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Avec Mathia, Prof en poche commence à lorgner vers l'international

Innovation
vendredi 16 février 2024

Mathia est aujourd'hui présent dans 6.000 écoles en France. | Photo Prof en poche

Crée par l'edtech paloise Prof en poche, l'application Mathia, qui utilise l'intelligence artificielle pour accompagner l'apprentissage des mathématiques, devrait atteindre en 2024 les 9.000 licences vendues. Forts d'une assise solide en France, ses créateurs envisagent maintenant un déploiement à l'international.

Rarement le terme « d’entreprise familiale » n’a semblé si adapté que pour décrire Prof en poche. Parce qu’elle est dirigée par une fratrie de deux frères et une sœur, d’abord. Mais c’est aussi une ambiance, jusqu’à celle des bureaux palois de l’entreprise, installés dans un ancien appartement bourgeois aux parquets cirés, dont on devine encore les salons, la cuisine et les chambres à coucher… « Mon frère Vincent, ma sœur Sophie et moi, on a toujours baigné dans cette entreprise, mis la main à la pâte et passé une bonne partie de notre enfance dans les locaux », raconte Paul Escudé, cofondateur de Prof en poche.

Pas les locaux actuels, toutefois : les origines de l’entreprise sont plus modestes. Elles remontent à 1983, se souvient Paul Escudé, avec la création par ses parents de Pieber, une société de soutien scolaire « dans une cave Rue d’Orléans ». Le succès est au rendez-vous et à la fin des années 1990, Pieber compte une dizaine de centres dans tout le grand Sud-Ouest. Les choses se gâtent en 2008. La crise financière frappe de plein fouet le marché du soutien scolaire, qui connaît une importante rétractation. Internet s’est aussi démocratisé, et avec lui un acteur devenu très populaire en France : Leboncoin. Avec son système de petites annonces en ligne, il favorise l’explosion des cours particuliers donnés par des professeurs indépendants.

Le pari gagnant de l'IA

En 2013, Paul et Vincent Escudé reprennent l’entreprise. Deux ans plus tard, raconte Paul, « on constate qu’on a de plus en plus de demandes de cours à distance ». Les deux frères décident donc de miser sur les cours en visioconférence. Pour développer un outil, « on ouvre les Pages Jaunes et on cherche un développeur web ». Celui qu’ils recrutent, Samuel Imbert, est « un coup de foudre professionnel, raconte Paul Escudé. On ne s’est pas quittés depuis ». La même année, leur sœur Sophie rejoint l’équipe. Les quatre associés fondent Prof en poche et rejoignent l'incubateur d'Hélioparc. Entre 2015 et 2016, ils créent l’application mobile du même nom, avec un modèle économique « freemium ». Les utilisateurs gratuits peuvent discuter avec un chatbot géré par une intelligence artificielle ; les abonnés payants ont quant à eux accès à un professeur humain. En un peu moins de trois ans, l’appli séduit 200.000 utilisateurs… mais trop peu acceptent d’ouvrir leur portefeuille. « Avec seulement mille utilisateurs payants, on n’avait pas la croissance qu’on voulait », reconnaît Paul Escudé. Mais l’expérience n’est pas pour autant un échec. Il positionne Prof en poche comme un précurseur de l’intelligence artificielle et une solide expertise de son utilisation dans l’enseignement des mathématiques, le sujet le plus demandé par les élèves et aussi le plus adapté à l’usage de l’IA.

En 2019, fort de cette expérience, Prof en Poche répond à un appel d’offre du Ministère de l’Education nationale. Dans le cadre du PIIA (Partenariat Innovation Intelligence Artificielle), le Ministère cherche des entreprises à même de créer des solutions basée sur l’IA pour assister les professeurs de français et de maths. « C’était la première fois en Europe que l’IA entrait dans les salles de classe, se souvient Paul Escudé. On a fait une proposition et on a remporté ce marché pour les mathématiques ». C’est la naissance de Mathia, une application mobile d’aide à l’enseignement des maths animée par une intelligence artificielle. S’ensuivent trois ans de R&D et de pré-industrialisation. « On a fait du terrain, travaillé avec des enseignants, pour répondre aux besoins réels des professeurs et des élèves », raconte le cofondateur de Prof en poche. En 2022 et 2023, l'entreprise passe à la diffusion. Aujourd’hui, reprend Paul Escudé, « le produit est top, l’IA est performante, capable d’adapter le parcours de chaque élève ». Mathia est utilisé dans près de 6.000 écoles, et prévoit d’atteindre les 9.000 licences au printemps 2024. Le ministère débloque des enveloppes budgétaires pour un nombre donné de licences, charge ensuite à l’entreprise de démarcher les utilisateurs. « Nous travaillons avec les académies, leurs directeurs du numérique, nous rencontrons des enseignants sur des salons, des événements professionnels, détaille Paul Escudé. C’est un modèle très confortable pour nous, car il n’y a pas de frein à l’achat pour les utilisateurs. »

Viser l'exportation

Prof en poche commence néanmoins à lorgner hors de ce cadre. « Mathia a trouvé son usage et connaît une croissance très rapide, constate Paul Escudé. Depuis six mois, on propose à des familles de s’abonner. On commence également à aller à l’étranger. » Sont visés prioritairement les marchés francophones, Suisse, Belgique, Canada... mais Mathia vient également d’être traduit en anglais. « On l’a présenté à Londres au Bett Show [ndlr, Salon international de l’edtech], on est en discussion avec la Corée du Sud, l’Estonie. » Mais le partenariat avec l’Education nationale reste le cœur du modèle économique de Mathia et représente plus de 90% des usagers de l’application. Par rapport à l’ensemble de l’activité de Prof en poche, Mathia représente aujourd’hui 20 à 25 % des deux millions d’euros de produit [l'entreprise n'a pas souhaité communiquer son chiffre d'affaire, ndlr]. Une part qui a vocation à augmenter. « C’est un produit qui a un potentiel extraordinaire, considère Paul Escudé. Si on arrive à le faire exploser en Corée... » D’autant que les concurrents ne sont pas légion. Au-delà du géant américain Matific, « sans commune mesure avec nous », ils sont très peu nombreux en Europe, même si des solutions concurrentes commencent à apparaître. « Nous, on voit ça d’un très bon œil. Le taux de pénétration du numérique est encore faible, on n’est même pas à 5% de ce que pourrait être le marché. Donc, plus on est d’acteurs à faire bouger les choses, mieux c’est », assure le cofondateur de Prof en poche.

« L’avantage de vendre du logiciel, c’est que le coût marginal d’une nouvelle licence est pratiquement nul, considère Paul Escudé. Mais on est aujourd’hui toujours dans une phase d’investissement dans le produit, dont on veut qu’il atteigne son plein potentiel ». Mathia est aujourd’hui limité aux classes de CP, CE1 et CE2 et à 50% du programme de CM1, CM2 et 6e. En 2024, ses développeurs veulent couvrir « 100% de l’école primaire ». Prof en poche continue donc d’investir en R&D, et fait aussi « beaucoup d’efforts » dans l’accompagnement des enseignants et le support technique. « Le produit est déjà rentable aujourd’hui, assure Paul Escudé, mais on pourra faire encore mieux dans les années qui viennent. »

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