En pleines vendanges, les vins de Jurançon lorgnent vers l'international - Premium

Les vendangeurs s'activent entre les rangs de vignes, des bassines pleines de raisin passent de main en main pour finir déversées dans la remorque d'un tracteur. Au loin, une vue à couper le souffle sur la chaîne des Pyrénées baignée de soleil. Pas de toute : nous sommes dans les coteaux de Jurançon. Plus précisément à Camin Larredya, chez Jean-Marc Grussaute, vigneron indépendant élu « Vigneron de l'année 2023 » par La Revue du vin de France. Sur son domaine, comme dans le reste du terroir, les vendanges battent leur plein.Une belle récolte, malgré le mildiou « On est sur de belles bases, constate-t-il. On peut espérer que la récolte soit bonne, voire très bonne ». L'année a pourtant été délicate pour les vignerons béarnais. Au printemps, plusieurs semaines de pluie ont provoqué une épidémie de mildiou. « Il a fallu changer de stratégie, traiter férocement, systématiquement », raconte Jean-Marc Grussaute, qui travaille pourtant en bio et s'efforce de réduire au minimum les traitements de ses vignes. « On a monté les doses de bouillie bordelaise. J'espère avoir sauvé les deux-tiers de mes raisins, mais sur certaines exploitations le bilan est dramatique, il ne reste parfois que 10% de la récolte ». Une situation « très dangereuse économiquement », car le mildiou n'est pas assurable. « Il faudra se poser la question de la solidarité entre agriculteurs, pense Jean-Marc Grussaute. Des initiatives existent, mais elles sont encore embryonnaires ».Quelques kilomètres plus loin, en contrebas des coteaux, un ballet de tracteurs et camions s'agite devant le grand bâtiment de la Cave de Gan. La coopérative viticole de Jurançon représente 60% de l'appellation, et ses 250 viticulteurs adhérents, y apportent chaque automne l'intégralité de leur production. Sur la rampe de chargement, les tonneaux de raisin blanc sont saisis par une fourche mécanique et déversés dans le bâtiment. À l'intérieur, il monte du sous-sol un vrombissement de machinerie et l'odeur doucereuse, un peu obsédante, du vin blanc qui commence à fermenter. François Ruhlmann, directeur général de la Cave de Gan, est lui aussi optimiste pour les vendanges 2023, qu'il espère « qualitatives » malgré une année compliquée. « On a eu plus de 25 alertes à la grêle sur toute la saison, se souvient-il. Dans ces cas-là, on ne peut que croiser les doigts, mais finalement c'est resté localisé, et sans grand impact ». Là aussi, le vrai facteur d'inquiétude est le mildiou, qui a touché environ 20% des surfaces exploitées par les agriculteurs de la coopérative. « En conventionnel, nous avons moins de contraintes et plus d'outils à notre disposition qu'en bio, mais il y a une contrainte qui est commune à tous les types d'agriculture, rappelle-t-il, c'est que nous travaillons sur un vignoble avec beaucoup de relief, parfois difficile d'accès pour traiter ». Mais, conclut-il, « sauf cataclysme », les vendanges seront bonnes. Viendra ensuite le temps de la commercialisation.Ventes locales et à l'international« L'épicentre de nos ventes se fait autour du territoire de production, explique François Rulhmann. Le Jurançon est un marqueur identitaire de notre territoire. Mais sa renommée a dépassé les frontières du Béarn, nous avons une présence réelle en région parisienne, dans l'est de la France. Bien sûr, il y a plus de références dans le Sud-Ouest, mais partout en France, si vous entrez chez un caviste vous trouverez du Jurançon ».En dehors de l'Hexagone, les ventes se font plus rares : aujourd'hui, la cave de Gan réalise 90% de son chiffre d'affaires en France et seulement 10% à l'international. Une proportion qui pourrait cependant être amenée à évoluer. « On a bien quadrillé le marché français, et nous commençons à nous concentrer plus sur nos perspectives à l'export », confie François Ruhlmann. « en particulier le marché japonais, où l'on a découvert un vrai intérêt. Nous vendons moins en Chine et sur les marchés peu matures ; plutôt dans des pays qui ont déjà une bonne culture du vin comme la Belgique, l'Allemagne, le Japon, les Pays-Bas, la Thaïlande, l'Amérique du Nord… où les consommateurs recherchent un peu de diversité et ont un vrai intérêt pour des vins avec des profils inhabituels ». Mais, conclut le directeur, « on aura toujours ce raisonnement prudent, consolider d'abord nos bases avant d'aller sur des marchés plus volatils. Nous voulons avancer à petits pas. Au moment du covid, on était bien content d'avoir la grande distribution… mais pendant la crise des gilets jaunes, quand beaucoup de supermarchés étaient bloqués, on était bien content d'avoir nos exportations ».La dynamique est pratiquement à l'exact opposé chez Jean-Marc Grussaute. Bien aidé par la vulgarisation du transport international et l'arrivée d'internet « qui me permet de vendre à l'autre bout du monde aussi facilement qu'au pied des collines », le vigneron indépendant, dont les bouteilles se vendent entre 20 et 60 euros pièce, fait un tiers de ses ventes à l'international, le reste au niveau national. « Pratiquement rien » en local. C'est un tout autre format commercial, fondé sur la présence dans les guides et les classements internationaux, la fréquentation des salons et les liens personnels avec les revendeurs.Le terroir béarnais, facteur de différenciationSur les étiquettes de son vin blanc, le nom « Jurançon » n'apparait pas en aussi gros que celui de son exploitation. Un choix motivé, là aussi, par la spécificité du marché du haut de gamme. Sur ce marché, plus que le terroir, c'est la marque personnelle, bien identifiée par les acheteurs, qui tire les ventes. « Mais le Jurançon est un vecteur d'identité, nuance Jean-Marc Grussaute. C'est une petite marque, mais c'est là qu'est sa force : il nous permet de nous démarquer des autres vins, d'expliquer aux acheteurs notre terroir unique » : le terroir jurançonnais, son sol en poudingues, son climat à la fois montagneux et océanique, pour lequel ont été créés des cépages particuliers, petit et gros manseng, capables de résister et même de s'épanouir dans l'humidité béarnaise.Un terroir qui est lui aussi au cœur de la stratégie commerciale de la cave de Gan. « La typicité est notre premier élément différenciant, détaille François Ruhlmann. On ne retrouve pratiquement nulle part au monde un équilibre aussi spécifique que le nôtre, avec des cépages uniques et un tel mélange de soleil et de pluie. L'autre élément, c'est le rapport qualité/prix. Aujourd'hui, si vous n'avez pas une appellation incontournable, vous vous devez de proposer un bon rapport. Rien ne dit que le consommateur mettra toujours du vin dans son budget, il faut qu'il se dise qu'il a eu ce pour quoi il a payé ». « Ce sont les deux points qui nous permettent de ferrailler sur le marché du vin, conclut le directeur de la Cave de Gan. Rien n'est donné, mais en respectant ce plan de jeu, on arrive à avoir une entreprise qui grandit, et qui assure un revenu stable pour sa centaine de collaborateurs et nos 300 familles de vignerons ». Camin Larredya1901 chemin Larredya, Jurançon2 salariés (12 saisonniers en période de vendanges)CA 2022 : 550.000€Volume de production : 45.000 bouteilles/anLa Cave de Gan53 avenue Henri IV, Gan100 salariés (150 en période de vendanges)CA 2022 : 25.000.000€Volume de production : 5.500.000 bouteilles/an

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