Dominique Mockly : « Faire le job d’aujourd’hui tout en préparant les infrastructures de demain » - Premium

Vous quittez la présidence de Teréga après neuf ans dans l’entreprise. Que retenez-vous de vos mandats de PDG ? Je pense que le premier point important, c’est d’abord de reconnaître que le travail fait par les équipes précédentes était un très bon travail. Je suis arrivé dans une entreprise saine qui avait besoin d'affirmer son identité et son indépendance, son caractère propre. C’était le premier objectif de mes trois mandatures, d’où le changement de nom de l’entreprise. L’identité que nous avons voulu créer à ce moment-là était forte dans les territoires, qui joue à la fois un rôle au service des usagers, et aussi un rôle d'animation, au travers de notre politique RSE. Mais il y avait aussi l’aspect national. Nous sommes l’un des deux opérateurs gaziers de France, et il s’est produit pendant ma première mandature un événement important : la mise en place de la TRF, la zone unique de tarifs en France, dans un équilibre entre nous et Natran. Même si nous sommes deux entreprises de tailles différentes, il était important de faire reconnaître notre rôle dans l’équilibrage du réseau, que nous assumons une semaine sur deux, de faire reconnaître que le réseau que l’on gère est vital pour le pays. Une partie de mon action a été de faire monter en gamme Teréga, avec des équipes qui animaient ce rôle national. Enfin, nous avons aussi un aspect européen. Nous gérions déjà les interconnexions avec l’Espagne, mais de plus en plus, l’Europe de l’énergie se constitue, et nous avons affirmé notre rôle en son sein. Cette nouvelle identité a été accompagnée de la mise en place d’un plan stratégique, Impacts 2025, qui prévoyait de continuer à développer les activités traditionnelles dans le gaz, mais aussi de développer les nouveaux gaz, le biométhane, et de préparer le futur et les autres gaz potentiels, le CO2 et l’hydrogène. Porter tout cela, l’incarner, cela ne se fait pas en envoyant des courriers. Mon rôle était de porter ces messages, de leur donner un peu d’âme. Quels moments-clés de vos mandats identifiez-vous avec le recul ?En 9 ans il se passe plein de choses… 2018 fait rentrer nos stockages dans un mode de fonctionnement dit « régulation ». Jusque là, nos capacités de stockage étaient achetées commercialement. En 2018, le régulateur a décidé de ne pas les laisser au libre choix des acteurs mais d’imposer un taux de remplissage donné. Nous avons dû nous y adapter. Et il est fort probable que s’il n’y avait pas eu ce système, quand la Russie a attaqué l’Ukraine et que l’Europe a décidé de ralentir les approvisionnements russes, nous nous soyons trouvés dans une situation plus difficile. « La crise du Covid a montré le bon fonctionnement de l'entreprise »La guerre en Ukraine et la crise énergétique ont tout changé, en particulier en faisant des approvisionnements énergétiques un sujet politique et mettant sur le devant de la scène des acteurs comme Teréga, plus habitués à jouer un rôle technique en coulisses… Vous réalisez que vous n'êtes pas une entreprise comme les autres le jour où vous faites partie des cellules de crise nationale. Je devais être à Paris une fois par semaine, pour différentes cellules à plusieurs niveaux d’intervention. Des décisions étaient prises, c’était ensuite à nous d’assurer leur mise en œuvre, de communiquer ces décisions, de nous assurer que les clients avaient bien des plans de diminution de la consommation, et même de prévoir des scénari en cas de délestage, aider les préfectures à déterminer à qui couper les approvisionnements en premier pour protéger la consommation des ménages… Une période clé pour la transition écologique puisqu'un certain nombre de baisses de consommation énergétique a été réalisé sous la contrainte des coûts, mais est ensuite devenu pérenne. À lire également - Perspectives Gaz : « tous les feux sont au vert » pour la méthanisation agricoleVous vous êtes retrouvés dans la situation assez unique d’être une entreprise agissant activement pour faire baisser la demande du produit qu’elle vend… Ce n’est pas unique à Teréga. Les stations services vendent les produits traditionnels, mais elles ont aussi des recharges électriques. Tous les gens qui vendent du fioul pour les maisons doivent aussi proposer des alternatives. De toute façon, à partir de 2034, les clients industriels n’auront plus de quotas CO2, il faut les accompagner dans cette évolution. Et puis, entre l’épisode de 2018 et la guerre en Ukraine, il y a eu une autre crise, celle du Covid. Qu’en retenez-vous ? Cette crise a montré le bon fonctionnement de l'entreprise. Nous avions entrepris une transformation digitale pour avoir les mêmes outils au bureau qu’à la maison, partant du principe déjà à l’époque que ceux dont on dispose chez soi sont souvent meilleurs. Donc, quand nos collaborateurs se sont retrouvés confinés, ils sont restés en contact avec l’entreprise et ont pu continuer de faire fonctionner le réseau dans de bonnes conditions. Le plus difficile a été de s’assurer que les équipes sur site ne prenaient pas de risque sanitaire, qu’il n’y avait pas de contact entre elles… Cela a demandé une très forte action des opérationnels et des équipes RH, mais finalement, on n’a pas eu de trou dans la raquette. « Quand on laisse les gens s’exprimer, on peut vraiment profiter de toute la richesse de l’entreprise »Au-delà des crises, quels épisodes de vos mandats vous ont marqué ?Un événement en particulier, la décision franco-espagnole que l’interconnexion hydrogène Barcelone-Marseille se ferait par la mer. Il existe très peu de connexions gazières sous-marines. Il fallait tout redéfinir. Sur terre, nous partageons notre territoire avec Natran selon des critères connus. En mer, quelle allait être la géographie qui s’appliquerait ? Nous avons décidé d’être pragmatiques, de nous engager très vite sur cette nouvelle interconnexion, et nous avons obtenu un accord dans le cadre d’un consortium avec Natran, dans lequel on se partage la responsabilité française de cette infrastructure à 70-30. C’est un partage juste, car même si nous n’avons que 14% du réseau de gaz français, c’est nous qui gérons toutes les interfaces avec l’Espagne. Cette décision de bâtir cette interconnexion sous la mer nous a surprise, mais nous avons su prendre le bon côté des choses et rebondir. Ensuite, de façon peut-être plus anecdotique, je pense au Teréga Open Pau Pyrénées, qui est une belle réussite de notre politique RSE. La rencontre avec Jérémy Chardy et ses équipes était insolite, et elle s’est produite à un moment-clé pour nous. J’ai fait beaucoup de rencontres comme cela, et c’est aussi cela qui fait le charme du domaine dans lequel travaille Teréga. Ce que l’on fait, ça n’est pas superficiel, ça touche les gens et les territoires. Enfin, il y a quelque chose qui est pour moi extraordinaire. Quand je suis arrivé, nous voulions que notre entreprise soit « doublement positive » à l’horizon 2050, c’est-à-dire non seulement transporter des énergies vertes produites sur notre territoire, mais aussi être capable de minimiser nos propres émissions. Sur ce point, ce sont nos collaborateurs qui ont construit eux-mêmes notre programme. Quand on laisse les gens s’exprimer, on peut vraiment profiter de toute la richesse de l’entreprise ! À lire également - Pourquoi Teréga sponsorise un open de tennisVous évoquiez la dorsale hydrogène européenne. De plus en plus, des doutes s’élèvent sur l’avenir de la filière hydrogène en Europe. Continuez-vous de croire en ce gaz ?Nous, nous croyons dans toutes les molécules qui vont décarboner et permettre la réindustrialisation du pays. Parmi ces molécules, il y aura de l'hydrogène, du biométhane, et aussi le CO2 via la capture, le stockage et l’utilisation [CCUS]. On continue d’y croire. Si on n’est pas capables en Europe d’avoir de l'hydrogène vert à des coûts intéressants, on aura une fois de plus de l'industrie qui va quitter le territoire. Pour avoir des écosystèmes qui se développent, il faut des infrastructures, car les industriels qui consommeront de l’hydrogène vert viendront là où elles existeront. Les doutes que vous évoquez viennent des interrogations sur la compétitivité de ces molécules. Mais on a, en Espagne et dans le Sud-Ouest de la France, des capacités solaires et éoliennes, qui sont complémentaires, et on aura la capacité de faire de l’hydrogène vert compétitif.« On ne peut pas dire que nos infrastructures sont bienvenues si elles ne le sont pas sur le plan local »Le CCUS a aussi été le sujet d’un autre épisode marquant de votre dernier mandat, la vive controverse au sujet de l’utilisation de Lacq pour le stockage de CO2. Quels enseignements tirez-vous de cet épisode ? La question du sous-sol se gère à deux niveaux. C’est d’abord une question locale : votre sous-sol, c’est le vôtre, il a sa valeur. Et puis c’est aussi une question de responsabilité nationale. Il doit y avoir un vrai alignement entre ces deux niveaux avant de progresser. C’est la leçon principale que je tire de cette histoire, les sujets du sous-sol doivent être traités aux deux niveaux en même temps, et portés politiquement. Nous sommes un instrument potentiel pour les mettre en œuvre, mais ce sont des sujets trop importants pour notre pays, nos citoyens, pour que nous puissions être considérés comme ceux qui poussent. Et on n'imposera pas ces projets contre la volonté d’un écosystème qui ne les veut pas. D’ailleurs, ce sera pareil avec l’hydrogène : on ne peut pas dire que nos infrastructures sont bienvenues si elles ne le sont pas sur le plan local. À lire également - Enfouissement de CO2 en Béarn : « Ce projet n'est pas un problème, mais une solution ! »Vous quittez l’entreprise dans laquelle vous avez passé neuf ans. Que laissez-vous en héritage ? Je ne crois pas qu’il y ait un héritage… d'après moi, le plus important, c’est l'entreprise et son positionnement. Aujourd’hui, nous sommes une entreprise indépendante, de taille moyenne, intégrée dans les territoires, actrice d’un service public, reconnue en tant que telle. C’était l’objectif que je m’étais donné, et qu’il fallait atteindre vite. Maintenant, il faut le préserver. Nous avons aussi inscrit dans notre raison d’être le fait d’être un acteur de la transition énergétique. Ca aussi, il faut le continuer. Quels seront les défis futurs de Teréga ? La montée en puissance des gaz verts, à des vitesses que l’on ne connaît pas bien. Il faut être capable de faire le job d’aujourd’hui, tout en préparant les infrastructures de demain, et avec des flux gaziers dont on ne connaît pas encore les volumes. Y en aura-t-il un peu moins ? Beaucoup moins ? On ne sait pas, et il faudra pourtant évoluer dans ces environnements-là et préparer les infrastructures dont auront besoin nos industriels pour la réindustrialisation et la décarbonation. Récemment, BP a annoncé une volte-face sur sa sortie des hydrocarbures, cela vous inquiète-t-il pour la transition énergétique ? Là-dessus l’entreprise est résiliente, on verdit le gaz et on va continuer à le verdir. Chez les grands pétroliers, il y a un arbitrage en cours entre les énergies traditionnelles et la bascule vers de nouvelles molécules, mais nous avons ces deux activités, et l’entreprise est prête à plusieurs types de scénarios. Il y a en ce moment des tendances données par un gouvernement précis, mais nos industries raisonnent à des échelles bien plus grandes que celle d’un mandat.Et vous, qu’allez-vous faire maintenant ? Je ne vais pas complètement me détacher du territoire. Je vais continuer à participer à la seconde phase de Territoires d’Industrie Lacq-Pau-Tarbes, et je pourrai y consacrer un peu plus de temps dans mon rôle de référent industriel. Ensuite, j’ai bien l’intention de continuer à accompagner et à conseiller des entreprises !

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