Football : le modèle coopératif, avenir des clubs comme les Girondins de Bordeaux ? - Premium

Au-delà de la situation économique des Girondins de Bordeaux, quel constat vous a poussé à écrire ce livre, Un autre foot est possible ? Avant tout, la financiarisation croissante du football, qui s’est accentuée très fortement ces dernières années - et notamment depuis la crise du Covid. Pour bien comprendre, il faut remonter aux années 1990 lorsque des sociétés commerciales, les SASP [ndlr, sociétés anonymes sportives professionnelles] ont émergé en parallèle des associations sportives et ont permis de faire venir des investisseurs dans les clubs. À ce moment, l’arrêt Bosman [ndlr, en 1995] a libéralisé le marché des transferts. De fait, aujourd’hui dans les grandes ligues de football en Europe, un tiers des clubs sont aux mains de fonds d’investissement privés. C’est le cas de huit clubs en France, dont les Girondins depuis que le groupe M6 est parti.En quoi est-ce une mauvaise chose que des fonds - souvent étrangers - investissent dans des clubs ? Ils sont dans une logique court- termiste de spéculation, mais aussi dans une stratégie de multipropriété. Gérard Lopez, le propriétaire des Girondins de Bordeaux, possède aussi le club Boavista au Portugal. L’OGC Nice est détenu par le même groupe que Manchester United. L’homme d’affaires John Textor compte à la fois l’Olympique lyonnais et le Botafogo au Brésil. Cela peut créer un ensemble de problèmes dans les compétitions, les fonds réalisent des transferts entre leurs clubs, ces flux financiers ne sont pas toujours bien contrôlés, et cela peut générer une distorsion des prix des joueurs. Sans parler de la captation des ressources des clubs dits « filiales » par le club principal, comme ce qui se passe aujourd’hui avec Lyon - l’OL est en train de récupérer 98,5 millions d’euros qui proviennent de la vente de joueurs du Botafogo. Le club brésilien se fait dépouiller pour sauver Lyon, qui est en difficulté financière.« Le schéma d’un despote mal éclairé » Selon vous, est-ce cette libéralisation du football qui a conduit à la situation des Girondins de Bordeaux ?Il faut bien avoir les éléments en tête. En 2018, le propriétaire historique du club, le groupe M6, a décidé de se désengager. En France il est difficile d’être suffisamment compétitif pour accéder à la Coupe d’Europe, les places sont chères ; le PSG gagnait déjà tout, et quelques clubs français voyaient venir de gros investissements. M6 a donc vendu au fonds américain GACP Sports qui a une vision - on l’a dit - court-termiste, mais aussi déterritorialisée. Il a voulu par exemple changer le logo pour mettre Bordeaux, plus connue que les Girondins, pour revendre ensuite le club... Sans rentrer dans les détails, ils n’ont pas injecté assez d’argent pour obtenir des résultats suffisants et sont partis au bout de trois ans. À ce moment est arrivé Gérard Lopez, qui venait de se faire virer du club de Lille où il avait laissé une énorme ardoise. Il a finalement réussi, en trois ans, la performance de faire passer le club de l’élite, la Ligue 1, au National 2 - en sachant que l’histoire n’est pas finie. La dette s’élevait l’été dernier à 100 millions d’euros [ndlr, elle serait maintenant de 60 millions, avant négociation avec les créanciers pour construire le plan de continuation d’ici fin mai], 100 salariés ont été licenciés, le club a perdu son statut professionnel et son agrément de centre de formation. C’est le schéma d’un despote, même pas éclairé…Une dimension identitaire très forte C’est là qu’intervient l’économie sociale et solidaire, vous abordez dans votre ouvrage le modèle des SCIC, les sociétés coopératives d’intérêt collectif. En France, il existe déjà plusieurs exemples de modèles alternatifs dans le foot… Oui, il y a d’abord l’actionnariat populaire. C’est le cas à Guingamp, le club a appelé ses supporters à prendre des parts du capital, et la gouvernance qu’ils ont intégrée est devenue davantage plurielle et transparente. Ensuite il y a le modèle de la coopérative comme à Bastia. Le club était criblé de dettes, mais avait une dimension identitaire très forte. En 2017 ils ont été rétrogradés en National 3, encore plus bas que les Girondins. Ils ont construit une coopérative avec d’une part deux investisseurs locaux, deux grandes familles corses, et d’autre part les supporters, constitués en association. Aujourd’hui ils sont en Ligue 2, et ont investi dans leur centre de formation qu’ils ont développé.C’est pour l’un de ces deux modèles que vous militez, dans le cadre des Girondins de Bordeaux ? Il y a un modèle intermédiaire, qui pourrait à mon avis très bien fonctionner à Bordeaux, c’est celui de Sochaux. En 2015, le propriétaire historique, Peugeot, est parti après avoir vendu à un fonds d’investissement chinois. Ça a été une catastrophe totale, le club a été relégué en National, mais il n’a ni perdu son statut professionnel, ni son agrément pour le centre de formation. En août 2023, il a finalement été sauvé car une partie de la structure a été transformée en coopérative. Cette dernière s’occupe de la gestion du centre de formation et des sections féminines, et il existe toujours la société commerciale pour le club principal car la forme coopérative peut effrayer les investisseurs. Mais la société commerciale, la coopérative et l’association sportive - qui existe toujours -, travaillent étroitement ensemble, ce qui apporte de la transparence.Plus de transparence dans la gouvernance En août dernier, un projet d’actionnariat populaire, les Girondins Socios, a aussi vu le jour pour sauver le club. Que pensent-ils de la coopérative ? Au début, ils ne demandaient pas de forme coopérative. Après les dernières déclarations de Gérard Lopez qui maintient vouloir rester propriétaire du club, ils défendent désormais plus cette alternative. On ne peut plus laisser la gestion du club à quelqu’un qui a l’air de s’en soucier assez peu… Au moment où nous parlons, presque 3.000 personnes ont adhéré aux socios, et 274.000 euros ont été collectés. On peut imaginer que demain, s’ils montent un projet [ndlr, sans Gérard Lopez], beaucoup de gens mettront au pot et le montant sera doublé voire triplé. Sochaux avait récolté près de 700.000 euros, de mémoire. Quelles sont, selon vous, les différentes voies de sortie de crise ? À ce stade il y en a trois. Soit Gérard Lopez devient le messie, décide de sauver le club et de beaucoup investir - mais je n’y crois pas. Soit il décide d’ouvrir la gouvernance, les collectivités locales comme la Ville de Bordeaux et la Métropole ont mis beaucoup d’argent, à voir de quelle façon elles pourraient entrer un peu plus dans la gouvernance du club... il y a aussi la question des supporters et d’investisseurs locaux, Gérard Lopez ouvre lui-même la porte et dit qu’il parle à cinq investisseurs - mais on ne sait pas qui. Cela apporterait une gouvernance plus ouverte, plurielle et transparente. Mais les relations de confiance sont-elles suffisantes, aujourd’hui, pour permettre cela ? Je ne pense pas... Enfin, dernière voie, si Gérard Lopez s’en va, soit il y aura un repreneur, un nouvel investisseur et on repartira comme avant, soit un modèle coopératif comme à Sochaux ou Bastia émergera.

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