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IA : « attention à ne pas sortir le bazooka pour tuer une mouche »

Innovation
jeudi 17 juillet 2025
IA :  « attention à ne pas sortir le bazooka pour tuer une mouche »

La mathématicienne et spécialiste de l'IA Sonia Tabti alerte sur les nuances à observer pour une utilisation de l'IA respectueuse de l'impact. Crédit : Dataquitaine

La Bordelaise Sonia Tabti est spécialiste de l'intelligence artificielle. Elle plaide pour une utilisation « raisonnée » et « réfléchie » des outils à disposition des entreprises.

Sonia Tabti est docteure en mathématiques appliquées. Elle a travaillé six ans en recherche académique et sept ans en projets clients et de recherche appliquée en IA pour l'industrie. Engagée pour la diversité, elle soutient les femmes dans la tech via l'association Elles bougent et milite pour un secteur plus inclusif. 

Vous publiez régulièrement des points de vue sur l'utilisation de l'IA. Sur quoi avez-vous envie d'alerter les entreprises ?
Le piège dans lequel tombent souvent les entreprises, car elles craignent de « louper le coche » de l'IA, est de se lancer dans l'utilisation d'outils ou la fabrication d'outilstête baissée. En premier lieu, il est nécessaire d'avoir une bonne stratégie de gouvernance des données pour veiller sur leur qualité. En effet, c'est les données qui vont nourrir les IA. En second lieu, la plupart du temps les modèles d'IA génératives comme ceux derrière ChatGPT d'Openai sont de grande taille, consomment beaucoup d'énergie et peuvent couter cher à faire tourner dans le cloud. Or les entreprises ont besoin de maitriser leur coûts. Des modèles open source de petites tailles et spécialisés sur une tâche précise peuvent être une meilleure solution dans certains cas.

Selon vous, à quoi les entreprises doivent-elles faire attention dans leurs choix d'outils ?
Elles doivent se méfier de l'effet « magique » des IA. D'abord, parce que bien souvent la réalité est plus complexe que ce qu'il n'y paraît en matière d'impact. Ensuite, le mieux est de se faire accompagner par des experts qui vont diagnostiquer leur situation et définir un plan d'action pour tester diverses solutions en fonction de leurs besoins prioritaires. Dans certains cas, prendre une licence professionnelle d'un assistant d'IA sera pertinent, dans d'autres, développer sa propre solution d'IA sera une meilleure option. Commencer par s'acculturer est la clé. Par ailleurs, il faut être vigilant par rapport aux régulations à venir. On peut se rapporter à l'IA Act, en vigueur progressivement depuis août 2024. Le règlement européen sur l’IA (RIA) est la première législation générale au monde sur l’intelligence artificielle. Il vise à encadrer le développement, la mise sur le marché et l’utilisation de systèmes d'intelligence artificielle, qui peuvent poser des risques pour la santé, la sécurité ou les droits fondamentaux. Dès lors, tout le monde voudra être en maîtrise de son impact numérique.

Justement, comment connaître précisément l'impact des outils et pratiques numériques ?
On le mesure mal encore. Plusieurs outils open-source existent pour estimer l'impact environnemental de l'utilisation et du développement de modèles d'IA ou plus spécifiquement de LLMs (Large Language Models), ex: Ecologits, Codecarbon, Boavizta... etc. Cependant, cette estimation est encore imprécise. Il n'y a pas suffisamment de transparance sur la consommation énergétique des grands modèles providers tels qu'Openai. Pour diminuer notre impact numérique, on peut mettre en place des bonnes pratiques. Par exemple, pour reformuler un e-mail, si on a un ordinateur suffisamment puissant, on peut utiliser une IA locale et de petite taille (qui tourne sur notre ordinateur en opposition à un gros modèle qui va tourner sur le cloud). On ne fera appel à un gros modèle d'IA que si on a besoin de, par exemple, résumer un dossier complexe. En clair, attention à ne pas sortir le bazooka pour tuer une mouche.
Il faut aussi faire très attention à nos données. Mieux vaut payer une licence pour s'assurer que nos données ne circulent pas. 

L'utilisation des IA commence à passer dans les habitudes, professionnelles et personnelles. Sait-on mesurer l'impact d'une recherche ? Faut-il s'astreindre à ne générer qu'un seul prompt, bien rédigé au lieu d'en générer plusieurs ?
D'un côté les informations à ce sujet peuvent être contradictoires. De l'autre, il y a un manque de transparence des datacenters qui ne donnent pas d'informations sur l'impact de leurs matières premières par exemple. Ce qui est sûr c'est que certains modèles sont plus énergivores que d'autres. Certaines tâches peuvent être résolues en plusieurs itérations avec l'assistant d'IA et d'autres en une seule. Tout dépend du besoin. Le plus important est qu'il faut sensibiliser pour savoir quand utiliser un moteur de recherche, quand utiliser un assistant d'IA, et si oui lequel. Et pour les entreprises : diminuer la consommation d'énergie, c'est tout simplement faire baisser sa facture énergétique aussi.

Selon vous quels sont les enjeux actuels autour des utilisations de l'IA ?
Je vois au moins trois enjeux : maitriser ses propres données, maîtriser les coûts et utiliser les IA avec nuance. Avoir des données propres, bien stockées et faciles d'accès est un fort enjeu pour développer une stratégie IA efficace. Pour maîtriser les coûts, il faut commencer par s'acculturer de manière à comprendre la conception des produits IA et ce qu'ils consomment comme ressources - comment ils respectent ou non l'environnement. Enfin, pour les utiliser avec nuance il faudra être en capacité de déterminer quel outil j'utilise pour quelle nécessité. Si besoin, on se fait accompagner par des spécialistes. Et cela, que l'on soit chef d'entreprise ou particulier. Les jeunes générations devront aussi veiller à continuer à utiliser leur esprit critique et ne pas se servir de l'IA pour calculer combien font deux fois deux...

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