Dominique Mockly : « La production d'hydrogène vert sera une industrie mature à la fin des années 2020 » - Premium

Entre sa participation à H2eart for Europe et le lancement en 2023 d’un appel à manifestation d’intérêt dans l’hydrogène, Teréga est très actif dans ce domaine . Pariez-vous sur l'hydrogène pour l’avenir de votre métier ?Ce n’est pas un pari. L’hydrogène fera partie des molécules qui seront utilisées demain pour l’industrie et la mobilité décarbonée. Il ne remplacera pas le gaz : il existera toujours, mais ce sera de plus en plus du biométhane. À moyen terme, notre réseau aura donc plusieurs types de molécules : il y a aura un réseau gaz, avec du biométhane, qui sera très ramifié dans les territoires pour collecter ce gaz. Il y aura un réseau hydrogène, qui sera très utilisé dans l’industrie, pour fabriquer d’autres molécules ou faire de la chaleur décarbonée. Et puis vous aurez aussi des réseaux de collecte du CO2 fatal : la commission européenne émet un objectif de diminution de 95% des émissions de CO2 en 2045. La courbe est pentue, on va devoir utiliser tous les outils possibles.Un futur excédent de production dans le Sud-Ouest Quels enseignements avez-vous tiré de l'appel à manifestation d'intérêt lancé en 2023 ?Nous avons lancé cet AMI pour regarder la nature des projets, des consommations dans notre région. Il a mis en lumière un potentiel de production important : il y aura une production locale d’hydrogène par électrolyse de l’eau, soit avec de l’électricité provenant du réseau, soit à partir d’électricité décarbonée. À l’horizon 2030, on parle d’une production autour de 0,5 ou 0,6 millions de tonnes. À titre de comparaison, la consommation européenne d’hydrogène est estimée à 20 millions de tonnes. Donc, ça n’est pas mal du tout à notre échelle, ça montre que l’on peut être contributeur à des zones industrielles au-delà de notre zone d'activité principale. La consommation à court terme sur notre territoire, c’est 0,4 millions de tonnes, il y aura donc des besoins de stockage et de raccordement à d’autres zones. Cette capacité en excès permet aussi à des industriels qui voudraient venir s’installer chez nous de savoir qu’il y aura une capacité d’hydrogène disponible.À lire également : Avec HySoW, Teréga veut transporter l'hydrogène à l'échelle du Sud-OuestEt à plus long terme ?Quand on se projette à 2040, ce 0,6 million devient presque 1 million de tonnes, et la consommation locale passe de 0,4 à 0,6. Il y a à nouveau un excédent potentiel dans la zone. Nous, on voit ça et on se dit qu’il va bien falloir transporter et stocker cet hydrogène pour assurer les process industriels.À quoi ressemblera ce réseau ? Quand on parle de réseaux de gaz, il faut toujours considérer au-delà des tuyaux, la question des capacités de stockage, qui vont permettre de s’assurer que les process industriels ne seront pas arrêtés en cas de fluctuation de la production. Ces capacités proviendront en partie de la conversion de stockages disponibles actuellement : des stockages salins, de petites cavités qui peuvent assez facilement basculer à court terme du méthane vers l’hydrogène. Et puis aussi des stockages de plus long terme, de type aquifère. On est en train de préparer certains stockages, pour être prêts, pour savoir ce qu’il faudra changer au moment où il faudra investir. La structure souterraine permet de le faire. Par exemple, en ce moment, nous sommes en train d’évaluer comment on pourrait convertir à l’hydrogène le stockage d’Izaute, dans les Landes. L’autre partie des stockages, ça sera de nouvelles cavités. Nous regardons où elles se trouvent et leur capacité à stocker de l’hydrogène dans la région.Jusqu'à 1TWh de stockageDe quels ordres de grandeur parle-t-on ? D’après notre évaluation, on devrait être capables de réaliser des cavités salines pour stocker de l’ordre de 500Gwh d’hydrogène, et jusqu’à 1TWh. Pour comparaison, avec le gaz, on a 33TWH, ce ne sont pas des ordres de grandeur équivalents. Mais aujourd’hui, notre stockage de gaz sert à toute la France. L'hydrogène a des applications très industrielles et pour la mobilité lourde, et peut-être aussi pour faire de l’équilibrage du réseau électrique. 500GWh ou 1Twh, c’est le genre de capacité dont on pourrait avoir besoin.Vous parlez de production d’hydrogène vert. Mais on découvre en ce moment des gisements d’hydrogène naturel en France, récemment dans le Béarn. Cet hydrogène blanc a-t-il, selon vous, un potentiel important ? Je ne suis pas un spécialiste de l’hydrogène blanc. Mais s’il y en a, on fera évidemment en sorte qu’il soit utilisé et acheminé. Nous regardons tous ces projets avec un grand intérêt : c’est un hydrogène a priori bon marché puisqu’il existe déjà. Il faudra voir les quantités et les possibilités d’extraction. Quoi qu’il en soit, il faut absolument étudier et envisager tous les potentiels.Que manque-t-il, aujourd’hui, pour que l’hydrogène soit largement utilisé ? L'hydrogène aujourd’hui est déjà utilisé très largement dans l’industrie, mais il est produit par réformage du méthane, ce qui rejette du CO2 dans l’atmosphère. La différence entre l'hydrogène dont nous parlons et celui-là, c’est que l’on veut faire de l’hydrogène vert, à partir d’électricité. Donc, pour que cette industrie-là soit mature, la question principale porte sur les électrolyseurs, qui transforment l’eau en hydrogène et en oxygène. La première brique qui va faire naître ce marché de l’hydrogène vert, c’est la disponibilité d'électrolyseurs de forte puissance. À partir du moment où l'électrolyse va fonctionner à des puissances importantes, il faudra la chaîne logistique pour acheminer l’hydrogène depuis les zones où il est produit vers l’ensemble des zones. C’est une industrie qui sera mature à la fin des années 2020. Entre 2025 et 2030 vous aurez des électrolyseurs industriels qui produiront de l’hydrogène de façon systématique. Nous, nous ferons en sorte que les projets, les uns après les autres puissent se raccorder. D’abord les installations locales, puis les grands réseaux types H2MED, entre 2030 et 2040. Mais la première brique de tout cet écosystème, ce sont les électrolyseurs de grande capacité.40% de réseaux réutilisésQu’est-ce que ce changement impliquera en termes d’infrastructures ? Faudra-t-il doubler tous les réseaux de gaz existants par des réseaux d’hydrogène ? À court terme, notre vision c'est que les tuyaux de gaz sont utilisés… pour le gaz ! Et la commission de régulation de l’énergie a émis un rapport qui projette ces infrastructures à 2050. Comment transporter l’hydrogène ? Dans notre plan décennal de développement, nous considérons que des canalisations pourraient potentiellement être libérées si la consommation de gaz baisse. Une partie du réseau d’hydrogène réutilisera certains de ces réseaux. Puis, l'hydrogène montera en puissance, plus on pourra dégager des canalisations que l’on pourra transformer. À terme, l’idée est d’avoir une part importante de réseaux réutilisés. Dans le cadre du projet de réseaux dans le Sud-Ouest, nous avons prévu une proportion de 40% de réseaux réutilisés. L’idée n’est pas de creuser partout, même si nous serons bien obligés de faire quelques canalisations spécifiques.Que représente le passage des réseaux du gaz à l’hydrogène ? On a fait une étude de nos canalisations : 70% peuvent accueillir de l’hydrogène ou du gaz indifféremment. En revanche, les installations de surface : postes de livraison, de sectionnement, les joints, les stations de compression… doivent être changés. Les stations de compression, en particulier, c’est un investissement significatif. Dans le Sud-Ouest, nous avons prévu un investissement de l’ordre de 800 millions d’euros à l’horizon 2035.Outre l’infrastructure, est-ce que cette évolution occasionne des coûts de R&D pour Teréga ? Pour l’essentiel, on ne fait pas de R&D. Le transport d’hydrogène existe déjà. Ce que l’on fait, ce sont plutôt des travaux de caractérisation de nos infrastructures pour savoir quelles sont leurs limites et ce qu’il faut remplacer. Les risques liés à l’hydrogène sont différents du méthane, mais le métier est le même : transport, compression, stockage. Nous formons nos équipes, et elles sont aujourd’hui capables de faire de la distribution d’hydrogène. Elles l'ont fait à petite échelle pour le Grand Prix de Pau ; au Teréga Open, on va avoir un chapiteau chauffé grâce à un système à pile à combustible, on assurera son alimentation en hydrogène. L’hydrogène en soi n’a rien de nouveau : ce qui est nouveau, c’est son processus de production, et le fait que ces tuyaux vont permettre, demain, d’ouvrir le marché et de donner l’accès à l’hydrogène le plus compétitif pour les processus industriels.

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