Grain Blanc : un redressement pour mieux renaître - Premium

L’histoire de l’agence de communication Grain Blanc commence le 1er juillet 2020, à la sortie du premier confinement. Une naissance paradoxale, à un moment où l’économie est encore sous cloche. L’agence mise sur une offre tournée vers les entreprises engagées, structurée selon un modèle classique : des postes définis, une organisation pyramidale, une production confiée à des freelances. La première année valide l’intuition : les clients régionaux sont au rendez-vous. Mais dès l’hiver 2021-22, le deuxième confinement met un coup d’arrêt. « Plusieurs de nos clients ont vu leurs productions stoppées net. Du jour au lendemain, tous les projets se sont arrêtés. Ça a sapé notre trésorerie et notre confiance », se souvient Arnaud Domergue, fondateur de l’entreprise. La pandémie terminée, l’agence repart avec ambition : recrutement de salariés, investissements dans les locaux et le matériel vidéo, mise en place d’une démarche RSE. Mais le contexte international s’assombrit. La guerre en Ukraine freine certains donneurs d’ordre, tandis que le secteur bio, sinistré, entraîne la perte de deux clients majeurs. Dans le même temps, Grain Blanc se retrouve victime de son propre succès. « Dans le business plan, je visais une notoriété nationale à dix ans, on l‘avait atteinte en trois ans, raconte Arnaud Domergue. Le revers de la médaille c’est que ça nous a mis en concurrence face à des très gros acteurs, des ténors, et que face à eux, on n’était pas dans le bon rapport qualité/prix. » Répondre aux appels d’offres nationaux coûte cher à la jeune agence, en temps, en énergie et en trésorerie. « C’est de l’ordre de 5.000 euros pour participer à un appel d’offre, détaille le dirigeant, et trois fois de suite, on a fini en deuxième position ». 15.000 euros s’envolent : « d’un côté, on perdait des clients, de l’autre on n’en gagnait plus », résume Arnaud Domergue. La décision douloureuse du redressement judiciaire Dès février 2023, son expert-comptable l’alerte sur la fragilité des fonds propres. Arnaud Domergue consulte ses conseils et envisage différents scénarios. « Je voulais croire qu’on allait gagner un gros dossier qui nous sauverait. Mais il a fallu regarder la réalité en face : on n’avait plus les moyens de continuer comme ça. » Le moment décisif survient en mai 2023. Faute de trésorerie, il contracte un prêt personnel auprès de proches pour payer les salaires et maintenir l’activité le temps de préparer la procédure. Puis vient la décision la plus douloureuse : licencier les salariés. Trois personnes quittent l’agence, dont deux en CDI. « J’ai licencié tout le monde, sauf une alternante, se souvient-il. J’ai essayé de faire les choses bien, j’ai annoncé les choses de vive voix, y compris à ceux qui étaient en télétravail complet, j’ai donné des acomptes sur salaire autant que possible… mais ça a quand même été très difficile. Je me souviens du moment où j’ai dû signer la lettre de licenciement de ma compagne, qui était salariée de l’entreprise… »À lire également - « On est restés un an à craquer de la trésorerie. Puis il a fallu tout rebâtir » Il faut aussi prévenir fournisseurs et créanciers. « Je les ai appelés un par un pour leur dire que j’allais me mettre en redressement judiciaire et qu’ils ne seraient pas payés avant longtemps », raconte Arnaud Domergue. Au total, une cinquantaine de personnes et d’entreprises, pour des montants allant de 200 à 10.000 euros. Sur cette cinquantaine, « seulement deux ont été vraiment désagréables… c’étaient, d’ailleurs, ceux à qui je devais le moins d’argent et qui en avaient par ailleurs le plus, ajoute l’entrepreneur. C’est allé jusqu’à des coups de téléphone pour m’intimider, des interpellations dans la rue devant ma famille… et à côté de ces gens-là, certains indépendants, à qui je devais pourtant des milliers d’euros, ont été compréhensifs. Certains ont préféré couper les ponts, et je les comprends ».Le fondateur reconnaît avoir souvent songé à tout arrêter. « On s’est posé plusieurs fois la question de la liquidation. Ça aurait été plus simple : liquider, recréer une structure, repartir à zéro. Mais je ne pouvais pas. J’aurais perdu toute crédibilité vis-à-vis de mes discours sur la responsabilité et l’éthique. » Transformation du modèle En septembre, le tribunal de commerce valide l’entrée en redressement judiciaire. « On est arrivés avec un plan en plusieurs parties, détaille Arnaud Domergue. Le premier volet, purement économique, prévoit une diminution de la masse salariale avec le licenciement de tous les salariés de l’agence. Le second, une revue complète du modèle économique de Grain Blanc. « On a décidé de ne plus fonctionner comme une agence à l’ancienne, avec une équipe de support salariée et des freelances pour l’exécution auxquels on s’adresse de façon ponctuelle », raconte le dirigeant. L’agence devient un « collectif », sans équipe salariée, regroupant plusieurs créateurs en freelance, parties prenantes de Grain Blanc et associé à sa gouvernance. « Au lieu d’avoir chaque indépendant qui fait son développement commercial de son côté, on le fait en groupe, reprend Arnaud Domergue. Chacun contribue aux dossiers suivant ses forces, et ça nous permet d’aller chercher de plus gros dossiers, de plus gros annonceurs, d’aller sur des dossiers sur lesquels aucun de nous, tout seul, n’aurait pu aller. Maintenant, la marque Grain Blanc n’est plus seulement ma marque, c’est devenu une marque collective qu’utilise un groupe d’individus pour développer leur activité, avec un fil commun, celui de tous chercher à œuvrer pour accélérer la transition écologique. » Le collectif se met en place progressivement. Les clients, eux, apprécient la transparence et la réactivité retrouvée. L’année 2024 se termine sur un retour à la rentabilité, permettant de valider le plan de redressement et de sortir enfin de la procédure de sauvegarde. « On a regagné des marchés, on a même remporté un appel d’offres très compétitif pour l’Agence de Développement et d’Innovation. Cela prouve que notre modèle fonctionne », affirme Arnaud Domergue. L’objectif de Grain Blanc, reprend son fondateur, est maintenant de faire « un second exercice bénéficiaire ». « Si on l’atteint, reprend-t-il, on pourra envisager en 2026 de passer sous une forme de société coopérative de type SCIC ou SCOP ». La transformation de l’entreprise sera alors achevée.

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