Placéco Gironde, le média qui fait rayonner l’écosystème

Votre édition locale

Découvrez toute l’actualité autour de chez vous

Femmes en entreprise (3/5) : la mixité dans le numérique et l’IA, un enjeu majeur

Engagement
mercredi 06 mars 2024

Alors que la journée internationale des droits des femmes se déroule le 8 mars, Placéco s'intéresse à la place des femmes dans le tissu économique : numérique, industrie, entrepreneuriat... Nous sommes allés à la rencontre de cheffes d'entreprise, d'ingénieures, ou d'associations qui œuvrent pour l'entrepreneuriat au féminin, dans des milieux encore largement masculins. Comment faire bouger les lignes ? Placéco vous propose une série d'articles pour se pencher sur la question.

Tiphaine Bichot, co-dirigeante de l'entreprise bordelaise Athome Solution. Crédits : TB

Il y a aujourd’hui moins de femmes dans les métiers du numérique, que 50 ans en arrière. Comment expliquer cela, quels sont les freins à la formation, et comment les lever ? Pour Placéco, la co-dirigeante d’Athome Solution, Tiphaine Bichot, revient sur les enjeux, multiples, de la mixité des équipes. Éclairage.

Le 8 février dernier se sont tenues les 2e Assises nationales de la féminisation des métiers du numérique, à Paris. Au-delà d’une plus grande représentativité des femmes dans ce secteur, quels sont les enjeux sociaux, sociétaux ?
Il y a une étude du MIT [Massachussets institute of technology] qui est parue il y a quelques années, sur la mixité et ses atouts dans les entreprises. Elle démontre qu’une équipe mixte est plus innovante, équilibrée, qu’elle a la capacité de résoudre des problèmes dans de meilleures conditions qu’une équipe non-mixte, ou un peu plus déséquilibrée. C’est ça, qui nous intéresse. L’objectif d’arriver à la parité ne tombe pas de nulle part, ce n’est pas une idéologie féministe qui sous-tend cela. Mais plutôt une logique entrepreneuriale, car on constate tout un tas d’intérêts. Je parle d’ailleurs de mixité plutôt que de féminisation, car cela va beaucoup plus loin pour moi - il y a effectivement la mixité de genres, mais aussi d’horizons, la mixité sociale, l’inclusion. Eh puis, un certain nombre de personnes peuvent se braquer si l’on parle de féminisation, alors que la mixité les inclut, ça devient leur sujet.

Des biais, notamment dans l'IA

A contrario, quels effets négatifs la masculinisation des métiers du numérique peut-elle engendrer ?
D’abord, il y a les métiers plutôt techniques, et les autres dits supports. Dans ces derniers on va retrouver pas mal de femmes - dans les RH, le marketing. Là où la question de la féminisation se pose, c’est sur les métiers techniques, qui comptent, pour le coup, des équipes très largement masculines. Non seulement elles ne bénéficient pas du travail en mixité et de ses avantages, mais en plus, quelque part, cela peut induire des biais. Par exemple si je développe une application, une intelligence artificielle, je reproduis des biais de ma façon de penser.

À ce propos, les risques de discrimination sont parmi les plus importants lorsqu’on parle d’intelligence artificielle, avec des exemples très concrets outre-Atlantique…
Oui, et j’ai moi-même un exemple en tête qui m’a beaucoup marquée. Je suis allée au WAICF [festival international de l’intelligence artificielle de Cannes], et j’ai vu deux robots humanoïdes - l’un masculin, l’autre féminin. C’était très intéressant puisque le robot féminin ne vous regardait pas, il avait toujours le regard baissé, et était au service de la personne qui discutait avec lui. Vous pouviez lui poser une question, et sa mission était de dire « qu’est-ce que je peux vous rendre comme service ? » L’autre robot, disons masculin même si un robot n’est pas genré, était ironique avec son interlocuteur. Son objectif était de plaisanter avec vous, voire de rire de vous. Là, on retrouve des biais. Ça m’a fait peur, je me suis dit qu’on était dans un festival international de l’IA avec la présence de sommités, et deux robots humanoïdes bluffants… remplis de biais.

Une image du numérique qui attire peu les femmes

Lors des Assises à Paris, la présidente de la fondation Femmes@Numérique Elisabeth Moreno a expliqué qu’en 2024 en France, il y a seulement 17% de femmes dans le numérique - moins qu’il y a 50 ans dans l’informatique. Qu'est-ce qui bloque ?
C’est en effet intéressant de voir l’évolution qu’il y a eue. Personnellement, j’ai fait l’école d’ingénieurs Télécom SudParis et dans ma promo, nous étions 30% de femmes. Aujourd’hui dans la même promo, elles sont moins nombreuses. On régresse depuis des années, c’était déjà le cas il y a dix ans ! Alors les enseignants chercheurs de ces écoles se sont posé la question. En fait, l’informatique est venue par l’informatique de gestion. Et la gestion, avec tout ce que ça comprend - gestion administrative d’une entreprise, gestion comptable - sont des métiers assez féminisés. Ce sont les explications que j’ai lues, les femmes sont arrivées dans ces métiers tech car elles étaient déjà dans la gestion. Et à cette époque, ce domaine n’était pas très reconnu, on ne disait pas à nos enfants « c’est génial, tu vas devenir informaticien » ! Ce n’était pas très glamour. Mais au fur et à mesure qu'ils se sont développés, la perception de ces métiers a changé, les salaires sont devenus beaucoup plus intéressants. Donc les hommes se sont dirigés vers ces métiers qui rapportent bien et sont considérés.

Cela suffit-il à expliquer le manque de femmes dans les métiers du numérique ?
Non. Il y a un autre effet qui explique en partie cela, c’est l’arrivée des jeux vidéo. C’est un univers assez masculin et on a fait l’amalgame entre ça, l’univers « geek » et le numérique. Ce qui est assez erroné, car tous les gens qui font du développement ne sont pas des joueurs, et tous les geek ne sont pas des bons informaticiens ou techniciens. Mais cet amalgame existe, et parle moins aux jeunes filles. Il y a clairement ce côté qui ne leur permet pas de se projeter dans nos métiers, à travers l’image du geek qui est nuit et jour sur trois écrans. On le voit bien, nos métiers sont très peu connus des parents comme des enseignants. Un autre exemple auquel j’ai été confronté c’est ma petite-nièce qui a toujours été première de sa classe, qui adore les sciences et voulait être ingénieure. En Terminale, ses professeurs lui ont dit, « tu vas faire une prépa HEC ». On en a parlé très longuement ensemble, elle est finalement allée en Math Sup, en prépa scientifique, et ça lui a donné confiance pour aller vers le métier qu’elle souhaite.

Aller échanger avec des lycéennes

Quels sont les leviers pour travailler sur la perception des métiers, pour les lycéennes comme pour leurs enseignants ?
Nous avons commencé à travailler sur le sujet avec le rectorat et le Syrpin [ndlr, syndicat régional des professionnels de l’informatique et du numérique de Nouvelle-Aquitaine] à travers un programme, baptisé Why women code. Littéralement, « pourquoi les femmes codent ». L’objectif est de sensibiliser les jeunes lycéennes aux métiers du numérique, et en particulier aux postes techniques. On l’a fait en Gironde, où l’on a travaillé avec une centaine de jeunes filles durant des ateliers où elles pouvaient rencontrer des femmes aux profils très différents. Dans la sécurité, la cybersécurité, le développement, des architectes, cheffes de projet etc. En parallèle, les garçons travaillaient sur des thématiques comme la représentation qu’on a de ces métiers, ou de l’égalité en matière d’orientation… À la fin de la matinée, ils se sont retrouvés pour échanger. Nous aimerions poursuivre cette action Why women code, mais on ne travaille pas tout seuls. Il y a toute une toile d’organismes qui travaillent sur ces sujets de la représentation des femmes, en Nouvelle-Aquitaine.

Dans la même série

Femmes en entreprise