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Marli Marchyllie, cheffe d'entreprise malgré elle

Inspiration
jeudi 25 mars 2021

Marli Marchyllie dans les rayons de son magasin, à Blanquefort - Photo MB

C’est à Blanquefort que Marli Marchyllie nous reçoit. Au milieu de dizaines de boîtes en carton, celle qui dirige aujourd’hui le Chalet Aquitain, magasin spécialisé dans les chaussures pour enfants, n’a pas toujours endossé le rôle de patronne. Sa vie professionnelle ne se résume d’ailleurs pas à un long fleuve tranquille. Entre ténacité et amour de la transmission, cette entrepreneuse se raconte tout en humilité.

Tout démarre dans le nord de la France. Marli Marchyllie naît à Roubaix, de parents néerlandais. Étudiante, elle entre dans une école de commerce et s’oriente vers l’international. « Puis j'ai démarré ma vie professionnelle aux 3 Suisses, se remémore-t-elle. Je me suis occupée de plusieurs rayons en gravissant progressivement les échelons. À cette époque je voyageais énormément car je m’occupais des achats de textiles pour un rayon déterminé, principalement sur le bassin méditerranéen et en Asie. »

1998 – 2000, de Mod’8 aux subprimes

Marli Marchyllie construit sa vie de famille. Mariée, mère de trois enfants, elle décide de suivre son époux à Bordeaux. « Nous avons eu notre quatrième enfant et j’ai repris des études d’expert-comptable. Je me disais que ce serait plus facile à gérer avec les petits... » Fausse piste, le métier ne lui plaît pas et en 1998, elle trouve un emploi pour une société belge. « La boîte finit par déposer le bilan en 2000 et j’ai trouvé un emploi chez Mod’8 à Blanquefort. » À l’époque l’entreprise de chaussures est florissante, et développe son portefeuille d’activités au travers de marques sous licence.

En 2008 l’entreprise est cédée au groupe français Royer qui a notamment fait fortune en distribuant les marques Converse puis Kickers. « Lors de ce rachat le groupe a cherché à avoir ses marques propres, reprend Marli Marchyllie. Nous avions beaucoup d’espoir car ils avaient de nombreuses marques, et nous espérions que cela puisse faire vivre le site de Blanquefort. Malheureusement, 2008, c’est aussi l'année de la crise économique mondiale. » Les salariés se battent, beaucoup, jusqu’au début de l’année 2013 lorsqu’on leur apprend la nouvelle : le site de production va fermer.

2013, une reprise très médiatique

Deux ans avant l’annonce de la fermeture, la Girondine d’adoption s’est engagée comme déléguée du personnel. « Il y avait beaucoup de choses à négocier entre le groupe Royer et notre entité de production, explique-t-elle. Et puis à l’époque, il y avait des difficultés avec le responsable du site, je me suis dit que c’était une bonne manière d’avoir accès aux instances dirigeantes. » Lorsque le plan social tombe sur la tête des salariés, Marli Marchyllie est secrétaire du CCE – comité central d’entreprise, chargé de centraliser l’ensemble des comités des sociétés du groupe.

« Nous nous sommes pris le plan social de plein fouet, nous ne nous y attendions pas du tout. » Une dure négociation démarre, et la campagne médiatique bat son plein. « Mod’8 existait depuis 1936, je crois que c’était la deuxième entreprise la plus ancienne de Blanquefort. Il y a eu une grosse mobilisation des pouvoirs publics et des collectivités pour trouver une alternative à la fermeture pure et simple. » Décision est prise par Royer de céder le matériel de production à l’euro symbolique, à condition qu’un projet de reprise soit rapidement avancé sur la table. « Le plan de sauvegarde de l’emploi est tombé en mars, et Mod’8 a quitté les lieux en novembre, précise la cheffe d’entreprise. C’était un laps de temps très court, l’idée de reprendre le site a germé dans l’été. »

2013-2017, des années de galère

Marli Marchyllie et son associé reprennent le site, et reçoivent même la visite d’Arnaud Montebourg, alors ministre de l’Économie. « Il y avait 80 salariés, la moyenne d’âge était de 50 ans, avec une ancienneté de plus de 20 ans. Je trouvais cela dramatique de perdre ce savoir-faire. » À deux, ils essayent de trouver un modèle économique viable, basé sur l’existence du magasin de chaussures le Chalet Aquitain. « Nous avons essayé de conserver une production locale, pour une distribution directe. Les chiffres que nous avions dataient un peu, mais la notoriété de la boutique était établie depuis plusieurs générations. On se disait que c’était possible. »

Mais très vite, les difficultés arrivent. Le Chalet Aquitain compte 5.000 paires en stock, du 17 au 41. « La variété nécessaire pour chausser tous les pieds des enfants est considérable, et la production a vite été problématique car peu rentable. » Le binôme tente d’innover, enchaîne partenariats sur partenariats mais cela ne suffit pas. Les anciens salariés se tournent vers la sous-traitance, fabriquent des bottes d’équitation par exemple, mais ne réalisent pas de marge suffisante. En 2016 Marli Marchyllie lance une campagne de crowndfunding sur Ulule pour une basket « mère-fille », et le projet reçoit une jolie audience. « Mais il ne s’agissait que d’un seul modèle et on ne pouvait pas faire que ça, explique la cheffe d’entreprise. Ça n’a pas suffi. » De mois en mois, la situation ne s’améliore pas. « On a tout essayé pour rendre viable la partie production, confie-t-elle. Et on a dû se rendre à l’évidence. En fin d’année 2017 mon associé est parti. »

La transmission, une priorité

En 2018, le Chalet Aquitain fait l’objet d’un redressement judiciaire. Marli Marchyllie cède l’atelier à une entreprise avec une seule priorité : que ses salariés retrouvent un emploi. « Je n’ai pas trop mal vécu cette transition car c’était une nécessité économique et il y avait une sorte de transmission malgré tout. Humainement, c’était une belle chose que je pouvais faire pour eux. » L’entreprise de Blanquefort se recentre alors sur le commerce, et compte en 2021 quatre personnes. Malgré une année 2020 angoissante et une structure financière fragile, la patronne fait face. Grâce à un site internet vitrine créé il y a sept ans, les clients - plus de 10.000 enregistrés dans la base de données – peuvent se saisir du click and collect. Et le magasin avance à travers la crise. Au déconfinement les pieds des enfants ont grandi, et les clients affluent. La situation géographique éloignée du centre-ville, un temps désavantageuse, est désormais un atout. Si la chef d’entreprise est attachée au contact avec ses clients, essentiel, le Chalet Aquitain lancera à la fin du mois d’avril sa boutique en ligne.

« Lorsque je regarde mon parcours, je me dis que j’ai eu de la chance d’être bien entourée. J’ai rencontré des personnes fabuleuses, et c’est pour cela que maintenant je veux transmettre à mon tour. » Élue à la CCI, membre du réseau Entreprendre Aquitaine, elle œuvre aussi dans l’association Entraide et Entrepreneurs. Discrète, c’est à demi-mots qu’elle évoque sa légion d’honneur reçue en 2019. Pas très à l’aise avec cette distinction elle la reçoit avant tout pour remercier les personnes l’ayant accompagnée toutes ces années. Comme une reconnaissance.

« Être patron demande énormément d’énergie et il y a toujours un point d’interrogation concernant demain, conclut-elle. J’aimerais transmettre le Chalet et si des personnes ont envie de se tourner vers cette histoire-là, cette question va se poser dans les cinq ans à venir. » En attendant Marli ne regrette rien, absolument rien.

Le Chalet Aquitain
Basé à Blanquefort
4 salariés
CA : n. c.
www.atelierduchalet.fr