Le grand port maritime veut « atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2040 » - Premium

Quel sera le bilan de l’année 2023 du port par rapport à 2022 ?Nous avions prévu une diminution par rapport à l’an dernier car le premier trafic du port, ce sont les céréales et il y a une grosse fluctuation due au contexte international et à la guerre en Russie. Nous avons eu une grosse année au niveau exportation mais une campagne de récolte moyenne, de juillet à juin. Il y a un an, les prix étaient très forts comme on ne l’avait jamais vu. Cette année, la récolte est plutôt bonne pour les céréales mais cela ne repart pas pour l’instant, du fait du lobbying fait notamment par la Russie. Il y a donc un phénomène d’attentisme mais les céréales partiront. Il y a aussi un phénomène de report : il y avait moins de départs au premier semestre 2023 mais il se peut que les céréales partent plus vers le premier semestre 2024. Cette année est donc plutôt une année intermédiaire qui avait été anticipée au niveau du budget, mais il n’y a pas de catastrophe particulière. Un autre point particulier est qu’il y a eu des mouvements sociaux au premier semestre, qui ont impacté un peu le trafic. Le bois est notre filière historique, mais le bois tropical est en diminution d’année en année depuis des décennies. Sur cette filière, il y a aussi un phénomène conjoncturel qui est lié aux difficultés des papèteries de Condat en Dordogne. Les salariés sont en grève ces jours-ci car il y a la volonté de fermer une ligne sur deux. Cela perturbe le volume importé, en particulier pour la pâte à papier. Globalement, nous devrions finir à -10% mais nous l’avions anticipé. Qu’avez-vous mis en place pour vous diversifier ? Nous avons engagé une diversification il y a plus d’une dizaine d’années avec du vrac industriel, du vrac agricole, et nous mettons l’accent sur les filières nouvelles. Nous avons été concernés par le premier champ éolien offshore au large de Saint-Nazaire car nous avons reçu toutes les fondations pendant 18 mois. Dès le début de l’année prochaine, nous devrions être retenus pour recevoir les fondations pour les sites d’éolien en mer de l’île d’Yeu et de Noirmoutier. Nous nous préparons pour tout ce qui concerne le développement de la transition énergétique, en lien avec la politique de l’État qui veut mettre en œuvre 40 gigawatts de production d’éolien offshore en 2050. Actuellement, il y en a à peine 1 à 1,5 donc il va falloir accélérer très fortement le rythme. Nous nous préparons pour l’éolien flottant qui offre beaucoup plus de possibilités comme le projet sur Oléron. Cela représente la taille d’un terrain de football qu’il faut construire et mettre à l’eau. L’enjeu pour les ports est donc de trouver beaucoup plus de surface, tout en préservant les autres activités. Tous les ports ont été sollicités par un appel à manifestation d’intérêt lancé par l’État. Cela fait deux ans que l’on s’y prépare pour quelque chose qui arrivera dans cinq à dix ans.« On se transforme petit à petit, tout en continuant les autres activités »Comment vous préparez-vous concrètement ? Il y a dix ans nous avons déplacé une digue pour avoir une surface supplémentaire et en début d’année 2023, nous avons déconstruit une partie de notre viaduc sur 400 mètres pour obtenir une zone suffisante pour stocker de grands éléments. Nous avons aussi rectifié la digue pour avoir quatre hectares supplémentaires et recevoir les colis lourds. On se transforme petit à petit, tout en continuant les autres activités. Nous travaillons aussi avec les autres ports de commerce de Nouvelle Aquitaine sur des schémas logistiques. Cette démarche liée à l’éolien offshore fait l’objet d’un travail de fond aussi avec le monde de l’Education nationale car nous aurons besoin de main d’œuvre qualifiée dans tous les domaines. Il y a un enjeu de formation pour 2032, date de mise en œuvre du champ éolien offshore au large d’Oléron.Dans votre projet stratégique 2020-2024, l’une des orientations est d’aller vers le zéro carbone, où en êtes-vous ? Notre ambition est d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2040. Il y a une vraie démarche de fond qui s’est mise en place avec la ville de La Rochelle, l’Agglomération, l’Université et le pôle Atlantech qui vise à mobiliser tous les leviers tels que l’efficacité du bâti, la production d’énergie renouvelable, le transport de personnes et de marchandises, développer la captation du carbone… Il y a aussi un autre enjeu : attirer des fonds sur la contribution au carbone volontaire qui existent sur le marché pour pouvoir injecter de l’argent et aider, pas seulement le port, mais partout sur l’agglomération, les entreprises et habitations pour les décarboner avec une certification créée par la coopérative carbone. C’est un chantier énorme qui est assez extraordinaire et qui nous mobilise beaucoup. On va aussi créer une filiale qui va travailler sur une boucle d’autoconsommation collective pour produire de l’énergie renouvelable qui sera consommée localement. Nous travaillons également avec les entreprises portuaires afin qu’elles s’engagent dans les mêmes démarches, peu importe leur taille. L’idée est d’accompagner et de fédérer l’ensemble de cet écosystème économique pour aller vers la transition écologique et la neutralité carbone. Nous avons été retenus dans le cadre du programme d’investissement d’avenir de l’État car notre projet était global. L’enjeu est d’aller, avec un certain nombre d’actions, vers cette neutralité. C’est-à-dire diminuer très fortement les émissions de CO2 en se fixant des objectifs pour 2030-2035 et développer la captation de CO2 pour atteindre un équilibre en 2040.Combien coûte la mise en place de ces actions ? On ne se pose pas la question du coût, on profite de toute évolution pour aller vers la décarbonation. Il faut engager cette transformation partout. Quand on renouvelle des véhicules de services, nous choisissons des véhicules électriques ou hybrides. On a une drague qui va arriver en fin de vie, notre objectif est de la renouveler avec un engin hybride et qui fonctionnera à l’électricité, par exemple. En parallèle, nous devons adapter nos infrastructures de demain pour qu’elles puissent être résilientes en fonction des évolutions liées au changement climatique.« Le port est un outil du territoire qui répond aux politiques publiques »Comment allez-vous gérer les navires de croisière qui sont émetteurs de CO2 ? Le port est un outil du territoire qui répond aux politiques publiques. Pour les croisières, nous sommes vraiment dans une demande locale. La précédente stratégie touristique de l’agglomération de La Rochelle 2017-2022 était de développer les croisières. Dans le cadre de La Rochelle territoire zéro carbone, cela a évolué. On a mis en place un comité de pilotage qui associe tous les acteurs concernés du territoire : ceux en charge du tourisme, les collectivités et la Chambre de commerce et d’industrie. Nous avons déjà fait le point au niveau économique de ce qu’apportent les croisiéristes, un benchmark avec les autres places portuaires a été réalisé, on a fait le point sur la réglementation aujourd’hui et sur ce qu’elle doit être demain, d’un point de vue carbone, pollution… Nous avons étudié différents scénarios. Le marché de la croisière s’envole, les navires sont de plus en plus grands, avec de plus en plus de croisiéristes à bord. Nous avons décidé de diminuer de 50% les émissions de CO2 liées à cette activité d’ici 2030. Nous avons estimé qu’il y avait au moins 10% de limitation du CO2, liée à l’évolution technologique des navires. Nous allons donc prendre 40% en limitation du nombre d’escales accueillies. Les escales se programment longtemps à l’avance et sur les cinq dernières années, il y a eu 9 à 32 % de croisières annulées. Nous avons raisonné par rapport au nombre d’escales réservées, il y a eu 35 jours d’escales en 2022.Sur quels critères allez-vous refuser les navires ? Ce n’est pas habituel dans un port, car nous sommes un service public et nous accueillons tous les navires donc il faut des critères de sélection objectifs. Ce ne sera pas mis en place cette année, ni l’an prochain car les croisières se réservent deux ans à l’avance. Nous avons décidé de ne plus prendre d’escales de croisières entre le 10 juillet et le 31 août pour éviter la sur-fréquentation touristique pendant la période estivale. Si on a le choix, nous prendrons plutôt les jours qui vont du mardi au samedi afin d’avoir une valeur ajoutée pour le territoire d’un point de vue économique puisque les commerces sont fermés les dimanches et lundis. Concernant la partie environnementale, si demain des navires sont autonomes en alimentation énergétique, ils ne compteront pas. L’ensemble des acteurs a trouvé un juste équilibre. Il était nécessaire pour nous d’avoir une position du territoire sur ce sujet.30 millions d'euros de travaux dans les six prochains moisComment gérez-vous votre réserve foncière ? Le foncier est un sujet très important. On fait la chasse au gaspillage de surfaces en permanence, notamment lorsqu’une entreprise est présente depuis longtemps mais qu’elle n’a plus d’activité en lien avec le transport maritime. Nous n’avons pas beaucoup de surface par rapport à d’autres grands ports maritimes. Nous essayons depuis plusieurs années d’optimiser au mieux l’occupation du terrain. Récemment, nous avions deux activités sablières à deux endroits différents, après discussions, les entreprises se sont regroupées pour optimiser la surface. Il y a 35 hectares qui vont nous permettre de répondre aux enjeux de transition énergétique avec l’éolien offshore. Quand ce sera terminé, cette surface pourra servir à autre chose. Il y a aussi des surfaces attribuées temporairement pour pouvoir les garder lorsque nous avons des besoins pour certains changements. Nous avons une gestion au plus fin du foncier. Dans les six prochains mois, nous allons également faire des travaux d’amélioration des accès nautiques pour environ 30 millions d’euros.Cela fait dix ans que vous dirigez le port, comment le voyez-vous évoluer dans les dix prochaines années ? Effectivement, j’arrive au terme de mon deuxième mandat de cinq ans. Je suis plutôt satisfait par rapport à la prévision d’évolution des infrastructures, d’aménagements et autres. Je pense que nous avons inscrit le port sur quelque chose qui lui permettra d’être dans le coup pour plusieurs décennies. Il y a une période importante qui est passée et qui nous permettra d’être au niveau. Nous avons franchi le pas des énergies renouvelables. La difficulté des ports c’est qu’ils sont pris en étau par deux actions liées à la transition écologique : il faut adapter les infrastructures, investir dans des choses qui ne rapporteront pas plus d’argent, et en même temps, certains vont perdre beaucoup avec la disparition des énergies fossiles. Pour nous, ce sera 30% de trafic en moins, pour Nantes 70% et 55% à Bordeaux… Il faut donc adapter des infrastructures, investir pour demain, adapter le port afin qu’il soit agile et qu’il réponde aux besoins du territoire. Si je regarde cette évolution, par rapport à ce qui s’est dessiné, je vois l’avenir du port de La Rochelle plutôt très bon. Il faut que l’on continue à accompagner le changement des filières, que l’on soit résilient demain et que l’on se prépare aux différents scénarios d’évolutions pour remplir notre rôle pour les entreprises et la population. Les chiffres du Port Atlantique pour 20221er port importateur de produits forestiers2e port français exportateur de céréales 6e port français Plus de 9,6 millions de tonnes de marchandises traitées en 2022 1.715 emplois salariés générés Plus de 16.400 emplois directs, indirects et induitsMichel Puyrazat, président du directoire du Grand Port maritime de La Rochelle et président du directoire par interim du Grand Port maritime de Nantes Saint-Nazaire. Crédit : Port Atlantique La Rochelle.

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