l’ESS. Et pour ça, objectivement, on est resté au milieu du gué.

Pourquoi n’y est-on pas parvenu ? Est-ce un manque de considération de la part des politiques ?
Parce que la norme est le produit de la culture. Et la culture économique dominante, c’est celle qui considère que le pouvoir, dans l’entreprise, appartient au capital. À partir du moment où c’est cette culture qui domine la manière dont on produit de la richesse, dont on répartit le pouvoir dans l’économie, les modèles entrepreneuriaux de l’ESS sont restés minoritaires. L’enjeu crucial, c’est d’essayer de modifier la hiérarchie des normes entre l’économie conventionnelle - ce qu’est l’orthodoxie du modèle capitaliste - et entre les modèles hétérodoxes que nous défendons. Se désintéresser de cela, c’est à coup sûr rater les rendez-vous qui viennent. Et ça me paraît compliqué de dire qu’on va faire changer l’ESS d’échelle, si on ne s’intéresse pas à la manière dont, dans les sciences économiques aujourd’hui, le cadre institutionnel qu’est celui de la recherche économique est presque totalement privatisé par le courant orthodoxe. C’est pour ça que lorsque je suis devenu ministre de l’Éducation nationale après l’ESS - hélas je n’y suis pas resté, mais pour d’autres raisons -, l’un de mes principaux objectifs était de créer une nouvelle section à la conférence des universités, qui se serait appelée « économie et société », pour élargir le périmètre de la recherche en science économique, et casser le cadre institutionnel.

À quels rendez-vous faites-vous référence ? Aux enjeux environnementaux ?
Eh bien, on sait que si on ne fait pas pivoter tout le paquebot, on se prend le mur des +2, +3 degrés de température globale. Avec derrière, toutes les conséquences que cela entraînera en matière d’inégalités sociales, de péril démocratique. Aujourd’hui, l’ESS ne peut plus penser son rôle en dehors d’une responsabilité qui la dépasse, c’est-à-dire une responsabilité consistant à embarquer le reste de l’économie. Donc à créer des alliances, des ponts.

Cet entretien a été réalisé dans le cadre de la préparation de Résolution, la journée des solutions RSE. Cette seconde édition qui se déroule le 11 avril prochain au Palais des Congrès de Bordeaux, place la contribution au territoire comme fil rouge de la journée. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site internet


« On attend beaucoup de la taxonomie sociale »

Justement, les enjeux environnementaux et sociaux se heurtent souvent aux objectifs de performance économique. Comment inciter davantage les entreprises à intégrer ces enjeux dans leur stratégie ?
D’abord, il n’est pas exclu que de plus en plus de gens commencent à faire correctement leur boulot. Je le dis en tant que dirigeant de Singa - un réseau associatif présent dans sept pays européens, positionné sur le sujet clivant des personnes réfugiées. On a, aujourd’hui, des partenaires dont on évalue que les actions sont de moins en moins orientées vers la communication, et de plus en plus vers l’impact réel. Avec un souci de leur part de nous laisser aller chercher nous-même l’impact, de le définir, là où auparavant certains disaient « faites comme ci, ou faites comme ça ». Je trouve qu’il y a une vraie transformation. Et il apparaît, c’est en tout cas l’analyse que je fais, que toute chose crée son contraire. Aujourd’hui, il y a une montée en puissance d’un climat raciste, sexiste, et qui génère vraiment de la violence dans la société… mais qui crée aussi son contraire. Et il apparaît des alliés tout à fait inédits dans le monde de l’entreprise, qui à la fois font pivoter leur organisation, mais qui s’engagent beaucoup plus fortement qu’avant. Néanmoins, et pour répondre à votre question, je pense que seules les législations à l’échelle européenne sont efficaces.

Avez-vous des exemples de ces législations qu’il faudrait mettre en place ?
Dans le sillage de la taxonomie verte, on attend beaucoup de la taxonomie sociale. C’est-à-dire, que les exigences de reporting extra-financier deviennent de plus en plus fortes, structurées, et conduisent les entreprises non pas à collecter une série de labels pour cocher des cases, mais à intégrer une part d’intérêt général dans leur fonctionnement. On voit que certaines ne bougent que dans un souci de cocher ces cases, mais d’autres font vraiment évoluer leur organisation. Et je préfère voir le verre à moitié plein.

Mieux valoriser l’innovation sociale

Les territoires, qui sont des leviers pour enclencher cette innovation sociale, sont-ils suffisamment soutenus ?
La réponse est non, car il n’y a pas de crédit d’impôt sur l’innovation sociale. La loi ESS définit pourtant cette innovation sociale, des gens en créent, mais que manque-t-il entre les deux ? La même chose que ce qui existe pour l’innovation technologique. Prenons un exemple très concret, une application qui permettrait à des personnes obèses de voir quel est l’impact de la marche sur leur perte de poids. On va dire que c’est génial, quand bien même personne ne s’attaque au fait qu’on retrouve d’abord des personnes obèses dans des milieux sociaux défavorisés, où il y a très peu d’équilibre alimentaire pour des raisons liées à la pauvreté, etc. Cette application, c’est du solutionnisme à la Silicon Valley, qui est subventionné par des crédits d'impôt. Mais si j’ai une innovation sociale qui fait de la prévention auprès des mamans, dans des crèches de milieux défavorisés avec des impacts mesurés, il n’y a pas de crédit d’impôt. L’innovation sociale n’est absolument pas soutenue par une politique publique, alors que l’application qui est lucrative et qui va permettre de faire de l’argent avant d’être revendue à un grand groupe, est subventionnée. Ça, c’est un exemple type de ce que l’on ne doit plus faire. 

Vous défendez un encadrement des métiers du soin, et qu’ils soient gérés par des structures publiques ou privées à but non-lucratif. Est-ce réaliste ?
Je suis extrêmement clair à ce sujet. Ce qui relève de la prise en charge de personnes âgées, de personnes en situation de dépendance avec un risque fort de perte de dignité si on ne prend pas soin d’elles, ne peut pas répondre des mêmes indicateurs de performance économique que ceux qui sont utilisés pour vendre des missiles ou des chaussures. Or, c’est le cas aujourd’hui. Il faut une frontière, et l’Union européenne le permet avec la définition de ce qu’on appelle les services économiques d’intérêt général. Est-ce que ça existe déjà ? Oui, je crois que le département des Landes le fait - il n’y a pas d’EHPAD lucratifs. Et puis, les modèles lucratifs vont là où les personnes sont solvables, c’est-à-dire les plus riches, et se désintéressent de la solidarité. Pour qu’il y ait de la solidarité, il faut que ceux qui ont le plus d’argent contribuent au fait qu’on rende service à ceux qui en ont le moins. Et que ce service soit digne, aussi pour ceux-là. Il y a aussi la question des monnaies locales complémentaires, qui se veulent ancrées sur le territoire.

Est-ce un levier de transition vers l’ESS ?
Je pose une question - pourquoi les mutuelles, qui appartiennent à l’ESS, ne proposent pas sur la base du volontariat à leurs assurés, que 10% des remboursements le soient dans une monnaie locale ? L’idée est de renforcer le volume d’échanges en monnaies locales, comme autant de moyens de consommer en circuit court. C’est ce genre d’alliance qu’il faut travailler, et les monnaies locales peuvent avoir un effet, à condition que ce soit dans le projet de l’association qui la porte. Et ce serait génial que des acteurs de l’ESS, dont les prestations se traduisent par le versement d’argent numéraire, s’y mettent.

Benoît Hamon est passé par le ministère de l'Économie sociale et solidaire sous la présidence de François Hollande en 2012, puis celui de l’Éducation nationale un an plus tard. Candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2017 pour le Parti socialiste, il défend notamment l’idée d’un revenu universel. Retiré de la vie politique depuis 2021, Benoît Hamon dirige aujourd’hui Singa Global, une ONG qui travaille à l’accueil de personnes réfugiées et migrantes.

Il était l'invité des dernières Rencontres RTE organisées par Sciences Po Bordeaux, dont Placéco est partenaire.

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