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Hynaéro veut inventer le successeur du Canadair, un programme chiffré à plus de 900 millions

Innovation
mardi 29 août 2023

Souveraineté opérationnelle et industrielle, emplois, lutte contre le défi climatique… Les enjeux sont nombreux. Crédit : Hynaéro

Face au vieillissant Canadair, une jeune pousse girondine veut créer l’avion bombardier d’eau de demain. Tout juste en phase d’amorçage, le programme nécessiterait plus de 900 millions d’euros pour être mené à terme et voir ses premières ventes, peu après 2030. Le tissu industriel régional serait mobilisé, en vue d’un assemblage final réalisé en Gironde.

Le projet « Frégate-F100 » porté par Hynaéro en est encore à ses tous premiers balbutiements mais n’en est pas moins ambitieux : faire émerger ex nihilo un hydravion bombardier d’eau de nouvelle génération à l’horizon 2030. Le marché est pour l’heure occupé - d’aucuns diraient monopolisé - par le célèbre Canadair qui, à l’instar de Frigidaire ou Algéco, devient un nom commun désignant non plus seulement la marque mais surtout l’objet. Reste que cet appareil, qui n’est plus fabriqué depuis 10 ans, est daté dans sa conception et, sur les 240 exemplaires construits, 160 environ volent encore. Une flotte insuffisante face à des besoins qui vont croissant. « Canadair est une référence, mais a montré sur les grands feux les limites d’un avion conçu il y a 50 ans », souligne David Pincet, ancien pilote de chasse qui a œuvré 38 ans au sein de la Défense, dont l’Armée de l’air mais aussi plus récemment (avril 2021 à juin 2022) à la direction du groupement d’avions de la Sécurité civile de Nîmes, et qui est l’une des chevilles ouvrières d’Hynaéro.

Et de rappeler quelques faits. Certes, un avion bombardier d’eau émet en moyenne 6 tonnes de CO2 par heure de vol. En regard, un hectare de forêt brûlée, ce sont environ 10 tonnes de CO2 libérées immédiatement et entre 15 et 30 tonnes de CO2 qui ne seront pas capturées les années suivantes. Face à la multiplication des sécheresses, des grands vents et des grands feux, mais aussi en raison des besoins émergents de certains pays (Australie, Indonésie, Portugal, Suède…), les besoins en la matière sont indéniables. Les violents incendies qui ont frappé le Sud Ouest au cours de l’été 2022 ont été un peu le « wake up call » sur le sujet. « En France, 90% des surfaces brûlées le sont par 10% des feux, l’intervention précoce est donc indispensable », rappelle David Pincet, qui estime qu’il y a là moyen de « contribuer à la lutte contre l’emballement du réchauffement climatique, on est un programme à impact » : 20% des émissions de CO2 sont dus aux feux de végétation.

La référence des 50 prochaines années

« Nous voulons concevoir le successeur légitime du Canadair, avec ses opérateurs actuels », explique-t-il, prévoyant de partir des besoins que ceux-ci affichent. Si les caractéristiques techniques sont encore à affiner, les grandes lignes sont connues. Embarquer 10 tonnes d’eau (6 tonnes pour Canadair), une vitesse de croisière de 250 nœuds (environ 460 km/h) contre 180 nœuds, mais aussi disposer de commandes vol électriques « pour que le pilotage soit moins fatigant, plus précis, plus sûr », être en capacité d’emmener une équipe d’intervention de 3 ou 4 personnes, ce qui est très difficile à l’heure actuelle ou encore que l’appareil soit capable d'emmener des palettes de fret standard. Le tout en conservant un profil de mission identique : 2 heures et demie de lutte contre le feu, jusqu’à 400 km de la base, tout en s’appuyant les mêmes plans d’eau que le Canadair. Le Frégate-F100 sera doté d’une structure moderne et d’un jumeau numérique, permettant une maintenance prédictive et préventive et ainsi réduire les coûts. Un autre avantage alors que le monopole de Viking sur les pièces détachées du Canadair a conduit à une forte inflation du coût de sa maintenance.

Pour l’heure, Hynaéro est en phase de pré-amorçage. La structure dédiée, dont les statuts sont en cours de rédaction, devrait être créée d’ici fin septembre et sera basée en Gironde. La technopole Bordeaux Technowest apporte son soutien : « du coaching de startup, ils nous aident à nous structurer, définir le business plan, les options de financement, fournissent une aide juridique et sur la communication et peuvent ouvrir la porte vers des partenaires et des investisseurs », déroule le dirigeant. L’équipe à l’origine d’Hynaéro comprend une demi-douzaine de personnes, dont certaines veulent encore rester sous les radars, étant encore en poste par ailleurs. Mais ce sont « plus de 130 années d’expérience dans l’aéronautique, dans les domaines techniques, industriels commercial, emploi et opérationnel » dont ce noyau dur peut se prévaloir, notamment auprès des futurs partenaires et investisseurs.

Globalement, le coût du programme est estimé à plus de 910 millions d’euros sur les six premières années. Très rapidement, il va s’agir de réunir un demi-million pour porter l’amorçage sur six mois, puis environ 17 millions pour les 18 mois suivants. L’objectif est d’atteindre l’équilibre des comptes au bout de 10 ans, avec une rentabilité espérée au bout de 60 machines, sachant que l’objectif serait d’écouler 150 appareils, soit la moitié du marché, sur la base d’un prix unitaire pour l’heure évalué entre 65 et 70 millions d’euros. Si, pour le capital de départ, outre les apports des associés, il n’est pas exclu de faire une cagnotte en ligne. Il est ensuite prévu de s’appuyer sur des subventions du Conseil régional et de Bordeaux Métropole, de faire appel à des business angels et Bpifrance. Egalement dans le viseur : le fonds ACE de Tikehau Capital, le fonds inter-régional Irdi mais aussi la Commission européenne, pour obtenir le soutien de la BEI. D’autres idées sont évoquées, comme le fait de se rapprocher de grandes fortunes familiales qui souhaiteraient soutenir un projet à impact.

Bénéfices pour le tissu industriel régional

Hynaéro veut donc porter la conception, la certification et la ligne dédiée à l'assemblage final, pour laquelle un foncier a d’ores et déjà été identifié en Gironde. Pour le reste, il est prévu de s’appuyer sur le tissu des sous-traitants régionaux. « C’est une opportunité pour des industriels de niveau 1 et 2 de rentrer dans un programme CS25 », souligne encore David Pincet. En matière d’emploi, l’impact est évalué à 350 emplois directs, 200 emplois indirects et environ 2.000 emplois sur l’écosystème de la construction des avions. Alors que De Havilland Canada ambitionne de relancer la construction du Canadair - « va-t-on acheter en 2030 un avion conçu il y a 50 ans ? », s’interroge David Pincet - Hynaéro est, pour ses initiateurs, porteur de souveraineté sur une capacité stratégique, mais aussi de réindustrialisation : « on rentre dans le cadre de France 2030 ». En attendant, le chemin est encore long, avec l’idée d’un programme sur 20 à 25 ans de fabrication et encore 30 années de MRO (Maintenance, Repair and Operations). « Les premiers vols pourraient avoir lieu en 2028, pour démarrer les ventes en 2031, c’est déjà ambitieux », se projette enfin David Pincet.