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Ariane 6 : les sites girondins d’ArianeGroup face aux défis de la montée en cadence - Premium

Stratégie
vendredi 13 mai 2022

Derrière l'impatience liée au tir inaugural d'Ariane 6, la coentreprise Safran Airbus travaille à la montée en cadence de son outil industriel - crédit ArianeGroup

Impliqués dans la conception et l’assemblage de plusieurs des éléments d'Ariane 6, les sites girondins d’ArianeGroup sont concernés au premier chef par la réussite du tir inaugural du nouveau lanceur européen… mais aussi par les évolutions de l’appareil industriel qu’il implique.

Juchée sur un pont, la jupe arrière d’un des futurs « boosters » à propergols solides P120C d’Ariane 6 attend d’être équipée de ses câblages, de son électronique et des vérins chargés d’orchestrer l’orientation de la tuyère. Elle sera ensuite complétée d’une couche intérieure, composée des protections thermiques destinées à garantir une température acceptable pendant les deux minutes qui suivront la mise à feu du lanceur. Une fois l’assemblage finalisé, la jupe rejoindra un container adapté à ses 3,4 mètres de diamètre, et entamera son long périple vers Kourou, en Guyane, où elle finira par être fixée sur le lanceur désigné pour réaliser le vol inaugural du programme Ariane 6. Dans le jargon des ingénieurs d’ArianeGroup, on l’appelle FM1, pour Flight Model 1.


La jupe arrière intègre l'électronique et la boucle de pilotage en charge de l'orientation de la tuyère par laquelle s'évacuent les gaz de combustion des 140 tonnes de propergol solide du moteur P120C - crédit ArianeGroup

S’il est officiellement toujours prévu pour la fin de l’année 2022, de nombreuses étapes subsistent sur le chemin de ce premier tir, à commencer par les essais du moteur Vinci, qui équipe le corps principal de la fusée, réalisés en Allemagne. Pour la première fois dans l’histoire d’Ariane, ce dernier présente la double particularité d’être réallumable, et accompagné d’un moteur auxiliaire, ce qui doit permettre au lanceur de mener des déploiements complexes, sur plusieurs orbites, notamment pour assurer la mise à poste de constellations de satellites.

En parallèle, ArianeGroup, le CNES et l’Agence spatiale européenne mènent à Kourou les tests combinés, qui doivent permettre de valider toutes les interfaces entre les différents éléments et systèmes du futur lanceur européen, mais aussi l’ensemble de ses interactions avec les installations au sol, du pas de tir au nouveau portique mobile de 100 mètres de haut au sein duquel est réalisé l’assemblage final. « Nous devons tester toutes les procédures dégradées. L’exemple le plus connu, celui du rouge météo qui retarde un lancement de plusieurs heures, implique par exemple d’être capable de purger les ergols liquides contenus dans le corps principal. Le lanceur ne sera testé qu’une seule fois avant le premier vol, ces essais combinés sont donc critiques », illustre Yann Tamaloni, responsable du programme propulsion solide civile chez ArianeGroup.

Qualifier un nouvel appareil industriel

Ces fameux tests combinés ne sont que le dernier étage d’une très longue suite de tests unitaires qui visent à qualifier la moindre pièce du lanceur, mais aussi l’appareil industriel qui sert à leur production. Un déroulé standard dans le monde industriel, mais qui est associé chez ArianeGroup à un double objectif de réduction des coûts et d’accélération des cadences, imposé par la nouvelle compétition internationale dans le domaine de l’accès à l’espace : le groupe est ainsi tenu de s’adapter pour assurer jusqu’à 11 lancements par an, contre 5 pour Ariane 5, avec un prix de revient inférieur de 50% à celui de la précédente génération de lanceur. Le tout sans compromettre la fiabilité qui a fait la réputation d’Ariane ces 20 dernières années, jusqu’au récent succès de la mission James Webb menée pour la NASA.

L’entrée d’Ariane 6 en phase d’exploitation opérationnelle est donc pour ArianeGroup l’occasion de tester en conditions réelles les évolutions de son outil de production. Le groupe, qui travaille depuis 2010 sur la réalité virtuelle, l’a par exemple mise à profit pour optimiser les phases de conception et de validation des différentes pièces de son lanceur, mais aussi des opérations d’assemblage associées. « Nous avons développé Ariane 6 avant les usines, nous essayons donc d’adapter l’appareil de production pour une efficacité maximale. La réalité virtuelle nous sert par exemple pour la conception des systèmes, du lanceur aux systèmes au sol en passant par les bâtiments ou l’outillage, mais aussi pour le support aux opérations, la validation des procédures, et la formation », explique Christophe Reig, responsable de la réalité virtuelle chez ArianeGroup.

Au Haillan, le groupe dispose par exemple d’une salle immersive, entourée de cinq écrans, dans laquelle un technicien peut être équipé de capteurs pour mesurer ses mouvements et tester ses actions dans une version virtuelle de son environnement de travail. Ses travaux du moment portent cependant sur une solution plus légère, accessible depuis un casque VR commercial et opérée à partir d’un simple PC portable. Baptisée Skyreal, elle est développée par une startup parisienne, spin-off d’Airbus, et permet de naviguer dans un environnement reproduisant le futur lanceur et son portique mobile. « L’idée est d’utiliser cette solution pour développer des usages collaboratifs entre nos différents sites, en Europe et en Guyane, mais il y a encore quelques obstacles en matière de cybersécurité », confie Christophe Reig : le jumeau numérique d’Ariane 6 doit rester un secret bien gardé.


Le robot chargé des liaisons vissées est capable de soulever jusqu'à 2,3 tonnes de charge utile - crédit ArianeGroup

En attendant, les équipes girondines d’ArianeGroup ont mis à profit la réalité virtuelle pour modéliser le comportement et l’environnement de travail des deux robots qui prendront bientôt en charge l’assemblage des tuyères des moteurs P120C au sein de la B-Line, l’unité de production inaugurée en 2018 au Haillan. Le premier, chargé de réaliser les opérations de vissage, fait figure de géant, avec un bras capable de porter jusqu’à 2,3 tonnes de charge utile et de la positionner avec une précision de l’ordre du dixième de millimètre. Le second, installé dans une salle propre, procède à des liaisons par collage. « Nous avons automatisé le mélange de la colle, la préhension des pièces, le positionnement et la mise en pression, mais il reste une opération à réaliser manuellement : le mouillage de la colle et son étalement à la surface de la pièce. Sur ce point, le robot n’a pas encore le coup de main d’un colleur à qui il faut six mois de formation », sourit Yann Tamaloni.

Réussir la phase de « ramp-up »

Bien qu’installés depuis de longs mois, les robots sont toujours en phase de qualification, ce qui explique que les premières tuyères destinées à Ariane 6 resteront fabriquées selon le procédé plus artisanal en vigueur avec Ariane 5. Leur mise en service est cependant attendue avec une certaine impatience. « L’automatisation nous permet de réduire par un facteur trois ou quatre les temps opératoires sur l’assemblage d’une tuyère, tout en participant à la conduite du changement et à la montée en compétences des opérateurs », ajoute Yann Tamaloni. La B-Line doit ainsi rapidement se mettre en ordre de marche pour atteindre sa vitesse de croisière, fixée à environ 36 tuyères pour moteurs P120C par an : 32 iront équiper Ariane 6 (qui en fonction de la version retenue utilise deux ou quatre boosters à propergol solide), et 4 serviront au futur lanceur léger d’Arianespace développé par l’italien Avio.

Si tous les yeux sont bien sûr tournés vers le vol inaugural, c’est en pratique sur le « ramp-up », ou phase de transition de l’outil industriel, que se concentrent les attentions industrielles. « Le challenge, c’est de réussir la montée en cadence », résume le responsable de la propulsion solide. La production des éléments du deuxième vol a déjà débuté, et ArianeGroup a jusqu’au 15e vol pour stabiliser sa production, le 16e vol signant l’entrée en phase d’exploitation. « En tant que maître d’œuvre, nous sommes garants de cette phase de transition vis-à-vis de l’ESA », rappelle Gilles Fonblanc, secrétaire général d’ArianeGroup, qui estime la supply chain du groupe suffisamment solide et diversifiée pour faire face aux contingences de l’actualité géopolitique.

La pression se révèle d’autant plus importante que le carnet de commande d’Ariane 6 est déjà bien rempli. Début avril, Amazon a en effet annoncé la commande, auprès d’Arianespace, de 18 lancements Ariane 6 pour la mise en orbite d’une partie de sa constellation de satellites Kuiper, destinée à la fourniture d’accès à Internet. Ajoutés aux 11 vols déjà réservés (notamment par l’ESA pour la prochaine génération de Galileo), ArianeGroup a donc déjà 29 lanceurs à fournir sur les prochaines années. « C’est significatif pour un lanceur qui n’a pas encore volé », commente dans une jolie litote Gilles Fonblanc.

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