Paroles d'expert. « Arrêtons d'opposer rentabilité de l'entreprise et épanouissement individuel » - Premium

Fabrice Gatti est coach et auteur de SOS travail sous tension. Le Bordelais accompagne des entreprises après une carrière dans les RH du milieu du sport de haut niveau notamment en F1 au sein de Redbull. Il croise les disciplines de sciences humaines et économiques pour « changer le regard sur le travail ». Est-il possible, selon vous, de concilier épanouissement individuel et rentabilité de l'entreprise ?J'ai toujours observé que c'était possible. Je dirais même qu'on n'a plus le choix que d'intégrer, dans nos pratiques managériales, l'épanouissement individuel et la lutte contre la destruction de la planète. Mais cette équation s'obtient au prix d'efforts importants car il faut sortir des dogmes managériaux pour « reféconder » un état d'esprit d'entreprise. Êtes-vous contre le profit ? Absolument pas ! Le profit est nécessaire et souhaitable pour créer de la richesse, des emplois et de l'épanouissement. En revanche, je dis qu'il faut arrêter la recherche du profit immédiat à tout prix, cesser le « toujours plus ». La quête du profit immédiat nous donne l'illusion de la maîtrise de notre avenir mais elle nous enferme dans une rigidité des pratiques managériales qui fait qu'on ne sait plus s'adapter au monde qui bouge. Ce modèle, qui valorise l’optimisation des ressources humaines et matérielles sous l'angle de la productivité pure, se révèle souvent dysfonctionnel lorsqu’il est confronté à la réalité du marché. La logique utilitariste, en poussant à la rationalisation extrême, la planification à outrance et à l'efficacité immédiate, s’éloigne des dynamiques profondes du travail et de la réalité du terrain, empêchant toute créativité et autonomie.À lire également : Deltic : Mathieu Dumasdelage bouscule les codes du management en étant rentable Comment une organisation saine prend-elle en compte les dynamiques profondes du travail ? Du point de vue sociologique, une organisation fondée sur des prévisions strictes et un contrôle centralisé étouffe l’initiative individuelle, réduisant ainsi la capacité d’innovation et de réactivité face à des crises inattendues. Le manque d’autonomie et de flexibilité finit par provoquer une démotivation collective et une perte de sens dans le travail, qui, loin de générer des bénéfices, entraîne une véritable souffrance organisationnelle. Une organisation saine, au contraire, est celle qui encourage la créativité des individus, leur permet de prendre des responsabilités et de faire preuve d’initiative, sans se laisser étouffer par une bureaucratie omniprésente. Pour changer de modèle, de regard, de positionnement, par quoi le dirigeant ou le manager doivent-ils commencer ? Plutôt que de s'accrocher à des prévisions rigides, surtout dans un environnement mouvant, il convient d'accepter la complexité et de s'appuyer sur l’observation du réel pour ajuster favorablement les décisions. Donc on commence par bien connaître la sociologie des organisations dans lesquelles on évolue, l'entreprise, ses métiers, les luttes de pouvoir, la culture d'entreprise, la personnalité du dirigeant… Ensuite, je pense que le cœur du sujet consiste à sortir du « toujours plus ». Notamment toujours plus de rentabilité. Laissons place à la créativité. Pour laisser place à la créativité des collaborateurs, vous prônez, notamment, la méthode Craft.À lire également : Découvrez « Héritiers », la nouvelle série de Placéco BéarnEn quoi consiste-t-elle ? C.R.A.F.T. est un acronyme qui signifie habileté. Il s’agit d’un dispositif qui structure un contexte de travail performant et épanouissant en intégrant les besoins fondamentaux des individus et les enjeux stratégiques de l'entreprise. Ce dispositif s'appuie sur cinq piliers : C pour Compétence : permettre aux individus de se sentir efficaces et de progresser. R pour Relation : favoriser des interactions de qualité et un sentiment d'appartenance. A pour Autonomie : offrir un cadre où chacun peut agir avec responsabilité et initiative. F pour Finalité et Frame : donner du sens au travail, au-delà du seul intérêt financier et créer un cadre de sécurité psychologique favorable à l’engagement, la confiance et la responsabilité T pour Talent : pour aider chacun à identifier et exploiter ses facultés naturelles dans le quotidien.À lire également : Le salon Résolution Gironde revient le 10 avril à Bordeaux Pourquoi ce dispositif, cet état d'esprit est-il favorable aux entreprises ? Parce qu'il favorise la capacité des individus à collaborer en confiance et à prendre la responsabilité de leurs actes. Notamment parce qu'il féconde l'adaptabilité et la performance sous pression. En permettant à chacun de développer ses compétences et d'agir avec autonomie, l'organisation devient réactive face à l'imprévu. Or, le propre des équipes qui réussissent sous pression c'est justement leur capacité d’initiative et d’action qui prime sur une exécution rigide. Une organisation qui révèle les talents naturels de chacun génère une motivation intrinsèque, plus efficace qu'une motivation externe. En encourageant la confiance et l'intelligence collective, on renforce la cohésion et la coopération, deux facteurs clés du succès des organisations complexes. Enfin, un cadre de collaboration dans lequel les individus se sentent en sécurité soutenu par un management prévisible favorise la confiance dans le système, la loyauté et la prise d'initiative, ce qui contribue à l’innovation continue et à la stabilité des effectifs. « Reféconder » l'esprit d'initiative, va-t-il sauver les entreprises ? Avec l'IA et tout ce que les personnes comme Trump promettent, je pense qu'il va y avoir une scission entre deux mondes : l'entreprise libérale à outrance et l'organisation qui aura su faire confiance dans les capacités humaines. Un peu comme lors du remplacement de Néendertal par Homo sapiens… SOS travail sous tension, Fabrice Gatti, Enrick B Editions, 2024, 215 p.

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