« La CSRD, c’est 1.200 critères. Qui peut gérer ça ? » - Premium

« Réunir les parties prenantes du financement de l’industrie pour dresser des constats partagés sur la situation, améliorer la compréhension mutuelle des enjeux et des contraintes, mobiliser les acteurs pour passer des messages convergents, chercher des solutions et ébaucher des orientations partagées. » Tels étaient les objectifs, le 3 juin dernier, de cette première matinée d’Assises du financement des entreprises industrielles régionales, organisées par l’IUMM, la Fédération bancaire française et par France Industrie, réunissant un copieux parterre d’industriels, de représentants du monde bancaire, mais aussi des pouvoirs publics au sens large (Conseil régional, DREETS).RSE, mode d’emploi vers la performance ?Dans un monde où les crises et facteurs d’incertitude se succèdent (pandémie de covid, guerre en Ukraine, instabilité gouvernementale, retour de Donald Trump à la Maison Blanche…), les démarches de progrès en matière de responsabilité sociétale des entreprises et de reporting extra-financier sont-elles une contrainte ou une opportunité ? « Comment faire de cette injonction réglementaire un outil stratégique » pourrait ainsi être la réponse à cette épineuse question, version business et inversée de « faisons contre mauvaise fortune bon cœur ». Alexandre Le Camus, délégué général de l’UIMM Gironde-Landes, en est persuadé : « Se lancer dans une démarche RSE entraîne des bénéfices concrets », plaide-t-il. Il y trouve trois leviers : de compétitivité pour la performance globale de l’entreprise, d’attractivité notamment en matière de marque employeur et vis-à-vis des parties prenantes et enfin de conformité. Beñat Cazenave, directeur du groupe industriel Artzainak, a fait sien depuis des années certains préceptes de la RSE. Dont l’ouverture du capital à ses salariés, une démarche lancée… il y a 20 ans. « C’est un apport formidable pour la gouvernance de l’entreprise. Et engager des démarches RSE oblige à mieux regarder et comprendre son entreprise, à se rendre compte de ce qu’on fait. » Pour Pierre-Yves Boiffin, chef du pôle 3E de la DREETS, un credo : « la réindustrialisation sera verte ou ne sera pas. Il fallait une réponse à l’IRA [ndlr, Inflation Reduction Act] mis en place en 2022 aux Etats-Unis. La RSE n’est pas un gadget, elle va permettre de mieux capter les investissements industriels. » Le représentant de l’IUMM abonde : « chez nous, très souvent, le déploiement de la RSE est confié aux responsables industriels. Cela montre bien que c’est pour nous un enjeu de performance. »Liens entre développement durable et financementsS’il est en revanche un point sur lequel ce dernier se montre réticent, c’est l’écoconditionnalité des aides, un dispositif notamment adopté par le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine dans le cadre de sa feuille de route Neo Terra. « Que le dispositif soit incitatif oui, mais pas discriminant », demande-t-il. Laurent Dulau, directeur général de la bien-nommée société girondine Kaviar, s’interroge : « Quelles sont les attentes des banques et des pouvoirs publics ? La souveraineté alimentaire peut nous appartenir sur l’aspect foncier. Mais peut nous échapper sur le capital, si on ne répond pas à la problématique des fonds propres des industries agroalimentaires en France. » Et de suggérer la mise en place d’un fonds dédié qui capterait quelque 3 milliards d’euros de l’épargne française, garanti par l’Etat.Interrogée sur la prise en compte des aspects ESG pour la cotation Banque de France, élément clé pour l’attribution de crédits par les banques, la directrice régionale de la BdF, Marie-Agnès de Montbron, reconnaît que ça n’est pas - encore - le cas. « Mais nous développons des indicateurs climat et transition, prenant en compte la courbe de l’entreprise sur le sujet, la courbe de son secteur d’activité en général et la trajectoire qu’il faudrait avoir pour respecter les Accords de Paris. Nous nous focalisons sur les secteurs les plus émetteurs de carbone. Après la production électrique, les transports et les foncières en 2024, nous élargissons cette année sur la production de l’acier, et les productions automobile et navale. » Des contraintes et pistes de simplificationSi la RSE peut être un levier de performance, les démarches de progrès et de reporting ne sont pas exempts de défauts... et de contraintes, qui peuvent avoir malgré tout leur utilité ! Kaviar travaille sur sa certification B Corp. « C’est un enfer, se désole Laurent Dulau, mais c’est aussi quand on rédige tout, qu’on fait la mise à plat, que l’on voit où sont les trous dans la raquette. » Un chiffre par Philippe Gonnet, directeur de la Conformité au sein du Crédit Agricole d’Aquitaine : « la CSRD, c’est 1.200 critères ». « Qui peut gérer ça quand on est une PME, s’interroge-t-il, en moyenne c’est 1.000, ça peut aller jusqu’à 1.700. » Comment s’y retrouver ? « Les banquiers ont besoin de chiffres », rappelle-t-il. « Ne multipliez pas les référentiels, demande avec insistance Alexandre Le Camus au regard de la tendance des différentes enseignes bancaires à chacune se doter de sa propre grille d’analyse, appuyez-vous sur ce qui existe. » Marie-Agnès de Montbron saisit la balle au bond : « la CSRD, un summum de ce qu’on peut faire en matière de complexité, est la meilleure illustration de ce qui est pointé dans le rapport Draghi, à savoir que nous avons besoin de simplification. »À la question initiale - contrainte ou opportunité - la directrice régionale de la Banque de France a un avis bien à elle : « On ne progresse que sous la contrainte, sourit-elle, au lieu de râler, mettons-nous en ordre de marche » Le sujet en commun, c’est la donnée chiffrée sur les sujets RSE, s’accordent les intervenants. Sébastien Soleille, directeur Finance durable à la Fédération bancaire française, tente une synthèse : « Le reporting financier est un outil de dialogue avec toutes ses parties prenantes. C’est pensé pour que l’entreprise puisse mettre en forme des informations clés et discuter. Les banques ont besoin de ces informations pour évaluer les risques. » Mot de la fin à Marie-Agnès de Montbron : « La mission de la Banque de France, c’est la stabilité financière. Et la crise climatique, c’est du risque, de l’instabilité. »

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