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Faut-il un label pour la RTE ?

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mardi 16 avril 2024

Professeur d'économie à l'Université de Bordeaux, Jean-Marie Cardebat travaille sur l'économie internationale, la responsabilité sociétale des organisations et le développement durable, ainsi que sur les enjeux de la filière vitivinicole. Crédit : JMC

Faut-il imaginer et construire un label pour la responsabilité territoriale des entreprises (RTE) ? Comment le constituer et que contiendrait-il ? Eléments de réponse avec Jean-Marie Cardebat, économiste et professeur à l’Université de Bordeaux, affilié à l'INSEC Grande Ecole.

Qu'est-ce qui constitue la responsabilité territoriale des entreprises ?
Depuis le rapport Brundtland de 1972, on dit que les entreprises ont une responsabilité sur leur territoire d'accueil. La nouveauté, c’est de dire que cette responsabilité est à double sens. Un territoire peut aussi se démarquer et pourquoi pas se labelliser finalement pour être attractif sur le plan du développement durable vis-à-vis d'entreprises qui sont dans une démarche de RTE. Depuis le début de la théorie de la durabilité, il y a la notion de partie prenante. Une entreprise n’est pas un acteur économique isolé, « aspatial ». Elle ne rend pas compte qu’à ses actionnaires, mais à l'ensemble de ses parties prenantes, qui sont en grande partie locales.

C'est quoi être responsable vis-à-vis de son territoire ?
La théorie du développement durable dit que vous êtes responsable lorsque vous ne puisez pas dans le capital économique, social et environnemental d'un territoire, c'est-à-dire lorsque vous ne détruisez pas ce capital. Être responsable, c'est générer des externalités positives pour ce territoire. Les économistes essayent de les mesurer de façon monétaire. Planter des arbres, c'est capter du carbone. Or on connaît le prix du carbone. Faire de la formation, c'est créer du capital humain, qui lui aussi s’évalue à l’échelle d’une grille de salaires.

RSE vs RTE, label vs norme

Qu'est-ce qui distingue la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et la RTE ?
Je dirais que la RTE est un sous-ensemble de la RSE, qui souligne l'ancrage. Ce ne sont pas deux concepts différents, ce sont deux concepts imbriqués. Mais j'y ajouterai aussi, parce que c'est dans l'air du temps, une forme de souverainisme avec les sujets liés à la relocalisation, à la souveraineté économique, et à ce désir d'avoir une plus grande indépendance, au moins sur des secteurs clés, dits sensibles. La RTE ramène par ailleurs à la question de territoire, dont la définition, en économie, s’attache plus aux relations des acteurs sur un espace donné qu’aux frontières administratives héritées du code napoléonien. Or la force des liens passe par une multitude de liens, qui vont des infrastructures à des externalités telles que les bassins d’emploi ou de formation.

La RTE consiste-t-elle à essayer d’améliorer ces externalités, et un label peut-il l’y encourager ?
Le label RTE est une façon de signaler ou de rappeler à l’ensemble de ses parties prenantes et à son territoire le rôle positif que joue l’entreprise, d’abord en générant de la richesse et de l’équilibre social au travers des emplois qu’elle crée ou induit, puis éventuellement en produisant des effets positifs sur l’environnement local. Et cette labellisation devrait à mon sens fonctionner dans les deux sens. Le territoire doit aussi signaler ce qu'il fait pour l'entreprise et ses attentes par rapport à celle qui viendrait s'installer. J’ai plaidé il y a une dizaine d’années pour un rapprochement des labels RSE de l’entreprise et de potentiels labels territoriaux, je retrouve cette idée, sous un angle légèrement différent, dans la RTE.

Quel outil serait le plus efficace, un label ou une norme ?
Un juriste choisirait sans doute la norme, quand l’économiste préfèrera le label, dont la connotation marketing permet de s’adresser plus directement aux parties prenantes. La norme a quelque chose de plus coercitif qui me plaît moins, mais c’est une opinion très personnelle ! Ce sera vraiment aux acteurs, entreprises et collectivités territoriales, d’en décider.

Comment construire un tel label ?
Vous pouvez aller puiser dans le référentiel très large de l’ISO 26000, typiquement pour y rechercher des éléments d’ancrage et de développement territorial. Il faudrait reprendre, dans une logique très partenariale, à la fois les obligations sociétales des collectivités territoriales et celles des entreprises, en essayant de les faire converger, sous le pilotage d’une instance chargée de faire dialoguer les deux parties.

Quels leviers pour les acteurs publics ?

Faudrait-il une loi dédiée, à l’instar de la loi Pacte dans le domaine de la RSE ?
D'une certaine façon, la norme relève de la soft law, et si je la trouve déjà excessive, une hard law, pour reprendre la terminologie anglo-saxonne, le serait plus encore. Je ne crois pas qu’on ait besoin d’une loi, il faut plutôt trouver des mécaniques incitatives, décentralisées et à géométrie variable selon les territoires, pour amener les entreprises à se labelliser.

De quels leviers disposent les acteurs publics pour favoriser la responsabilité des entreprises envers leur territoire ?
Les leviers d'action des acteurs publics sont toujours les mêmes, entre le bâton et la carotte, c’est-à-dire entre la fiscalité, positive quand il s’agit de subventions, et négative quand elle passe par l’impôt ou la taxe. Il est aussi intéressant d’intégrer ces notions au marketing territorial, en travaillant l’attractivité au travers des notions de responsabilité et de durabilité.

Les crises sont-elles un frein ou une opportunité pour développer la RTE ?
Elles constituent clairement une opportunité. Les crises sont moteurs du changement, dans le sens où elles induisent une rupture dans les modèles et les paradigmes économiques. La crise de 1929 marque définitivement l'abandon du modèle néoclassique du 19e siècle au profit du modèle keynésien. Les grands chocs pétroliers des années 70 ont marqué l'abandon du modèle keynésien au profit d'une nouvelle forme de libéralisme qu'on a appelé le néolibéralisme. Et la crise de 2008 - 2009 a sans doute marqué la rupture du modèle néolibéral ultra-mondialisé vers un modèle plus axé vers la durabilité qui se met en place dans la durée. Comme à chaque fois, ça ne s'est pas fait d'un claquement de doigts. Ce sont des processus qui prennent généralement une bonne quinzaine d'années. 2009, 2024, on y est. C'est pour ça que je crois fondamentalement que le modèle est en train de changer et que ça va bien au-delà de la RTE. À plus forte raison quand le moteur de la croissance réside dans les transitions environnementales. Tout ça a d’ailleurs une nature très keynésienne. Il faut des investissements colossaux pour changer nos infrastructures. Et quand vous étudiez les sondages qui sont faits par le World Economic Forum auprès des grands décideurs publics, on voit une certaine confiance dans le fait que la croissance de demain peut se construire sur la base de cette transition environnementale.

Label ou certification ?
Dans le milieu de la RSE, on entend souvent parer de certifications et de labels, mais quelle est la différence ? Selon l’Association Française de Normalisation (AFNOR), « la certification est une activité par laquelle un organisme reconnu, indépendant des parties en cause, donne une assurance écrite qu’une organisation, un processus, un service, un produit ou des compétences professionnelles sont conformes à des exigences spécifiées dans un référentiel ». Obtenir une certification suppose donc de répondre à un cahier des charges précis, défini par un organisme reconnu par l’Etat. Le label est quant à lui établi par un acteur public ou privé, qui s’engage à vérifier qu’un produit ou qu’un service donné répond à un certain niveau d’exigence, avec l’ambition de mettre en valeur, aux yeux du client ou du consommateur, ces qualités particulières.