EXCLUSIF - Promotion immobilière : Gilbert Peyre s’exprime sur la liquidation d’Anthelios - Premium

« Je ne veux pas qu'on dise que le groupe a été cramé en sept mois de mauvaise gestion. Parce que ce n'est pas la réalité. » En un an, Gilbert Peyre est passé du statut de « l’homme fort » à celui « qui liquide en très peu de temps ». Chronique d’une chute inattendue et douloureuse, en même temps que le récit d’une histoire où les zones d’ombre persistent.L’ascensionL'aventure de Gilbert Peyre au sein d'Anthelios débute en 2016, lorsqu'il rejoint le groupe fondé par Alexandre Pallas. À l’époque, l’horizon semble dégagé et l’objectif est clair : développer le groupe, géographiquement et sur le plan des métiers. Avec la perspective d’une montée au capital et d’un rachat du groupe à terme. Anthelios, alors principalement connu sur la région bordelaise pour ses activités de promoteur « artisan » (70 à 80 logements par an en réhabilitation et neuf), évolue vers un opérateur multi-métiers. Le groupe se diversifie dans le neuf et la réhabilitation d'immobilier tertiaire ainsi que dans l'immobilier de loisir, des marchés moins impactés par les mesures fiscales cycliques. Gilbert Peyre, pour sa part, se concentre sur le développement de territoires comme la région Rhône-Alpes. Il développe également un portefeuille d'actifs dans la requalification d'actifs para-hôteliers et hôteliers dans les Alpes et sur le pourtour méditerranéen.Il devient vice-président du comité de direction lorsque celui-ci est créé en 2019, sans mandat social au niveau des holdings de tête. Fin 2021, « le fondateur me dit que c’est le moment [de racheter Anthelios] », se rappelle Gilbert Peyre, et début 2022, le second étage de la fusée s’assemble, avec la signature en janvier d’une promesse de rachat des titres. En septembre, c’est le closing de l’opération. Au sortir de l’été, Gilbert Peyre boucle ce MBO (Management Buy-Out) - avec le soutien financier d'une famille d'industriels marseillais spécialisée dans la logistique industrielle et les solutions de stockage - et prend le contrôle d'Anthelios. L’acquéreur reçoit peu de temps après un mail du commissaire aux comptes qui le félicite « pour cette belle opération et pour la tenue du timing ».Le groupe, fort de 38 collaborateurs et d'un chiffre d'affaires réservé (nombre de logements vendus) de 42 millions d'euros en 2021, affiche alors de grandes ambitions. Gilbert Peyre souhaite positionner Anthelios non plus comme un simple promoteur, mais comme un « spécialiste de l'acte de construire », capable de répondre aux besoins des collectivités. La stratégie s'articule autour de l'extension et la surélévation de bâtiments existants, mais aussi de la réhabilitation de surfaces tertiaires pour des usages mixtes. Le carnet de commandes est présenté comme bien rempli avec 450 millions d'euros à déployer en quatre ans d'activité et 345 millions d'euros de projets concrétisés, permettant d'envisager un chiffre d'affaires réservé de 120 millions d'euros à l'horizon 2027, contre environ 70 millions d'euros prévus en 2022. Des recrutements sont envisagés, une vingtaine dans les deux ans à venir. Et le groupe prévoit l'ouverture d'une agence à Marseille, en synergie avec son nouvel actionnaire.Une réalité cachée ?C'est au premier trimestre 2023, quelques mois seulement après le rachat, que la situation prend une tournure inattendue. En mars, Gilbert Peyre reçoit par lettre recommandée avec AR une alerte du commissaire aux comptes concernant l'exercice 2021. Des comptes certifiés « ayant fait partie des documents d'audit et de prise de décision de la cession des titres ». Il raconte sa surprise : « Quand on rachète une boîte de promotion immobilière et que, quelques mois après, on reçoit une alerte sur les comptes sur lesquels on s'est appuyé pour décider de racheter, c'est inattendu. » Cette alerte révèle des provisions importantes qui n'avaient pas été comptabilisées, « pour certaines depuis 2018 ». Il y aurait « beaucoup de provisions qui traînent depuis trop longtemps et il serait grand temps de les passer, de nettoyer », lui explique-t-on au moment de clôturer le bilan 2022. Ces provisions n'apparaissaient pas dans le bilan 2021, ni ceux d'avant. Parallèlement, des offres de financement bancaire pour des projets dans les Alpes sont refusées par les comités de risques des banques, faute de bilans 2022 acceptables. Gilbert Peyre se trouve dans une situation « intenable » : « J'ai un document où l'on me demande de passer quasiment pour sept millions de provisions », atteste-t-il.Face à cette situation, Gilbert Peyre raconte avoir mis en place un plan de réduction des dépenses dès mars-avril 2023, incluant des licenciements et des ruptures conventionnelles. Il tente de réduire les frais et les dépenses et s'interroge sur la viabilité de certains projets en cours nécessitant un apport de trésorerie important. Mais la situation ne s'améliore pas : « J'ai sept millions d'euros de provisions à passer dans les bilans, je suis en cash burning et, en fait, les bilans ne sont pas tout à fait ce qu'on nous avait dit, la tréso a fondu comme neige au soleil. » Les associés doivent même remettre 400.000 euros au pot en avril 2023.Liquidation et quête de la véritéEn juin 2023, Gilbert Peyre prend la décision de placer le groupe sous mandat ad hoc, une procédure visant à « figer les dettes, donner de l'oxygène à l'entreprise et comprendre la situation financière ». Procédure enclenchée dès juillet. Une expertise externe est alors commandée, qui conclut rapidement à une situation anormale, selon ses dires. Gilbert Peyre et ses associés réalisent alors que « le groupe n'est en fait peut-être pas celui qui nous a été vendu et que l'état financier est peut-être un peu plus compliqué que ce que l'on peut penser ». Une expertise comptable plus approfondie sur les quatre dernières années révèle des résultats différents de ceux des bilans consolidés ayant servi à l'acquisition du groupe, « à hauteur de plusieurs millions d'euros », indique-t-il.Dans le rétro : Promotion immobilière : le groupe Anthelios placé en liquidation judiciaireCes découvertes mènent à une assignation en justice contre les cédants, Gilbert Peyre estimant qu'il y a eu « un vice de notre consentement. On n'avait pas les bonnes informations pour prendre la bonne décision quant à l'acquisition de ce groupe-là », estime-t-il. Parallèlement, la réalité économique impose la liquidation du groupe. Une trentaine de sociétés sont concernées, laissant 18 personnes sur le carreau. Une procédure est actuellement en cours pour demander l'annulation de la vente. Le Tribunal de commerce de Bordeaux a demandé une expertise judiciaire, en cours de finalisation, pour établir la date de cessation des paiements. Les premières notes de l'expert judiciaire indiqueraient que la société holding de tête et les sociétés intermédiaires étaient en situation de cessation de paiement entre décembre 2021 et février 2022, alors que le rachat a eu lieu en septembre 2022.Le désarroi et les conséquencesGilbert Peyre exprime un profond désarroi face à cette situation. Il se dit passer « de l'homme fort à celui qui liquide en très peu de temps. Ça marque une vie quand même ». Il s'interroge avec force sur les informations qui lui ont été cachées : « Pourquoi est-ce qu'on ne m'a pas plus informé que cela ? Comment aurait-il fallu qu'on ait l'information ? Ces bilans étaient-ils sincères et véritables comme ils sont supposés l'être ? » Il souligne « l’écart abyssal » entre les chiffres présentés et la réalité : « On rachète un groupe qui a prétendument 3,5 millions de capitaux propres, 600.000 euros d'EBITDA. Et, en fait, sur les dernières analyses, on a cinq millions de capitaux propres négatifs, un EBITDA négatif. Ca fait huit millions d'euros d'écart, j’aurais apprécié qu'on me présente ça. Peut-être qu'on aurait acheté. Ou pas. Ou différemment ».Pour Gilbert Peyre, la situation a des conséquences personnelles et professionnelles lourdes, confirmant avoir effectué un passage en urgence cardiovasculaire pendant cinq jours, suivi d'une intervention chirurgicale en cardiologie quelques semaines plus tard. À ce jour, il demeure responsable des sociétés en liquidation et continue d'exercer ses mandats de gérant des sociétés du groupe Anthelios - mais dessaisi, comme l’impose le code de procédure collective, en lien donc avec le liquidateur judiciaire nommé par le Tribunal de commerce de Bordeaux - s'occupant de divers dossiers (techniques, financiers, commerciaux, déclarations de TVA). Il est confronté à des cautions personnelles s'élevant à 4,6 millions d'euros. Sa réputation est fortement impactée, le rendant pour le moment « quasiment blacklisté des établissements bancaires ». Il déplore de ne plus pouvoir exercer son métier, l'acte de construire, qu'il « pratique depuis 15 ans et qui l'anime ». Sa tentative de recréer une activité dans l'hôtellerie dans les Alpes a été avortée en raison de sa situation, les fonds d'investissement ayant refusé de s'engager après avoir découvert les liquidations associées à son nom. Il s’est alors repositionné sur une activité d’assistance à maîtrise d’ouvrage.Au-delà de son cas personnel, Gilbert Peyre insiste sur les répercussions pour les employés, certains présents depuis 15 ans, qui se retrouvent licenciés et peinent à retrouver un emploi. Il exprime également son désarroi pour les partenaires et investisseurs financiers, notamment les petits porteurs qui ont investi via la plateforme Tudigo, car ils « n'ont pas investi sur des éléments objectifs et clairs en tout cas », estime-t-il.Un avenir incertain, une quête de justiceL'expertise judiciaire est en cours de finalisation et devrait être rendue fin juillet, suivie de débats contradictoires et de conclusions. La procédure est longue et Gilbert Peyre s'attend à d'éventuels appels, voire aller jusqu’en Cour de cassation. L'enjeu est de taille : la reconnaissance d'un dol - ensemble des agissements trompeurs ayant entraîné le consentement qu'une des parties à un contrat n'aurait pas donné, si elle n'avait pas été l'objet de ces manœuvres - pourrait entraîner l'annulation du contrat de vente. Une décision centrale, aux conséquences lourdes : le cédant devrait alors restituer l'argent et, surtout, reprendrait sa position à la tête des sociétés du groupe. Cela soulèverait également la question d'éventuelles responsabilités pénales et de comblement de passif.Gilbert Peyre est déterminé à se battre pour que sa responsabilité soit totalement désengagée de cette affaire. Il réfute l'idée que le groupe ait été « cramé » en sept mois de mauvaise gestion, insistant sur le fait qu'il a repris « un truc qui était à découvert ». Il aspire à une seule chose : « Je veux qu'on détermine précisément, après des débats contradictoires qui prendront le temps qu'ils prendront, quand est-ce que cette boîte était effectivement en cessation de paiement. » Une première étape vers la réparation d’un « préjudice financier, patrimonial, psychologique et moral ».

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