Aéronautique : les enjeux néo-aquitains à l’heure du Salon du Bourget - Premium

Du 16 au 22 juin, la Région Nouvelle-Aquitaine sera présente en force au Salon du Bourget, avec un stand de 750m² hébergeant en particulier une délégation de startups, mais aussi avec près de 70 entreprises et structures présentes sur le salon, ce qui en fera la troisième région de France en nombre d'exposants. Avec Bruno Darboux, président du pôle de compétitivité Aerospace Valley, regroupant les entreprises du secteur en Nouvelle-Aquitaine et Occitanie, tour d'horizon des enjeux de la filière à l'approche de sa grand-messe biannuelle. L’aéronautique est l’un des principaux secteurs d’activité de la Nouvelle-Aquitaine. Tous ses segments y sont-ils représentés ? On est capable en Nouvelle-Aquitaine, d’être compétitifs dans à peu près tous les segments de marché de la supply chain aéronautique et spatiale, avec des acteurs en mesure de placer des offres au niveau mondial. Prenons les hélicoptères, le chef de file en Europe c’est Airbus Helicopters. On des exemples d’acteurs néo aquitains qui sont capables de vendre outre-atlantique, Thalès par exemple, a une part considérable de ses ventes au Canada, aux Etats-Unis… Sur le territoire néo-aquitain, nous avons des avionneurs, des motoristes, des producteurs de structures… Y a-t-il des « trous dans la raquette », des secteurs qui n’existent peu ou pas sur notre territoire ? Je préfère parler de secteurs dans lesquels le potentiel reste à transformer. Le premier, ce sont les batteries. On a des forces sur le territoire, avec par exemple l’acteur historique Saft, mais les batteries aéronautiques de demain, on sait qu’il y a un step technologique et industriel énorme qu’il faut travailler. Il y a aussi la filière des matériaux composites. Là aussi, des atouts sur le territoire, en matière de recherche et aussi d’industrie, mais la compétition est mondiale, et pour être au niveau de ce que demanderont les avionneurs demain, il faut continuer de travailler. Il y a aussi la question de l’intelligence artificielle. Elle peut se concevoir comme un système embarqué, une aide au pilotage, mais aussi comme une aide à la conception ou l’industrialisation, et c’est une révolution qui affecte le secteur aéronautique comme tous les autres. Nous avons des forces sur le territoire, mais pour arriver à diffuser l’innovation de la manière la plus pertinente et rapide, il y a un grand travail à faire. Nous allons sortir un livre blanc de l’IA au Bourget, ce sera la première étape de ce travail collectif.« Notre atout le plus affirmé est dans les biocarburants »Qu’en est-il de la production de carburants d’aviation durables (SAF) ? Tout d’abord, il faut souligner que l’aviation, aujourd’hui, consomme du kérosène fossile que l’on importe à 100%. Les SAF sont une opportunité de réduire notre dépendance aux pays pétroliers. Ils seront produits dans le monde là où ce sera le plus compétitif de le faire, en fonction de la disponibilité des ressources, des coûts de l’énergie, etc… Une géopolitique des carburants d’aviation durables va se forger, et elle sera différente de celle du pétrole fossile. Dans ce jeu-là, il peut être visionnaire de miser sur le local. Pourquoi ne pas produire localement 100% de nos besoins ? Mais à ce stade, cela ne peut s’écrire qu’avec un point d’interrogation. Nous n’avons pas encore de certitudes sur les accès aux ressources, sur la compétitivité… ce monde est en train de se fabriquer, et il faut jouer notre carte.De quels atouts dispose notre territoire ? Notre atout le plus affirmé est dans les biocarburants. Ce sont des technologies qui permettent de convertir de la biomasse en carburant, par opposition aux électrocarburants, que l’on fabrique à travers de CO2 et d’hydrogène, et qui sont un challenge pour nous. Mais les biocarburants peuvent avoir de la valeur pour notre territoire, tout simplement parce que la biomasse est disponible en abondance. Bien sûr, il y a compétition d’usage, mais quand on regarde la valeur ajoutée du SAF, mais conviction est qu’il vaut mieux utiliser la biomasse pour produire du carburant d’aviation que pour produire de l’électricité dans des centrales à biomasse. Nous discutons du sujet avec la région Nouvelle-Aquitaine, il nous faut une étude précise des gisements de biomasse, mais si nous arrivons à les développer, nous sommes bien partis pour avoir une filière compétitive. L’objectif est de produire 200.000 tonnes à l’horizon 2040, et c’est un objectif atteignable.Attractivité et formationQu'en est-il de la formation ? L’industrie a notoirement des difficultés à recruter, cela concerne-t-il toute la filière aéronautique ?En ce moment, les tensions sur les recrutements se sont un peu calmées, le ramp-up prévu dans l’industrie a été un peu décalé dans le temps, mais on sait qu’on aura des tensions de recrutement, à la fois sur les cols bleus et les cols blancs, dans les années à venir. C’est presque l’enjeu le plus saillant de la préparation du futur de nos filières. La technologie on sait faire, l’industrialisation on sait globalement faire… avoir à disposition les bonnes compétences, historiquement on a su faire mais on est aujourd’hui dans une phase de croissance des besoins et d’émergence de nouvelles compétences, et il y a un gros travail à faire. On part quand même d’un terrain tout à fait correct : nous avons beaucoup d’organismes de formation très ciblés sur nos filières en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie : des écoles d'ingénieurs, des IUT, des centres de formation professionnelle… Par contre, il faut développer tout cet écosystème, parce qu’on n’est pas, aujourd’hui, sur les bons chiffres. Dans le grand sud-ouest, on est sur une perspective de 10.000 recrutements par an dans les années à venir. Les promotions sont insuffisantes aujourd’hui, et nous mettons en place des actions pour former plus. Par quoi cela passe-t-il ? D’abord, par de l’investissement sur des moyens plus efficaces, et ensuite des investissements pour augmenter la capacité d’accueil, avec plus de mètres carrés et plus d’enseignants. De ce point de vue-là, le privé a plus de marge de manœuvre que le public. On peut jouer sur l’efficacité et la productivité des systèmes de formation, et c’est le sens des projets France 2030 que l’on a soumis, pour être plus efficaces et plus pertinents pour attirer des jeunes. La semaine dernière, par exemple, nous avons lancé le projet Comète, qui cherche à booster la formation initiale des jeunes dans le spatial. On a des projets pour l’aéronautique, à Pau, à Bordeaux, mais aussi à Toulouse. Ce n’est pas encore assez, mais c’est conséquent. Prises ensemble, nos actions représentent pas moins de 200 millions d’euros d’investissement, dont 60 millions d’euros dans le cadre de France 2030.Cela passe-t-il aussi par un travail sur l’attractivité de la filière, en particulier auprès des publics féminins ?Comparativement à d’autres filières, l’aéronautique a une attractivité supérieure. Néanmoins, nous restons une filière industrielle, et globalement l’industrie n’est pas attractive auprès des jeunes. On en souffre. On doit donc travailler sur des actions d'attractivité. Nous le faisons à différents niveaux : sur l’attractivité globale de l’industrie, on le fait avec l’UIMM, au niveau de la filière avec le Gifas, et au niveau territorial avec les collectivités. Tout le monde doit se remonter les manches, et le pôle Aerospace Valley est à la manœuvre pour fédérer les bonnes volontés et labourer le territoire. Il y a effectivement un enjeu particulier sur la féminisation. Nous avons besoin de plus de femmes dans nos filières, d’autant que nos métiers sont accessibles à tous : il n’y a que les barrières sociologiques et les stéréotypes qui empêchent les femmes de venir travailler chez nous. Pour les faire tomber, on met en place des actions spécifiques pour mettre en avant la place des femmes, et nous aurons d’ailleurs une action au salon du Bourget.Manque de visibilité et d'investissementsL’industrie aéronautique, qu'elle soit civile ou militaire, prévoit de fortes hausses de ses capacités de production dans les années à venir. L’investissement suit-il ? Et la commande publique, en ce qui concerne le militaire ? Les fondamentaux pour être capables d'investir, c’est d’avoir des perspectives de commandes et de marchés qui soient suffisantes pour décider des investissements. Ça se travaille en ce moment dans la filière aéronautique civile, on essaie d’allonger l'horizon des commandes. Sur la défense, on est encore au tout début de la discussion. Investir dans un outil de production pour la défense, cela demande d’avoir de la part des donneurs d’ordres des assurances qui ne sont, aujourd’hui, pas encore présentes. Ça doit se travailler avec les donneurs d’ordres, et avec les agences nationales et européennes. Aujourd’hui, on n’y voit pas assez clair.Le discours politique est pourtant sans équivoque, depuis février 2022, pour appeler à un virage vers une économie de guerre. N’y a-t-il donc aucun acte concret derrière ces discours ? Le discours politique est là, la LPM (loi de programmation militaire) est votée. Ca, c’est bon. C’est la LPM, qui donne le tempo de ce que la France est prête à investir pour sa défense. Il faut après la traduire en contrats. Et c'est là-dessus qu'il y a de la déclinaison à faire. Le ministère de la défense est en train de sortir une nouvelle doctrine, qui permettra de décliner en sujets et en acteurs, les efforts d'investissement. C’est encore un peu tôt pour les industriels. Après, au-delà des commandes, il y a la capacité à drainer les investissements vers ces secteurs, et là, on arrive sur un sujet classique en Europe : la frilosité des investisseurs locaux. L’argent ne coule pas à flots quand un industriel présente une nouvelle ligne de produits ou une nouvelle chaîne de production. Pour compenser, on peut aller chercher des fonds de pension, mais ils sont anglais ou américains, c’est compliqué sur les sujets de défense. On peut aller chercher des investisseurs asiatiques, mais c’est très touchy également… ce qu’on cherche à faire aujourd’hui a Aerospace Valley, c’est de mobiliser, pour les startups, un réseau de fonds pour arriver à faire de l’amorçage, et ça fonctionne de mieux en mieux. Au-delà, sur l'investissement un peu lourd sur les sujets de fabrication, il y a bpifrance qui est un acteur majeur, mais il faut encore mobiliser les fonds privés.L’Europe a longtemps dominé le secteur des lancements de satellites commerciaux, mais a manqué le virage du new space. Comment, maintenant, rattraper les acteurs américains et chinois du spatial ? C’est vrai, il y a une grosse disruption qui nous est tombée dessus, à la fois sur les lanceurs et les constellations de satellites. Mais il faut quand même garder la tête froide. Déjà, nous sommes toujours leaders mondiaux pour les lancements de satellites géostationnaires. Ensuite, pour ce qui est des lanceurs, Ariane 6 est un programme clé pour l'Europe, un programme ambitieux qui va permettre de lancer des kilos en orbite à prix compétitif, qui va créer de l’activité et donner une nouvelle énergie sur l’industrie du lanceur. Ariane 6 va aider à réduire les coûts des lancements, mais elle ne fera pas tout. Il faut être actif sur l’innovation, notamment sur le segment des lanceurs réutilisables. En Europe, on est bons sur la technologie, si on est capables d’industrialiser de façon compétitive, on a un avenir dans le monde des lanceurs. Dans le domaine des constellations de satellites, là aussi nous avons une carte à jouer. Dans ce domaine-là, le sujet de la compétitivité est encore plus prégnant. il va falloir être capables de produire à des coûts très bas, ce qui suppose de repenser notre manière de concevoir et de produire nos objets en orbite. C’est en train de s'écrire en ce moment, et la compétitivité viendra de la filière elle-même, qui doit se prendre en charge. Mais il faut aussi que les institutionnels, le CNES, l’ESA, l'EUSPA [Agence de l'Union européenne pour le programme spatial, gère notamment les satellites Galileo, ndlr], donnent la direction, aident à sécuriser les investissements des industriels. Un changement de culture est nécessaire, en particulier le volet compétitivité qu’il faudra travailler énormément. On compte beaucoup sur l’Europe et sur la France pour ouvrir la suite. Donc, oui, le tableau est mitigé, parce qu'effectivement, le secteur spatial souffre de SpaceX. Mais l'avenir n’est pas encore écrit.

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