Damien Courcaud : « Le recrutement saisonnier, c'est le nerf de la guerre » - Premium

Le 11 mars dernier, vous avez reçu la médaille de Chevalier dans l'Ordre du Mérite Maritime des mains d’Eric Banel, directeur général des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture. Quel a été votre parcours professionnel ?Je suis né à La Rochelle et j’y ai grandi. J’ai suivi un collège et un lycée sport études rugby au Stade Rochelais et rapidement j’ai réalisé que je ne pouvais pas perdurer dans le rugby. J'ai ces deux passions : le rugby et la mer. J’ai donc fait des études de marine marchande. Après une prépa, j’ai rejoint l'école nationale supérieure maritime à Marseille. A l'âge de 18 ans, j’ai navigué sur le Belem, je faisais des saisons et j'ai enchaîné pendant quatre ans en tant que mousse, puis matelot et ensuite officier. J’ai travaillé pour des navigations au commerce, sur le Belem, des porte-conteneurs. J'ai aussi travaillé pour la Compagnie maritime nantaise, plus connue sous le nom de transport de la fusée Ariane car elle transporte les éléments de la fusée jusqu'en Guyane. Les pilotes de ligne ont des heures de vol, nous on a des temps de navigation à valider pour valider notre compétence au sein de la marine marchande. Ma formation a été sur le côté machine et j’ai fait à la fois la conduite du navire commercial et la navigation.Pourquoi et comment s’est créée votre entreprise ? La Compagnie Interîles a été créée en 1988 mais en fait, pour être précis, elle a été créée en 1966. Lors de la construction du pont de l'île d'Oléron, il y avait une flotte de bacs qui transportait les voitures mais qui n'avait plus lieu d'exister. Le département de la Charente-Maritime avait créé une régie qui a commencé à exploiter des bateaux interîles. Mon père qui a été officier de la marine marchande et qui a navigué sur des pétroliers au long cours, a aussi navigué sur des petits bacs qui reliaient l'île de Ré ou l'île d'Oléron ou l'île d'Aix au continent. En 1988, il était à la régie du département. C’est aussi l’année de la construction du pont de l'île de Ré. Le Département décide de se séparer de la régie des passages d'eau de la Charente-Maritime et de privatiser la flotte. Pour éviter un plan social, les repreneurs devaient engager les marins et créer une nouvelle activité. Pour remplacer les bacs qui reliaient le continent et les îles avec de la marchandise, ils ont décidé de créer les croisières entre le Pertuis d'Antioche et le Pertuis Breton.« La flotte s’est modernisée, agrandie et diversifiée »Quelles sont les différentes activités de votre groupe, qui s'étend du nord de la Vendée jusqu’au sud de la Charente-Maritime ?On fait uniquement du passager et on exploite dans trois départements. En Vendée, sous la marque Compagnie Vendéenne pour relier l’île d’Yeu, en complément du service public avec trois bateaux. En Charente-Maritime, on a des bateaux au départ de La Rochelle, la Tranche-sur-mer, Saint-Martin-de-Ré, Saint-Denis-d'Oléron, Boyardville, Rochefort, Fouras et Port-des-barques. Et en Gironde, on a un tout petit bateau qui appartient au département de la Charente-Maritime qui nous en laisse la gestion. Il fait la route des châteaux, mais par l'estuaire en naviguant entre Royan et Bordeaux. Notre activité est saisonnière, on commence du début des vacances de février jusqu'aux vacances de la Toussaint. On opère en tout 20 navires sur les trois départements. On transporte environ 350.000 passagers par an sur toutes les compagnies. On réalise, sur la partie maritime, environ 11 millions d’euros de chiffre d’affaires.Comment la demande a évolué et comment avez-vous adapté vos services ?Déjà, il y a 35 ans, les émissions du fort Boyard n’étaient pas connues donc au début les lignes maritimes passaient à proximité du fort. Quand les émissions sont arrivées, il a fallu rapidement adapter l’offre et les navires. On est passé sur des navires beaucoup plus larges, avec des ponts ouverts et des commentaires. Il a fallu adapter l'offre sur la partie événementielle, liaison maritime, privatisation de navire, sur différentes typologies de navires… Donc la flotte s'est modernisée, agrandie et diversifiée. En 2018, on a créé une filiale qui s’appelle Interîles catamarans. On possède trois catamarans à voile qui font entre 60 et 75 pieds et qui peuvent emmener entre 50 et 80 personnes. C'est un autre type de navigation sans forcément un objectif d'itinéraire très précis. C'est de la navigation à la voile, de la croisière de quelques heures ou à la journée. Ce sont des bateaux avec des moteurs moins polluants, plus fun, avec des bars, différents ponts solarium…Avant, on faisait aussi 100% de notre billetterie dans nos petits kiosques ou dans nos points de vente. Aujourd'hui, la force de Compagnie Interîles est d'avoir 180 revendeurs en Charente-Maritime et dans les départements limitrophes. Nos revendeurs sont nos partenaires commerciaux : offices de tourisme, hôtels, restaurants, conciergeries… On vend aussi beaucoup en ligne. Selon les exploitations, la part de vente de billetterie en ligne est entre 40 et 60%. Au niveau de l’expérience client, il y a deux ans, on s’est fait accompagner pour lancer les e-tickets avec un QR code sur le smartphone des clients. Désormais, on est quasiment à 100% sur la Vendée et 80% en Charente-Maritime en e-tickets.De 26 salariés à l'année à 180 en saisonVous passez de 26 salariés à l’année à 180 en saison… Comment gérez-vous vos ressources humaines ?C'est le nerf de la guerre, le recrutement saisonnier. C'est de plus en plus dur de recruter. On n'appelle pas ça la ressource humaine, dans notre jargon, on appelle ça l'armement parce qu'on arme un bateau. On a quand même 26 personnes à l'année. C'est aussi la force et les moyens que l'on s'est donné : garder un staff au bureau, une équipe commerciale, marketing et technique qui reste avec nous toute l'année. On a des navigants que l'on embauche à l'année, ça nous permet déjà d'avoir un volet de compétences que l'on retrouve et après on essaie de fidéliser. Mais sur les emplois saisonniers, on a des grandes saisons qui sont parfois de huit mois, d’autres de cinq, six mois, et les courtes saisons pour juillet-août. On a environ 110 marins et 70 commerciaux.Quels profils cherchez-vous en particulier et avez-vous des difficultés à recruter ?On recherche des gens motivés, qui veulent travailler le soir et le week-end. Heureusement, sur la partie terrienne, on a nos réseaux qui nous permettent de recruter et de former assez rapidement. Pour les marins, c'est difficile. On recherche des capitaines, des chefs mécaniciens, des matelots et on a du mal à trouver des mécaniciens, par exemple. Moi, c’est ce qui m'a fait rêver, c'est ce qui m'a passionné au début de naviguer, de toucher à tout, d'être matelot, mécanicien, capitaine et aujourd'hui, on voit que de moins en moins de personnes formées. On essaie d'être au plus près des écoles en parrainant des classes de marine marchande et de lycées maritimes mais on a du mal à trouver des jeunes. Cependant, depuis trois ans, on peut accueillir des stagiaires mineurs, ce qui ne se faisait pas avant. On arrive à embaucher des jeunes mineurs qui découvrent le métier et qu’on essaye de garder. Depuis 2013, vous avez deux bateaux dédiés à l’événementiel qui peuvent être privatisés pour des particuliers ou pour les professionnels. Pourquoi avoir développé cette activité ?L'événementiel a toujours eu une place chez Compagnie Interîles. En 2013, on a investi dans le navire, l'Espérance I qui est dans le Vieux Port de La Rochelle. Cela nous a permis de répondre à cette demande événementielle que l’on peut avoir de la part de nos partenaires ou des entreprises plutôt locales, mais aussi d’allonger la saison. On s'est dit, on va garder un équipage, on va développer un service commercial et événementiel et on va essayer de proposer des sorties en mer.« On essaie de développer un bateau hybride pour les années à venir »Vous faites partie de la communauté des entreprises engagées. Quelles sont vos solutions pour réduire votre empreinte environnementale ?On a travaillé sur différents sujets. L'objectif en 2018 de créer la filiale Catamaran était aussi de commencer à décarboner, mais en ayant une autre offre que l'on puisse proposer à nos partenaires. Les catamarans remplissent bien leur rôle, car on peut naviguer, faire de la prestation et on est sur un modèle de navire qui consomme extrêmement peu, qui marche bien avec le vent. Le dernier bateau a été construit et étudié par un consortium d'entreprises locales pour moins consommer. Il a des moteurs très peu puissants et une grande voile. Notre deuxième transition, c'est qu’on a confié au bureau d'études Alternatives Énergies, situé à La Rochelle, une étude sur la propulsion hybride de demain. On essaie de développer un bateau hybride pour les années à venir. En parallèle, on se fait accompagner par la BPI et Biocoop sur la valorisation des déchets et l’entretien des navires. Il y a plusieurs actions qui ont été mises en place. J'aime bien travailler sur cet outil de demain. Il faut que ce soit un bateau moins polluant mais aussi commercialement attractif et qui fonctionne bien car on parle quand même de business. L'hybride, l'hydrogène, le solaire, tout cela va viser à baisser la puissance des moteurs et donc le niveau d’émissions. On est aussi sur la piste du biocarburant. On travaille avec des motoristes qui doivent nous agréer, nous certifier la possibilité d'utiliser un carburant différent.Quels seront les principaux enjeux et défis à relever pour votre entreprise dans les prochaines années ?Nous avons déjà eu de nombreux changements ces dix dernières années au niveau de l'outil, du recrutement, de la relation avec les salariés, avec la compétence en interne… Au début, il y avait très peu de personnes au service commercial, aujourd’hui il s’est étoffé avec nos services marketing, communication et événementiel. Sur les enjeux techniques, il y a un vrai virage, il y a une décision gouvernementale et une action de toutes les entreprises et les utilisateurs qui vont être décisives dans les années à venir. Concernant l’hydrogène, il faudra bien mettre en face les contraintes qui vont avec : stocker de l'hydrogène dans le Vieux Port de La Rochelle, charger de l'hydrogène et la formation des membres d'équipage. Dernière question… Fort Boyard attire beaucoup de touristes sur vos bateaux. Qu’avez-vous prévu si l’émission s’arrête et que l’intérêt pour le fort diminue ?Nous n'avons pas que des produits Fort Boyard. En 2012, on a créé la liaison Oléron-La Rochelle pour emmener des passagers mais aussi des vélos. En 2017, on a acheté L’Amour des îles, un bateau mixte que je suis allé chercher à Porquerolles et qui transportait des palettes d'eau. On a mis des racks à vélo et donc on emmène jusqu'à 35 vélos pour aller sur l’île de Ré. Les gens peuvent partir de la Rochelle, passer le pont et revenir en bateau ou faire l'inverse. On a donc développé ces liaisons maritimes et aujourd'hui on voit qu’elles sont en train de prendre plus de place sur des périodes de forte affluence. On a aussi créé une offre en partenariat avec Google où on a fait matérialiser le trajet du bateau. Si vous voulez partir de Paris et arriver à Saint-Martin-de-Ré, on peut suivre le trajet sur Google. Ce sont d'autres liaisons qui nous ramènent un chiffre d'affaires complémentaire à celui de fort Boyard. Par ailleurs, le Département a lancé un vaste plan d'aménagement et de rénovation du fort. Ils veulent reconstruire et reconsolider la partie empierrement. J'ai hâte de voir ce que veut aussi faire le Département sur le fort Boyard de demain. C'est un peu la Tour Eiffel de la Charente-Maritime...

Damien Courcaud : « Le recrutement saisonnier, c'est le nerf de la guerre » - Premium

Sur le même sujet

44 millions d’euros consacrés à la restauration du Fort Boya ...

Tourisme : des voyants au vert, mais des professionnels prud ...

Loopi veut favoriser la mobilité durable dans le tourisme

L’IA en accusation : RV le 29 mai pour l’anniversaire de Pla ...

Premier afterwork immobilier à La Rochelle

Table ronde : « Santé et prévoyance : la protection du dirig ...

Les experts de la logistique maritime seront au « Shipping d ...

Un atelier autour de la propriété intellectuelle

FFB17 : un tour de Charente-Maritime pour rencontrer les art ...

La sobriété foncière en question

Speed meeting professionnel entre adhérents avec Placéco et ...

L’IA en accusation : RV le 29 mai pour l’anniversaire de Placéco Charente-Maritime

DigitÉco #11 : votre IA, open source ou propriétaire ?

DigitÉco #10 : IA et santé, enjeux et perspectives

Retour de Plage mise sur la formation et la RSE pour se développer

Carton Vert lève 1,4 million d’euros pour développer le réemploi de cartons

AMB conquiert de nouveaux marchés et entame une démarche RSE

Le Tribord Sailing Lab co-crée ses produits avec les sportifs