Santé mentale des dirigeants (3/4). Denis Lavaud : « Mes employés m’ont sauvé »
La santé mentale des Français est la grande cause nationale de 2025. Au-delà de l’affichage, qui contribue en partie à la libération de la parole, comment vont les entrepreneurs et dirigeants de Nouvelle-Aquitaine, pour qui le sujet est encore tabou ? Notre série livre quelques éléments de réponse.
Denis Lavaud a fondé et dirige le glacier artisanal L'Angélys depuis 1997. Crédits : L'Angélys
Denis Lavaud, fondateur du glacier L’Angélys, a traversé des perturbations avec son activité. Au point de penser au suicide. Aujourd’hui, il témoigne de ses moments de détresse pour aider d’autres dirigeants.
À 62 ans, Denis Lavaud parle de son parcours et des épreuves qu’il a traversées, sans ciller. Celui qui a fondé les glaces L’Angélys en 1997 a toujours voulu entreprendre, malgré des vents contraires et des périodes de grande détresse. « Je suis issu d’un milieu ouvrier, CGT et communiste, se remémore-t-il. Quand j’avais sept ans, un glacier italien vendait des glaces à Saint-Jean-d’Angély et n’avait pas les moyens de m’en offrir. J’allais couper des fraises et des citrons, et il me payait avec un cornet. » Le jeune Denis comprend vite, se lance dans une activité de vente d’escargots avant d'en sous-traiter le ramassage auprès de ses copains et d’aller toquer aux portes des restaurants. Le système éducatif ne semble pas fait pour lui. À 17 ans, « en échec scolaire », il se passionne « pour le foot, les filles et mon business », confie l’intéressé.
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Il se réoriente finalement vers un BEP laiterie et transformation des produits laitiers, avant d’évoluer à différents postes dans le secteur. Denis Lavaud bouge, est un temps gardien d’immeuble en région parisienne, intègre un commando marine… pour se faire embaucher, à la vingtaine, comme nettoyeur de machines dans le centre de R&D de Nestlé, à Beauvais. « Ils avaient une partie sur les crèmes glacées, c’était toute mon enfance », se remémore l’entrepreneur. Qui décide de se former durant deux ans pour devenir dégustateur mondial, une expérience qui lui permet de développer son palais. Puis il devient, à 30 ans, directeur d’un site de production de 80 salariés. « Le deal, c’était que je travaillais deux ans, puis je partais avec les recettes que je développais pour monter ma boîte. » En 1997, de retour à Saint-Jean-d’Angély, Denis Lavaud lance son affaire : une entreprise dans laquelle il investit 1.500 euros, et un petit chariot pour vendre ses glaces.
« Il faut que quelqu’un vous tende la main »
Très vite, les premières difficultés se font connaître. La maison de l’entrepreneur sert de caution bancaire, puis lui est prise. Sa voiture, son outil de travail, tombe en panne. « Je me retrouve avec rien. Mon projet n’était pas viable, alors j’ai poussé les portes des grandes surfaces », raconte Denis Lavaud. Un, deux, trois établissements. « Aujourd’hui, j’en compte 6.000 », souffle-t-il. Le projet est simple, mais légèrement trop en avance sur son temps : fabriquer des glaces artisanales de très haute qualité, abordables pour tous les consommateurs. À l’époque, l'opinion est moins regardante sur les aliments vendus en supermarchés. « Je savais que j’avais le bon produit, mais pas le bon timing », commente le patron de L’Angélys.
Soumis aux fluctuations saisonnières d’activité, l’entrepreneur réalise régulièrement des crédits de campagne, des avances sur trois mois pour tenir la saison estivale. « En 2008, je n’enregistre pas de perte mais une banque prend peur, me plante, et les autres suivent. » Durant des mois, Denis Lavaud tente de maintenir la tête hors de l’eau, sans arriver à se payer. « Mes employés m’ont sauvé, lâche-t-il. Le mardi, l’entreprise est placée en sauvegarde, et le jeudi les délégués du personnel me disent “On vous paye le restaurant, à vous et votre femme”. Si je ne les avais pas eus, je pense que j’aurais jeté l’éponge. »
Finalement, Denis Lavaud sauvera son entreprise. En demandant à l’un de ses clients, E. Leclerc, de lui passer une commande de 100.000 euros en plein mois de janvier. « C’est eux qui m’ont sauvé financièrement. Dans ces moments, tout le monde vous réclame de l’argent alors que vous n'en avez plus. Il faut que quelqu’un vous tende la main, sinon vous ne vous en sortez pas. »
Avancer et aider les autres
De ce moment, le chef d’entreprise garde un souvenir marqué. Confiant avoir pensé au suicide, il dit ne rien avoir contre les banques. « C’est leur système qui me déplaît. » Et de témoigner de la solitude vécue : « Quand on vit ces situations, on pense qu’on n’a plus de solution, on se retrouve seul. On se convainc qu’on est nul. » D’autant qu’il y a 17 ans, le sujet de la santé mentale est peu abordé - encore moins celle des dirigeants. « Aujourd’hui il existe des associations comme l’Apesa [ndlr, association pour l’aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë], qui me demandent parfois d’intervenir auprès de patrons en difficulté. C’est important, que ceux qui ont traversé des difficultés s'adressent à ceux qui en connaissent. »
L’an dernier, l’usine de L’Angélys, en Charente-Maritime, a produit quelque 2,7 millions de litres de glace artisanale, faisant de la société la n° 1 française en volume. Fort de 74 salariés (CA n. c.), Denis Lavaud revendique une gestion raisonnée de son entreprise. « Je ne prends pas de dividendes, je ne me suis pas augmenté depuis 15 ans. Après mes difficultés, j’ai vite compris que le nerf de la guerre, c’était la trésorerie. » Celui qui souhaite désormais transmettre la société à ses filles livre un dernier conseil aux entrepreneurs : « Il faut continuellement se réinventer. Le monde bouge tellement vite, il faut être multifonction et c’est cela le plus difficile », conclut-il. Denis Lavaud continuera de prendre son bâton de pèlerin pour inciter les dirigeants à prendre en main leur santé mentale. Aujourd’hui, il rêve de voir L’Angélys ouvrir une boutique à New York et à Tokyo.
L'œil de notre partenaire expert :
La mission d’Harmonie Mutuelle est d’amener le dirigeant en difficulté à prendre soin de lui. Afin de l’aider à rompre une spirale qui peut vite s’avérer dangereuse, nous mettons en action le pouvoir du collectif à travers un réseau d’accompagnement entièrement dédié à l’écoute, au partage d’expériences et au conseil. Cela permet au dirigeant de partager ses inquiétudes avec des personnes qui connaissent ou ont connu les mêmes situations et en l’incitant à accorder plus de temps à son équilibre personnel : sommeil, hygiène de vie, alimentation, gestion du stress, gestion du temps.
Magali Blanchet, Directrice Harmonie Mutuelle – région Nouvelle-Aquitaine
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