Patrice Gazzarin, Unicem : « Il faut un consensus autour des carrières » - Premium

Après une année de crise, quelles sont les perspectives d’activité pour la filière des matériaux de construction en Nouvelle-Aquitaine ? Après l’effondrement de l’activité au printemps 2020, nous avons observé une période de rattrapage en fin d’année. Pour 2021, on est sur une activité relativement porteuse, tant dans le bâtiment que dans les travaux routiers, avec un niveau qui atteint presque celui de 2019. Aujourd’hui, on constate un léger atterrissage par rapport à la période de suractivité due au rattrapage, mais 2021 devrait se traduire par un niveau d’activité nettement supérieur à celui de 2020. Le premier semestre 2022 s’annonce lui aussi globalement positif, mais il subsiste beaucoup d’incertitudes pour la suite. Elles découlent en premier lieu du renchérissement du coût des matières premières mais aussi de leur disponibilité problématique. Les chantiers sont tributaires du manque de produits ou de matériaux, que ce soit le bois, le plastique, ou certains biens de consommation mis en œuvre, ce qui freine l’activité. Nous y comme nous-mêmes confrontés sur certains investissements, avec des sous-traitants qui rencontrent des difficultés pour s’approvisionner en matériaux de base comme l’acier ou le caoutchouc, qui servent à la construction de nos machines. Il existe également une incertitude sur les restrictions budgétaires qui pourraient être mises en œuvre pour passer à l’après-crise. Si l’Etat décide de faire des économies, il risque de cibler d’abord les budgets liés aux investissements. Le colloque organisé par l’Unicem Nouvelle-Aquitaine a pour thème « Carrières et matériaux de construction : une filière durable au service des territoires ». Vous souhaitez dire aux collectivités locales qu’il faut faciliter l’ouverture de nouvelles carrières ? Nos métiers, et principalement les carrières, souffrent d’un manque d’acceptabilité. C’est le fonds du problème que notre syndicat et les entreprises adhérentes cherchent à résoudre. Aujourd’hui, le granulat fait consensus, tout le monde est d’accord pour dire qu’il est indispensable pour construire des logements ou aménager le territoire, mais dès qu’on aborde la question des carrières, le consensus se fait beaucoup plus difficilement, parce que les élus ont peur de se mettre leurs administrés à dos en autorisant la création d’une carrière. Or notre métier dépend de l’accès à une ressource géologique. Si on n’a pas la capacité de renouveler les gisements et donc de garantir au marché une pérennité des approvisionnements, c’est tout le BTP qui en pâtit. C’est le syndrome du Nimby (Not in my backyard) qui nous pose problème, alors que beaucoup d’idées reçues sur les carrières, comme la poussière ou le bruit, n’ont plus lieu d’être. Le syndicat professionnel impulse les bonnes pratiques, et l’ensemble de la profession a fait d’énormes progrès pour limiter l’impact de nos activités, et apporter des réponses aux reproches qui nous sont adressés. La plupart de nos adhérents ont obtenu les labels qui permettent d’être crédibles quant à ces progrès.L’ambition du colloque est donc d’expliquer ce que nous faisons et de montrer qu’on sait gérer notre impact, mais aussi de faire savoir que nous allons plus loin. Si notre vocation première reste la production de matériaux indispensables pour l’aménagement du territoire, nous offrons aussi des perspectives sur le devenir de la carrière après réaménagement. Nous pouvons proposer de vraies opportunités au territoire, qu’il s’agisse de parc de loisirs, de zones de pêche ou même simplement de terrains remblayés remis en culture. A l’issue de l’exploitation d’une carrière, nous pouvons offrir un aménagement et donc un devenir différent à un site. La question des nuisances liées au transport par camion reste un sujet de dissension. Comment la filière peut-elle agir sur ce volet ? Le transport reste notre talon d’Achille, mais si on veut construire, il faut bien que les matériaux arrivent. Je vous pose donc la question : est-ce la carrière ou le chantier qui produit le transport ? C’est la raison pour laquelle nous prônons la logique du circuit court, qui nous permet d’être pertinents à la fois en matière de développement durable et sur le plan économique. Dès qu’un matériau parcourt plus de 50 km, son coût de transport dépasse son prix, donc la proximité s’impose, même si elle compromet la pertinence de solutions comme le ferré ou le fluvial. Nous nous attachons à trouver des solutions pour dévier les flux et limiter l’impact, mais est-ce uniquement notre rôle ? Une carrière est identifiée localement et on sait y associer le transport qui en sort, mais n’oublions pas que nous pesons peu au regard des transports qui traversent la France et à qui on ne demande rien. Il vous semble donc essentiel de permettre un bon maillage du territoire ? Bien sûr, ce maillage c’est d’ailleurs construit presque naturellement, parce que tout le monde a compris que de gros sites avec des volumes importants seraient intenables. Un terminal avait été construit à Grattequina, en aval de Bordeaux, pour importer du granulat venu d’Europe du Nord. On parlait d’un million de tonnes par an, vous imaginez la thrombose qu’auraient créée les camions sur la rocade ? La diffusion du transport est quasi inéluctable. Comment la filière se positionne-t-elle sur la question de la valorisation des déchets issus du BTP ? Même si notre activité repose sur l’exploitation d’une ressource naturelle, nous sommes très impliqués dans la mise en œuvre de solutions de recyclage. Nous avons déjà de très bons résultats à l’échelle de la Gironde, puisque nous recyclons plus d’1,5 million de tonnes par an, sur une consommation totale de l’ordre de 8 millions de tonnes par an. 20% des besoins sont donc couverts par des matériaux recyclés. Ma conviction, largement partagée, est que le carrier a tout intérêt à participer à cette valorisation. Il a les clients, le savoir-faire, et la possibilité de mélanger les matériaux recyclés à ses ressources naturelles pour en améliorer la qualité. Nous faisons cependant face à un paradoxe. Tout le monde est d’accord pour promouvoir les matériaux recyclés, mais les cahiers des charge, les appels d’offre et les normes ne nous permettent pas toujours de les valoriser au mieux. Les produits de déconstruction de logements ne peuvent par exemple pas être utilisés en construction, on doit donc les écouler différemment. L’industrie des matériaux souffre-t-elle, elle aussi, de difficultés de recrutement ? Nous sommes confrontés à un déficit de personnes. Il y a sans doute un problème d’attractivité, lié au fait que nos métiers sont un peu rudes et soumis aux intempéries, mais il y a aussi un manque de formation et de qualification. A part quelques écoles, comme les Mines d’Alès, qui forment des cadres, il n’y a pas vraiment de filière adaptée à nos métiers dans les catalogues de l’Education nationale. Nous avons donc mis en place des structures de formation initiale et de perfectionnement au sein de nos entreprises et de la profession, mais il reste difficile d’attirer des compétences, alors que nous sommes à la fois un pourvoyeur d’emplois et un atout pour la revitalisation des territoires, puisque nos carrières sont le plus souvent implantées en monde rural. Que pèse l’industrie des carrières et des matériaux de construction en Nouvelle-Aquitaine ? La filière regroupe en Nouvelle-Aquitaine près de 340 entreprises et plus de 660 sites de production, autour de l’extraction de granulats, du béton prêt à l’emploi et des minéraux industriels ou roches ornementales. Elle extrait 47 millions de tonnes de granulat par an, et représente un chiffre d’affaires annuel de l’ordre d’un milliard d’euros, avec 4000 emplois directs, plus de 18.000 emplois indirects et près de 1.700 emplois induits.

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