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La métamorphose de la rupture conventionnelle : la prudence est de mise

Opinion
jeudi 29 juin 2023

Marieke Castronovo est avocate en droit du travail et de la sécurité sociale pour le cabinet Fidal à Bayonne. Via la rubrique Opinion, réservée aux adhérents Placéco, Marieke partage ici son expertise en droit du travail.

La rupture conventionnelle est devenue, au fil des années, un des modes de rupture du contrat de travail les plus utilisés. Pourquoi tant d'engouement et est-ce vraiment un outil sécurisant pour les entreprises?

Le dispositif de rupture conventionnelle homologuée a été créé en 2008 pour mettre un terme aux manœuvres et stratégies pas toujours bien ficelées visant à formaliser une rupture de contrat de travail permettant au salarié d’être ensuite prise en charge par Pôle emploi, sans que son employeur ne dispose d’un motif légitime de licenciement.

En octobre 2014, la Cour de cassation, dans une décision du 15 octobre, attribue à la rupture conventionnelle homologuée le monopole de la rupture amiable du contrat à durée indéterminée (excepté lorsque le législateur en décide autrement par des dispositions spécifiques).

Moyen peu utilisé par frilosité à ces débuts, la rupture conventionnelle devient LE mode de rupture encensé par les employeurs et les salariés. Lorsque les deux parties s’accordent sur le principe d’une résiliation du contrat de travail les liant et que l’esprit de la rupture conventionnelle est donc respecté, mais pas uniquement…

De nombreux salariés ne souhaitent plus assumer la décision d’une démission même lorsque volonté de quitter l’entreprise est claire et non équivoque et qu’ils n’ont rien à reprocher à leur employeur. Ils réclament alors une rupture conventionnelle et parfois s’offusquent de se voir imposer un refus qui les priverait du filet de sécurité Pôle emploi. Or, une rupture conventionnelle, c’est une indemnité de rupture soumise à un forfait social aujourd’hui de 20% et à compter du 1er septembre 2023, de 30%. Et conserver son personnel, à plus forte raison au regard du contexte du marché du travail contemporain, c’est précieux.

De nombreux employeurs craignent de s’engager dans une procédure de licenciement, soit parce qu’ils ne disposent pas de cause réelle et sérieuse de licenciement mais que le salarié doit de leur point de vue impérativement quitter l’entreprise, soit parce qu’ils estiment que la contestation d’une rupture conventionnelle est moins probable que celle d’une notification de licenciement. Ils invitent alors le salarié, oralement pour tenter ne pas laisser de traces, à envisager une rupture conventionnelle de son contrat de travail. Au mieux, il accepte et ne fait pas de vague, mais il arrive de plus en plus fréquemment que le salarié acte de cette initiative de l’employeur par un retour écrit et mette en exergue une pression ainsi subie, voire pour les plus « inventifs », du harcèlement et l’employeur se sent piégé dans une situation très inconfortable.

La jurisprudence

Et la jurisprudence n’a pas véritablement aidé à y voir plus clair. Du moins, à cadrer davantage ces pratiques, puisque d’un mode de rupture qui se voulait totalement exclu en cas de litige entre les parties, nous sommes arrivés à une rupture envisageable dans à peu près toutes situations :

  • Pendant un arrêt de travail ordinaire : OUI (Cass. soc., 30 sept. 2013, n° 12-19.711)
  • Pendant un arrêt de travail d’origine professionnelle (impliquant juridiquement l’interdiction d’une rupture hors faute grave ou motif totalement étranger à la personne du salarié) : OUI (Cass. soc., 30 sept. 2014, n° 13-16.297)
  • Après un avis médical d’inaptitude physique au travail nécessitant normalement une procédure particulière protectrice du salarié : OUI (Cass. soc., 9 mai 2019, n° 17-28.767)
  • Dans un contexte de harcèlement moral : OUI (Cass.soc. 23 janvier 2019, n°17-21.550)
  • Dans un contexte de harcèlement moral et/ou de discrimination pour un salarié dit protégé : OUI (CE 4e-1e ch. 13-4-2023 n° 459213, A).

La cohérence de cette jurisprudence tiendrait à la réserve toujours émise dans l’ensemble de ces décisions : « sauf fraude ou vice du consentement de l’une des parties », auquel cas la rupture conventionnelle est nulle et emporte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dit autrement, organiser une rupture conventionnelle avec un salarié déclaré inapte à son emploi à la suite d’une maladie professionnelle avec possibilité de reclassement et qui pourrait donc bénéficier de recherches sérieuses de reclassement et à défaut d’un reclassement d’une indemnité légale de licenciement doublée et d’une indemnité compensatrice de préavis, ce n’est pas par principe une fraude.

Dit autrement, organiser une rupture conventionnelle avec un salarié qui a dénoncé des agissements de harcèlement moral et se retrouve même peut-être de ce fait en arrêt de travail, cela ne caractérise pas par principe un vice de consentement de ce dernier dans l’acceptation de la rupture de son contrat de travail.

C’est cela la « métamorphose » de la rupture conventionnelle du contrat de travail.

Elle devait sonner le glas des négociations nébuleuses entre employeur et salarié par rapport à Pôle emploi et voilà qu’elle devient une figure de plus en plus asymétrique dans laquelle on empile à peu près tout ce que l’on peut.

A utiliser avec précaution

Dernièrement, elle a même été présentée comme le nouvel outil d’attractivité des salariés seniors avec cette idée paradoxale que permettre la rupture conventionnelle avec exonération de cotisations sociales pour les salariés en âge de bénéficier d’une retraite à taux plein (ce qui n’était pas le cas avant et devrait l’être à compter du 1er septembre 2023), c’est leur assurer de conserver plus longtemps leur emploi…

Bref, la rupture conventionnelle c’est bien. La rupture conventionnelle, ce n’est pas le croque-mitaine dans une version pour adultes professionnellement actifs. Mais elle doit être utilisée avec précaution.

Un salarié peut accepter la rupture conventionnelle de son contrat de travail alors que le contexte professionnel est très polémique, alors qu’il est malade, alors qu’il a subi des brimades par des collègues de travail, etc. Mais rien ne vous assure qu’il ne reviendra pas sur son consentement éclairé par la suite. D’où l’impérativité de peser les pour et contre avant de s’engouffrer dans cette rupture, en rappelant qu’une transaction post-rupture conventionnelle ne peut légalement avoir d’effets que concernant l’exécution du contrat de travail et non sa résiliation : le vice du consentement ne sera donc pas « purgé ».

Quant à la situation de l’employeur qui propose une rupture conventionnelle parce qu’il veut épargner à son salarié les affres psychologiques d’une rupture motivée par une incompétence professionnelle, il faut espérer que le cas échéant, les conseillers prud’homaux comprendront que proposer une rupture conventionnelle dans un tel contexte, ce n’est pas un jeu de pression « dossier rouge, dossier bleu », et qu’il n’en subira pas les conséquences financières, mais là où tout est appréciation de faits, encore une fois, la prudence est de mise !

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