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Les toilettes sèches : l'assainissement de demain ?

Engagement
mardi 20 octobre 2020

Ambre Diazabakana, ingénieure agronome, coordinatrice de la Fumainerie.

Pour la première fois en France, une expérimentation est menée pour collecter chez des particuliers, en plein centre-ville de Bordeaux, des sous-produits issus de toilettes sèches afin de les valoriser. Ambre Diazabakana, ingénieure agronome, coordinatrice de la Fumainerie, décrypte ce dispositif innovant dont l’efficacité technique, environnementale et économique va être évaluée.

En quoi consiste cette expérimentation ?
Elle concerne trente-cinq foyers bordelais, soit 70 personnes volontaires, habitants en centre-ville de Bordeaux et dans du logement ancien. Leurs habitations ont été équipées de toilette sèche, de deux bacs de récupération – l’un pour les urines, l’autre pour les matières fécales- et ces foyers bénéficient d’un système gratuit de collecte de ces bacs à domicile au minimum une fois par semaine. Certains habitants ont été équipés dès juin, d’autres en septembre. D’ici à quelques semaines, nous aurons la totalité des 35 foyers, chiffre que nous ne dépasserons pas -malgré une demande forte de foyers volontaires- pour mener à bien cette expérimentation qui durera deux ans.

De quelle manière sont valorisés ces excrétas humains ?
Une fois collectés, les excrétas issus des toilettes sèches sont stockés et valorisés sur notre site de Mérignac, tiers-lieu dédié au recyclage. L’urine est récupérée par l’entreprise Toopi Organics, basée à Langon, qui la transforme et la valorise en produits fertilisants pour l’agriculture et l’industrie. Une plateforme industrielle basée à Saint-Jean-d’Illac, producteur de compost pour l’agriculture, elle, est en charge de la valorisation des matières fécales.

Comment est née l’idée de cette expérimentation ?
D’ores et déjà, en 2015, un collectif citoyen bordelais « Kakapower » s’était créé autour de cette idée de mutualisation et de collecte mais elle restait compliquée à réaliser. Rassemblant neuf co-fondateurs, l’association La Fumainerie est née en 2018 avec le souhait de promouvoir un assainissement plus écologique. L’association a été épaulée de suite par ATIS pour de l’aide à la structuration, au développement d’un modèle économique et la recherche de financement. De nombreuses collectivités et fondations ont accepté en 2019 de soutenir notre projet : le service de l’ESS de la Région, la Métropole qui a nous décerné le prix « coup de cœur » de l’ESS, le Département qui nous a décerné un prix Agenda 21, la Dreal, la fondation Daniel et Nina Carasso, le fonds européen AMPLI. Ce soutien conséquent traduit une prise de conscience que de solutions doivent être trouvées pour préserver notre environnement.

700.000 litres d'eau potable économisés sur un an pour 35 foyers

Quel est le bénéficie environnemental d’un tel dispositif ?
Il s’agit tout d’abord de réduire la consommation d’eau potable et préserver nos ressources. Nous utilisons 9 litres d’eau à chaque fois que l’on tire la chasse. Nous avons ainsi calculé, par rapport à notre expérimentation qui implique seulement 35 foyers, que l’économie d’eau potable serait de 700 000 litres/an. Ce dispositif permet aussi de préserver les milieux aquatiques. Le rejet dans la nature des eaux usées, surchargées notamment en azote, favorise des phénomènes tels que la prolifération d’algues ou de « marées vertes » qui perturbent les milieux marins et conduisent même parfois à la fermeture de plage ou de sites de production conchylicole. Le traitement et la dépollution de ces milieux aquatiques se traduisent par des coûts très importants pour les collectivités.

Sur quel modèle économique s’appuie cette expérimentation ?
Nous sommes partis sur un modèle de gratuité pour les foyers avec une volonté d’approche équitable. D’un coût de fonctionnement de 300.000 €, cette expérimentation est financée à hauteur de 80 % par les collectivités territoriales et nos partenaires et à hauteur de 20 % par du crowfunding. Un budget de 40.0000€ est dédié, en outre, à des investissements (toilettes sèches, vélo spécial pour récupérer les bacs,…). Il est évident que l’implication des pouvoirs publics, à ce stade expérimental, est cruciale d’autant qu’aujourd’hui, ce sont les producteurs de déchets qui paient des prestataires pour que ces matières organiques soient valorisées. De ce fait, nous réfléchissons, pour un modèle économique plus pérenne, à assurer nous-même à l’avenir la valorisation de ces sous-produits issus des toilettes sèches, ce qui nécessitait des investissements pour se doter par exemple d’une unité de pico-méthanisation pour transformer ces matières en énergie ou compost. 

La Suède dispose de double canalisation depuis 20 ans

Ce dispositif serait-il duplicable à plus grande échelle ?
Aujourd’hui, l’expérimentation telle est qu’elle est menée nécessite une énorme gestion. Il apparait difficilement envisageable de pouvoir l’étendre à davantage de personnes. La solution à long terme la plus réalisable serait celle à l’échelle de bâtiment collectif avec un remplacement des actuels systèmes unitaires de récupération des eaux. En Suède, le modèle de double canalisation pour séparer les eaux usées et les eaux grises existe depuis vingt ans et il est anticipé, en amont, dès la construction des bâtiments. La France, elle, commence tout juste à s’intéresser à ce type de dispositif. Ainsi la semaine dernière, à Paris, un projet a été retenu pour l’installation d’une double canalisation dans des bâtiments à l’échelle de tout un quartier, à Saint-Vincent-de-Paul.

Le secteur du BTP anticipe-t-il ces nouveaux modèles d’assainissement ?
Pour l’instant, il montre surtout une curiosité et une écoute mais le secteur privé attend de voir si ça va fonctionner pour investir. Dans un premier temps, l’impulsion doit être donnée par les collectivités territoriales à travers de premières commandes publiques auprès de constructeurs privés. C’est avant tout eux qui doivent être convaincus. De nombreux obstacles restent à vaincre : la question notamment de l’acceptabilité sociale et de l’évolution de la législation alors que c’est pourtant une voie de pérennisation de nos villes. 

La Fumainerie
Mérignac
lafumainerie@zaclys.net
06 31 19 55 74
www.lafumainerie.com


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