Les friches girondines, eldorado industriel ? (3/3) - Premium

Dans notre précédent article, nous abordions la question de la zone géographique pour implanter une usine. Et surtout, les difficultés pour dégager du foncier commercial. Alors, comment trouver ces espaces si précieux ? En mentionnant les anciens sites industriels de Bordeaux Métropole (voir Industries : « On a des projets orphelins de solutions foncières »), Stéphane Delpeyrat, vice-président en charge du développement économique, aborde l’une des solutions privilégiées par l’ensemble de nos interlocuteurs : les friches. Jean Dumesnil, responsable développement industrie chez Ingérop, soutient cette alternative. « J’ai du mal à comprendre comment ça se fait qu’il y ait autant de friches industrielles laissées à l’abandon. Pour moi, c’est un enjeu majeur d’aménagement, de les revitaliser. En les modifiant peu ou prou, elles peuvent être des terres d’accueil pour permettre la réindustrialisation du territoire ; plutôt que faire venir un industriel dans un champ de patates, implanter une nouvelle usine et recréer de l’étalement. » Invest In Bordeaux regarde également cette solution, et tente de sensibiliser les collectivités et les propriétaires privés – car la plupart du temps ces sites ne sont pas des propriétés publiques. William Ballue, directeur général : « Le sujet n’est pas simple, un peu à l’image du gaz de schiste. On l’exploite quand le cours du pétrole est trop élevé, et dès lors qu’il diminue, on arrête son exploitation. C’est un peu pareil ici, c’était jusqu’à maintenant un sujet un peu laissé de côté, car requalifier une friche coûtait beaucoup plus cher que s’installer sur du foncier nu. Mais ce foncier devenant rare, le sujet des friches est en train de réémerger. » Néanmoins, Stéphane Delpeyrat tempère. « Tout dépend de quelle activité on parle. S’il s’agit d’industrie lourde, les contraintes sont telles qu’on n’a pas 36.000 solutions. On ne peut pas installer ces sites n’importe où, comme à Saint-Médard-en-Jalles. Aujourd’hui, personne ne mettrait ArianeGroup en centre-ville ! » A la Région Nouvelle-Aquitaine, on prend le sujet à bras-le-corps, sans oublier l’aspect environnemental. « C’est la solution, martèle Andréa Brouille, vice-présidente en charge du développement économique. Il va falloir arrêter cette artificialisation un peu extensive car lorsqu’un industriel s’en va, le terrain qu’il laisse n’est pas très joli. Mais le souci d’une friche laissée trop longtemps en friche, c’est que la nature reprend ses droits. Il faut trouver des solutions de compensation et monter de meilleurs dossiers pour être acceptés par la population et les pouvoirs publics. »Comment identifier ces friches ? Certains anciens sites industriels sont bien connus en Gironde. Celui de Ford, à Blanquefort, où 70 hectares sont encore la propriété du géant américain. « On peut espérer que la vocation économique industrielle des lieux soit sanctuarisée », commente William Ballue. Ou encore l’ancienne centrale thermique d’EDF, à Ambès, ou l’ancien site d’Orion, non loin de là. « Le problème, c’est qu’aujourd’hui il n’existe pas d’outil qui liste les friches industrielles de Gironde ou de Nouvelle-Aquitaine, souligne Jean Dumesnil. Et le sujet de la compatibilité d’un terrain avec un projet est majeur ! Il est primordial d’avoir un plan général du site avec tous les relevés dimensionnels, géométriques, géographiques, pour savoir immédiatement de quoi on parle. » Le rêve, selon lui, serait de disposer d’une base de données référençant tous ces paramètres. Mais, à qui reviendrait cette tâche ? « A la Région, car c’est elle qui dispose du volet économique, lâche Jean Dumesnil sans détour. En couplant avec les CCI, car pour un acte de naissance ou de décès d’une entreprise, quel que soit le secteur, on passe par une chambre consulaire. » Côté Conseil régional, Andréa Brouille reconnaît que ce serait à faire. « On se pose la question, car même si la crise est là, on n’a jamais eu autant de demandes d’industriels qui veulent s’implanter, s’agrandir. On s’est aperçu qu’il n’y avait en effet pas de base de données, entre autres car elles évoluent beaucoup. On va plutôt essayer de faire des projets par direction d’aménagement du territoire, voire avec tous les SCoT (schémas de cohérence territoriale) de Nouvelle-Aquitaine qui ont ces éléments. » La Nouvelle-Aquitaine a donc une volonté de faire, « mais le sujet est complexe ».Un fort regain de projets industriels Pour William Ballue, les friches ne sont toutefois pas le palliatif intégral, car elles ont elles aussi leurs inconvénients. « Une autre solution peut être la réversibilité des constructions, réfléchit le directeur général d’Invest in Bordeaux. On le voit notamment avec les parcs photovoltaïques, je pense que demain on aura probablement des activités dans une partie construite qui sera totalement réversible. Également dans le secteur de la logistique, les industriels construisent par principe des bâtiments très à plat. On sait que même si ça coûtera plus cher, on risque de tendre vers une logistique plus verticale. Par exemple la hauteur libre des standards ne cesse d’augmenter. » Jean Dumesnil, lui, a la conviction que le parc à reconstruire est plus important que le parc à construire. Même s’il le reconnaît, « il faudra jouer à Tetris », mais notre territoire dispose de « toutes les compétences pour proposer ce type de remodeling industriel », et éviter l’étalement. Tous les acteurs économiques que nous avons interrogés s’accordent néanmoins sur un sujet : les porteurs de projets industriels sont bien de retour, en Gironde et en Nouvelle-Aquitaine. En 2021, Invest in Bordeaux enregistre un volume de projets qui devrait être équivalent au bilan de décisions de l’année 2017. Deux éléments ont par ailleurs changé. Il y a aujourd’hui un déficit de grands projets tertiaires et numériques (de plus de 50 ou 100 emplois), comparativement à 2017, 2018 et 2019, qualifiées de « trois glorieuses » pour Bordeaux et la Gironde. Ensuite, la structure constate une recrudescence des industriels. « On sent l’impact de la politique de réindustrialisation, du plan de relance, et de la chaîne d’approvisionnement. C’est le renouveau d’une politique industrielle », conclut William Ballue.

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