Stratégie d’Europlasma : la défense pour la relance, l’énergie pour le long terme - Premium

Décidée le 25 avril dernier par la justice, la reprise de La Fonderie de Bretagne par Europlasma est effective depuis le 1er mai. Satisfait de cette issue favorable, Jérôme Garnache-Creuillot perçoit cette acquisition comme un moyen d'enrichir la cohésion et les synergies intra-groupe entre les Forges de Tarbes (rachetée en 2021), Valdunes Industries (acquise en 2024), et désormais La Fonderie de Bretagne.Cette reprise effective au 1er mai est très rapide, comment comptez-vous relancer La Fonderie de Bretagne ? Nous sommes très heureux de cette issue. La Fonderie de Bretagne est particulièrement intéressante car elle est capable de faire de la très grande série. Son outil industriel est beaucoup plus moderne que ceux de Tarbes et Valdunes, avec des moyens de design et de calcul très avancés. C'est vraiment une usine du 21e siècle. Le site est polyvalent et peut s'adapter à différents marchés comme le ferroviaire, la défense ou l'automobile. D’ailleurs, la diversification avait déjà été initiée sous Renault [ndlr : propriétaire historique de La Fonderie de Bretagne jusqu’en 2022]. Pendant longtemps, l'usine ne produisait que pour l'automobile. Mais il y a environ un an, voyant que le secteur automobile rencontrait des difficultés, elle a commencé à se diversifier. Le site travaillait déjà avec la SNCF sur des boîtes d'aiguillage et dans le monde agricole avec des grands noms comme John Deere, fabriquant notamment des carters moteur. Il se diversifie aussi dans l'automobile au-delà de Renault. Un autre axe important est celui des produits de voirie, comme les bouches d'égout, qui sont des pièces complexes de grande taille. Évidemment, il y a aussi le secteur de la défense, avec des clients comme Thales et de nombreuses demandes internationales.« La défense offre le volume nécessaire et des niveaux de marge plus élevés que l'automobile » Sur la défense, Fonderie de Bretagne va se concentrer sur la production d'obus de calibre 120mm et 80mm. Nous avons positionné une production test pour novembre et décembre. L'objectif pour 2025 est de produire 250.000 obus, sur deux mois, ce qui est considérable mais réalisable étant donné la très grande vitesse de production permise par le processus de fonderie (moulage) comparé à la forge. Nous estimons pouvoir en faire 1.000 à l'heure sans trop de difficultés. À un horizon de 4-5 ans, nous visons une répartition d'activité d'environ un tiers automobile, un tiers diversification hors défense, et un tiers défense. Cependant, sur les deux ou trois premières années, la défense représente une part plus importante, car le développement des autres activités prend plus de temps (entre 1 an et 18 mois pour la qualification des produits). L'activité défense est essentielle pour compenser la forte diminution de la production automobile pour Renault, qui représentait encore 63 millions d'euros de chiffre d'affaires il y a 3 ans et moins de 15 millions cette année. La défense offre le volume nécessaire et des niveaux de marge plus élevés que l'automobile. Comment avez-vous financé cette reprise ? Pour la reprise de Fonderie de Bretagne spécifiquement, plusieurs acteurs interviennent. Europlasma s'est engagé à hauteur de 15 millions d'euros d'investissement. Renault a également contribué de manière significative, à hauteur de 25,8 millions d'euros. L'État et les collectivités locales financent jusqu'à 7 millions d'euros, notamment via le Fonds de développement économique et social. De plus, il existe des mécanismes de financement dédiés aux industries de défense à travers la DGA qui peuvent atteindre jusqu'à 18 millions d'euros en fonction des investissements réalisés.« Je suis convaincu que La Fonderie de Bretagne pourra s'autofinancer assez rapidement » Votre financement avec des obligations convertibles pose question. C’est sur ce modèle que vous apportez vos 15 millions d’euros? Notre financement est complexe. Aujourd'hui, les banques ne peuvent pas nous prêter directement car nos structures sont souvent en redressement judiciaire, ce qui est incompatible avec leur modèle. Les fonds de private equity demandent des rendements trop élevés. La seule manière dont nous pouvons financer le redressement de ces entreprises de manière compatible avec notre modèle économique actuel est par le biais d'obligations convertibles. Cependant, nous constatons l'émergence de fonds dédiés à la défense depuis quelques mois, suite aux nouvelles dispositions prises pour le financement de ce secteur. Ces fonds semblent plus compatibles avec nos modèles économiques. Nous avons une forte légitimité pour accéder à ces financements car nous sommes le seul producteur de gros calibre en France et serons bientôt un fondeur majeur pour le 120mm et le 80mm à des volumes significatifs. Notre engagement de 15 millions d'euros est prévu sur 3 ans. Je suis convaincu que La Fonderie de Bretagne pourra s'autofinancer assez rapidement. La pression sur le marché pour Europlasma globalement est moins forte qu'en 2019, car le groupe est désendetté, sa taille a augmenté (plus de 700 personnes), et certaines de nos sociétés sont désormais rentables, ce qui est une révolution. Le chemin a été long, marqué par le Covid et la crise énergétique, qui ont particulièrement impacté nos activités énergivores.« Un marché lisible et quasi certain sur plusieurs années » La Fonderie de Bretagne fabriquera-t-elle les mêmes obus que les Forges de Tarbes? Pas du tout. C'est un produit différent. À Tarbes, c'est de la forge. On part d'un lopin de métal auquel on donne la forme d'un obus en le forgeant, on travaille dans la masse. À Fonderie de Bretagne, c'est de la fonderie. On coule du métal en fusion dans des moules. La principale différence, et c'est pourquoi Fonderie de Bretagne est si stratégique pour les obus de moyen et petit calibre (120mm et 80mm), c'est le rythme de production. À Tarbes, le rythme de la forge est dicté par la presse (un obus par minute ou deux). En fonderie, le rythme est basé sur la vitesse de défilement des moules. À Fonderie de Bretagne, c'est 200 moules à l'heure, et chaque moule peut contenir 8 obus. Cela va très très vite. On estime pouvoir en faire 1.000 à l'heure. La Fonderie de Bretagne aura la capacité installée la plus importante en matière de production de 120mm et 80mm. Ce sont des calibres très demandés à l'échelle mondiale. Le marché de l'obus est monumental actuellement. En 2021, la production mondiale d'obus de gros calibre était d'environ 750.000 par an. Aujourd'hui, rien que sur le front ukrainien, la consommation est de près de 60.000 par jour. Le marché ne s'est pas encore adapté à cette demande, et il y a aussi une énorme demande pour reconstituer les stocks des pays alliés. Ce marché est lisible et quasi certain sur plusieurs années.« La seule manière d'être disruptif, c’est d’innover sur l’énergie » Malgré toutes ces reprises, le groupe Europlasma est toujours basé à Morcenx-la-Nouvelle. Pourquoi conserver le siège social dans les Landes ? C'est lié à notre histoire et surtout à notre modèle industriel. Les sites que nous avons repris jusqu'à présent (Satma Industries, Forge de Tarbes, Valdunes Industries, Inertam…) sont basés sur des outils industriels souvent anciens, qui consomment beaucoup d'énergie, et dont la main d'œuvre est coûteuse par rapport à nos concurrents internationaux, notamment chinois. Ces concurrents ont une main d'œuvre et une énergie moins chères, ainsi que des outils industriels plus modernes. Si nous ne sommes pas disruptifs sur un de ces trois piliers, le modèle économique n'est pas viable. La seule manière d'être disruptif, c'est d'innover sur l'énergie. Or, le pôle d'expertise d'Europlasma en matière d'énergie se trouve dans les Landes. C'est là que se situe l'ancienne usine de gazéification, Chopex, qui fabrique aujourd'hui du combustible solide de récupération (CSR). Le CSR est produit à partir de déchets d'activité économique, du "tout venant" des déchetteries qui n'est pas valorisé autrement. Nous sommes payés pour fabriquer ce CSR.En France, l'enfouissement de ces déchets coûte très cher, le coût total peut atteindre 180 euros la tonne pour les entreprises. Cette valeur, nous pouvons la récupérer en fabriquant du CSR qui peut ensuite être utilisé dans des chaudières pour produire de l'énergie verte. Les grands consommateurs d'énergie (aciéristes, verriers, etc.) sont intéressés. Le modèle économique devient alors très avantageux : l'enfouisseur est payé pour que nous prenions ses déchets, nous transformons ce déchet en CSR (ce pour quoi nous touchons environ 120-130 euros par tonne), et ensuite nous consommons cette énergie verte que nous produisons nous-mêmes, et nous pouvons vendre l'excédent sur le réseau.L'idée est d'installer une chaudière CSR sur chacun de nos sites industriels. Cela nous permet de fabriquer ce que nous appelons des "roues vertes", ce qui est très important pour nos clients comme la SNCF ou la Deutsche Bahn, qui ont des objectifs ambitieux de réduction d'émissions de CO2 et intègrent de plus en plus des critères environnementaux dans leurs choix de fournisseurs.

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