Guillaume Cutuli : « On est venu chercher à La Rochelle la richesse de l'écosystème » - Premium

Comment est organisé le groupe Decathlon ?Tribord est aujourd'hui une marque complètement intégrée dans le groupe de Decathlon qui compte 1.700 magasins dans à peu près 50 pays et qui réalise un chiffre d’affaires d’environ 16 milliards d’euros. Chez Decathlon, il y a trois filières : les magasins dans lesquels sont distribués de manière quasi exclusive l’ensemble de nos produits, une filière pour la conception des produits, et une filière industrielle complètement intégrée. C'est-à-dire que lorsque le produit a été conçu, prototypé et testé, on le met dans les mains d'une filière industrielle qui a la charge de le produire avec des partenaires industriels un peu partout dans le monde. Decathlon n'est pas seulement une marque de distributeur, c'est aussi une marque de concepteur. La marque Tribord existe depuis 1997. Elle est spécialisée dans la conception des produits pour les sports d'eau. Elle s'est consacrée uniquement à la partie voile depuis 2016. Quelle a été la stratégie pour la développer ? En 1976, lorsque Michel Leclercq a créé Decathlon, c’était uniquement une entreprise de distribution de produits. À partir du début des années 1980, on a commencé à concevoir nos propres produits en interne par le vélo. Pour la petite histoire, ça a commencé car notre fournisseur de vélo avait refusé de nous livrer des vélos donc le fondateur a décidé que nous allions les concevoir nous-mêmes. Et c'est comme ça qu'on a commencé à concevoir nos propres produits pour différents sports. On a voulu y associer des marques dont la marque Tribord. A partir de là, les équipes de conception ont été regroupées sous des marques qui elles-mêmes étaient dédiées, soit à des sports, soit à des groupes de sport. Tribord a été dédiée à l'ensemble des sports d'eau. En 2014, le nouveau directeur général a souhaité aller encore plus loin dans la conception pour être encore plus pointu sur la technicité de nos produits en divisant les équipes sur des usages sportifs très précis. La voile a été identifiée comme un des usages des sports d’eau avec des équipes à 100% dédiées sur la conception de ces produits.Depuis quelques années, l’un des enjeux est d’augmenter votre chiffre d’affaires par du business décarboné en développant notamment la réparation, la location et la seconde vie des produits. Pour 2026, Decathlon vise 5% de son chiffre d’affaires par ce biais. Comment travaillez-vous sur cet objectif ?Cette notion d'impact carbone est un sujet central qu’on a commencé à aborder un peu avant 2016. On a déjà mesuré notre impact carbone de façon précise pour savoir ce que génère notre activité sur l'environnement. Ensuite, l’entreprise s'est engagée à respecter les accords de Paris avec une réduction de l'impact carbone de 20% entre nos émissions de 2021 et 2026. Cette trajectoire carbone est devenue aussi importante chez nous aujourd'hui que notre trajectoire économique. On commence à décorréler notre trajectoire économique de notre trajectoire carbone. Cela a été très compliqué car on reste un groupe en recherche de croissance mais de croissance un peu différente. On essaie de décorréler notre courbe de croissance du chiffre d'affaires en vendant plus de produits parce qu'on a touché plus d'utilisateurs sportifs mais avec des produits moins impactants. C’est le travail au quotidien des équipes qui travaillent à La Rochelle de répondre à cet enjeu. Le deuxième point sur lequel on travaille est l’objectif de réaliser 5% du chiffre d’affaires 2026 en business décarboné, c’est à dire un milliard d’euros avec la réparation, la seconde vie et la location des produits. Il s’agit de générer de la valeur sans remettre des produits en distribution sur le marché. On accélère très fortement là-dessus depuis deux ans mais c'est compliqué. On est face à beaucoup de problématiques. Par exemple, lorsque vous voulez réutiliser un produit en seconde vie, ça change aussi la façon dont vous le concevez. C'est un virage qu'on essaie de prendre et on apprend tous les jours sur ce sujet là qui génère aussi de nouveaux métiers. Aujourd'hui on est à peu près à 2,5 %, donc environ 500 millions d'euros sur des modèles autres que la vente de produits. La réparation représente la majorité de ce chiffre car les ateliers Decathlon, c'est une activité historique qu'on a depuis toujours dans les magasins. Cela représente une part de notre chiffre d'affaires qui n’est pas négligeable et on accélère avec des croissances à plus de 100% sur de la location et de la seconde vie. Mais on a du chemin à faire si on veut doubler ce chiffre dans les deux prochaines années.Pourquoi avoir choisi d’implanter le Tribord Sailing Lab à La Rochelle ? Au départ, nous étions sur le port d’Hendaye. En 2016 s’est posée la question de relocaliser notre marque de voile à un endroit plus stratégique pour nous faire franchir un cap en terme de conception en étant basé à un endroit où on va aller à la rencontre d'utilisateurs les plus exigeants. Le choix du lieu s’est fait sur trois critères. Le premier était de s'implanter au cœur d'un écosystème avec des pratiquants de tous niveaux. A La Rochelle, on est à côté de l’un des plus gros clubs de voile de la façade Atlantique avec des jeunes qui apprennent, des champions olympiques et des skippers de course au large avec un niveau d’exigence extrême. Le deuxième critère que l’on est venu chercher ici a été la richesse de l'écosystème avec notamment des entreprises et des organismes de formation sur lesquels on pouvait s'appuyer pour concevoir des produits. Le dernier critère a été notre volonté de nous implanter quasiment les pieds dans l'eau pour avoir des boucles d'itération de conception très courte, en allant tout de suite tester nos produits.« Ils ont pris notre designer équipé du gilet qu'il est en train de développer, avant de le larguer en mer à minuit » Le Tribord Sailing Lab est situé au coeur du port des Minimes, quelles sont ses spécificités ?Nous sommes une équipe de quarante personnes sur des métiers qui sont liés, à 60 %, à la conception. On a un atelier de prototypage et de test mais on est aussi un lieu qui est un vrai outil de travail avec trois piliers qui créent de la valeur pour nos équipes. On a voulu en faire un lieu d'inspiration car pour concevoir des produits, un élément essentiel est l'observation en passant du temps sur le terrain, sur les pontons, sur les spots de pratique pour échanger avec les pratiquants et identifier des problématiques, des besoins qui demain deviendront des projets, puis des produits. On a aussi besoin d'inspiration externe sur des tendances sociétales et des évolutions dans le monde du sport. Pour cela, on s'est associé avec une entreprise externe, basée à Annecy, qui s’appelle Codezero et qui a de manière temporaire un espace sur notre site. Elle nous alimente en contenus inspirants dans le monde du sport. Cela passe aussi par des conférences et témoignages sur des thématiques liées au nautisme ou au développement durable. Nous sommes également un vrai lieu d'échange qui est ouvert au public et on accueille des entreprises en séminaire ou pour visiter le site. Enfin, notre troisième pilier est d’être un centre de co-création. On sollicite des pratiquants, des skippers, des plaisanciers pour venir nous aider à concevoir les produits. Nos deux priorités sont l'imperméabilité pour le marin et la sécurité en mer. On s’est donc associé au skipper Yannick Bestaven et à la SNSM pour faire de la co-conception de produits et aller beaucoup plus loin par rapport à leurs expériences et leurs besoins. Pour la petite anecdote, il y a un mois, ils ont travaillé sur la visibilité d'une personne en mer et notamment à quelle distance on peut repérer une personne qui est en mer avec des lampes qui sont sur les gilets auto gonflants. Donc ils ont pris notre designer équipé du gilet qu'il est en train de développer, avant de le larguer en mer à minuit. Ils sont sympas, ils ont mis une petite valise GPS quand même... L'idée était de s'éloigner suffisamment jusqu'à perdre le contact visuel avec lui. Le designer qui a vécu cette expérience a pris conscience d'une situation dans laquelle des plaisanciers peuvent se retrouver et je pense qu'il ne conçoit pas le gilet de la même façon aujourd'hui. Quels sont les produits sur lesquels vous travaillez le plus et sur quelles améliorations travaillez-vous ?On a fait le choix de cibler nos innovations et investissements de développement sur la sécurité en mer et l’imperméabilité, donc on va essayer d'aller parfois au-delà des normes. Par exemple, un gilet de sauvetage pour aller à deux milles nautiques des côtes doit permettre de flotter et de vous retourner pour vous dégager les voies respiratoires en moins de dix secondes. C'est la norme pour toutes les marques et tous les concepteurs de gilets de sauvetage. Seulement on s’est aperçu que les tests qui sont réalisés par des cabinets externes sont faits sur des mannequins en maillot de bain. Or quand vous faites de la course au large, vous êtes rarement en maillot de bain… Et si vous tombez à l’eau équipé d'une salopette et d'une grosse veste de voile, il y a des poches d'air qui peuvent se former à l'intérieur et perturber le retournement d'un corps inconscient. On a donc travaillé avec la SNSM pendant trois ans pour développer un gilet qui permet de retourner quelqu’un en moins de dix secondes en tenant compte de ces paramètres. Le deuxième biais de la norme, c'est que ce temps de retournement est le même pour un adulte que pour un enfant de trois ans. On a fait ce constat il y a quatre ans et on a fait le choix de retirer de la vente nos gilets pour les enfants de moins de quinze kilos. Puis, on a travaillé sur un gilet qui permet de retourner un enfant instantanément lorsqu'il tombe à l'eau. Ca nous a pris quatre ans de développement. Lire aussi notre article sur le Tribord Sailing Lab

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