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La Nouvelle-Aquitaine face aux taxes douanières Trump : à quoi s’attendre ? Que faire ?

Écosystème
vendredi 18 avril 2025

La cellule de crise élargie néo-aquitaine est appelée à se revoir lors des prochaines semaines. Crédit : DM

Face aux annonces de l’administration Trump sur les droits de douane, le monde économique néo-aquitain s’interroge sur les conséquences pour ses différentes filières. Et sur les solutions pour y faire face. Tour d’horizon.

« Nous sommes en guerre », aurait-on pu entendre. Suite aux annonces de l’administration Trump sur la taxation des exportations vers les États-Unis, l’heure était à la mobilisation générale ce 17 avril dans les locaux du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine. Un aréopage d’élus régionaux, dont leur président Alain Rousset, flanqué d’émissaires de la Banque de France et des Douanes, d’un universitaire spécialiste en économie et finance internationales et ayant invité à un large tour de table les représentants des filières économiques emblématiques de la région. L’objectif ? Évaluer plus finement les conséquences des différents scénarios concernant l’évolution de ces droits de douane. Evoquer l’exposition des différentes filières. Et proposer des solutions.

Une catastrophe ?

Vincent Bignon, conseiller du directeur général des études et des relations internationales de la Banque de France, l’exposition, ouvre le bal, concernant l’exposition de l’économie française, « calculée par rapport à la valeur ajoutée qui est produite en France » : c’est 1,7% du PIB. « C’est embêtant à court terme, mais ça n’a pas d’impact de long terme sur une économie », tempère-t-il. Néanmoins, l’imbrication des chaînes de valeur complexifie l’analyse. On s’échange des biens intermédiaires entre régions et entre pays avant de vendre des produits finis. « Donc le problème est un petit peu plus grand que le 1,7% du PIB. » Mais porte plutôt sur des enjeux d’organisation des chaîne de valeur : « va-t-il y avoir des relocalisations aux USA ou pas du tout ? »

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Un des paradoxes de la situation est que, d’un avis assez unanime, du côté des Etats-Unis, ces mesures de droits de douane « sont négatives pour l’activité économique et pour et pour l’inflation. On va donc être dans une situation où, en plus de notre exposition directe et celle de nos partenaires aux Etats-Unis, il va y avoir une dimension purement d’incertitude », analyse Vincent Bignon. Lequel voit « deux scénarios extrêmes. Soit c’est un changement amené à durer du côté des Etats-Unis et donc la question pour nous est de savoir quelle est notre meilleure réaction. Soit, hypothèse plus positive, les institutions américaines étant très forte, ça ne sera vu dans 5 ou 10 ans que comme un mauvais épisode ».

Quelles filières principalement touchées ?

Cinq grands secteurs néo-aquitains sont fortement et directement exposés vis-à-vis des Etats-unis, selon la direction des Douanes françaises. Au premier rang, les boissons - vins et spiritueux - qui pèsent près de 45% des échanges avec les USA, soit un peu plus de 3 milliards d’euros (chiffres 2024). Suivent les produits de la construction aéronautique et spatiale, pour 16,37% des exportations néo-aquitaines vers les Etats-Unis. En troisième position, les produits chimiques (5,4%). Le matériel électrique (4,46%) et les produits pharmaceutiques (2,63%) complètent ce quintet, qui englobe donc environ les trois quarts de nos exportations régionales vers les USA. « Chaque autre filière pèse individuellement moins de 2% de l’export vers les Etats-Unis. Ce qui ne veut pas dire que ça ne va pas affecter certaines petites entreprises ou certaines filières particulières, dont la quasi totalité des exportations se sont vers ce pays », explique Jean-Noël Navarro, coordonateur interrégional de l'action économique de la direction interrégionale des douanes et droits indirects de Nouvelle-Aquitaine.

« Ce droit de douane américain, c’est quelque part le problème de vos clients américains, mais pas celui des sociétés françaises », bouscule-t-il. « Donc premier réflexe, faites un inventaire des contrats que vous avez avec les clients américains. Et prenez garde au taux de change. Le dollar est en train de baisser. Ça peut être être un avantage mais avez-vous négocié le contrat en dollars ou en euros ? » Et de rappeler que les services des Douanes sont là pour expliquer et permettre d’y voir clair dans l’inextricable jungle des règlements et parties prenantes des sujets douaniers.

Comment les filières sont touchées

CIVB et Spirit Valley, BAAS et Aerospace Valley, France Chimie, l’UIMM, le club des ETI de Nouvelle-Aquitaine mais aussi AANA, l’U2P, la CPME et la CCI Nouvelle-Aquitaine… Chacun expose la crise vue depuis son pas de porte. Ainsi de la filière régionale des spiritueux, tellement symbolique de la France qu’elle subit chaque soubresaut mondial. Un représentant de la filière cognac : « C’est la géopolitique mondiale qui nous met à genoux. On était déjà touchés par des taxes chinoises prises en rétorsion à des mesures européennes et qui nous font perde 60 millions d’euros d’export supplémentaires par mois. Dans un semestre, nous ne serons plus du tout sur le marché chinois. Et les États-Unis, c’est le coup de massue. On ne sait pas si ça va aller jusqu’aux 200% agités par Trump, la menace semble éloignée mais on sait que les tensions vont revenir. » Une filière cognac qui commence à arracher, à l’instar de ce qu’à fait la filière vins de Bordeaux.

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70% du marché régional de l’aéronautique légère est à destination des États-unis, rappelle Anouk Laborie, directrice générale d’Aerospace Valley. « Jusqu’à présent, les avions et tous les équipements aéronautiques n’étaient pas taxés. Les investissements vont ralentir ici. Il va y avoir un impact sur la confiance des banques et des investisseurs, les levées de fonds vont être encore plus compliquées. » Pour l’industrie chimique régionale, dont les USA sont le 2e marché export après l’Allemagne, « la balance commerciale avec les Etats-Unis est positive pour la Nouvelle-Aquitaine et ça, Trump n’aime pas. » Malgré tout, la Nouvelle-Aquitaine pourrait être plutôt préservée, avec sa chimie de spécialité, car les menaces de surcapacité pèsent plus sur la chimie amont, minérale et organique.

« Ça enlève toutes les marges de manœuvre qu’une entreprise peut avoir, on est à l’os. C’est une colère renforcée par les atermoiements des différents gouvernements. Dans un environnement international mouvant, on n’est pas capables d’avoir une stabilité politique », déplore la CPME. « Les sous-traitants ont peur d’être la variable d’ajustement. Il ne faut pas qu’ils soient oubliés s’il y a un plan d’aides. » L’U2P souligne que l’onde de choc, après avoir frappés les entreprises de première ligne puis les sous-traitants, impactera aussi les entreprises de proximité, « qui font vivre tous les territoires ».

Comment s’adapter

En ouverture de cette rencontre, le président Rousset posait trois réflexions liminaires. « La résilience. Comment on s’adapte, comment on accompagne les entreprises à s’adapter pour tenir. Mais aussi la résistance. Il y a le marché européen, mais aussi de nouveaux marchés potentiels. Et enfin la riposte. On n’y arrivera pas en copiant les usines chinoises ou la puissance américaine mais en s’appuyant sur des innovations de rupture. J’attends un engagement fort de l’Europe dans le domaine de la recherche. » Au-delà, il appelle à s’interroger sur quelle coopération demain entre l’Europe et la Chine. Cette dernière pourrait être encore plus agressive sur le marché européen si les difficultés perdurent pour elle sur le sol américain.

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« Trump est-il branque, ou fou, ou incompétent, s’interroge le président Rousset. On sait qu’il est voyou. Dans une période de bras de fer qui peut durer, comprend-il le rapport de force ? La seule réaction possible sera une européenne », plaide-t-il. Pour Jean-Marie Cardebat, professeur des Universités et directeur du laboratoire d’analyse et de recherche en économie et finance internationales, « la politique de Trump est logique sur le fond, ses prédécesseurs ont fait à peu près la même chose, mais de façon moins violente dans la forme ». Dans une économie mondialisée, la distance des chaînes de valeur a un coût économique qui tend vers zéro. Mais le vrai sujet est celui des coûts sociaux et environnementaux. « Je pense qu’il faut anticiper pour de bon une forme de démondialisation, même si l’imbrication des chaînes de valeur est telle que ça va prendre du temps pour la détricoter. » Et plus que tout, il faut « développer des scénarios, faire de la prospective. Ne pas attendre que les choses arrivent pour se demander comment y réagir ».

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