Ferme Emmaüs de Tarnos : « un lieu pour réinsérer, pas punir davantage »
Gabi Mouesca, directeur du site, devant l'entrée. Crédits : Lauriane Negron
C'est une structure peu commune dans les Landes, mais aussi sur le territoire national. À Tarnos, des femmes en fin de peine viennent travailler la terre. Pendant plusieurs mois, elles réapprennent le vivre-ensemble au sein de la Ferme Emmaüs et bénéficient d'un emploi rémunéré. Une alternative innovante à l’incarcération qui accueille jusqu’à 12 résidentes à la fois, en leur offrant, selon son directeur, Gabi Mouesca, un cadre structurant pour reprendre pied dans la société. Rencontre.
En ce mois de novembre, c'est un froid glacial qui entoure la ferme Emmaüs Baudonne, située à Tarnos. Il n'est pas encore 9 heures du matin et les locaux semblent paisibles, comme endormis. « Sauf qu'ici, on ne fait pas la grasse matinée », sourit Gabi Mouesca, le directeur du site. « Les femmes que nous accueillons dans cette structure sont des détenues en fin de peine. Chaque jour, elles se lèvent pour travailler la terre, à 6h30 en été et vers 8h00 en hiver. » Un réveil rythmé par le lever du soleil, quelle que soit la météo. Les après-midis, quant à eux, sont dédiés aux démarches personnelles, aux rendez-vous médicaux ou à des ateliers d’insertion sociale.
Une structure créée en 2018 par Gabi Mouesca, ancien membre d’Iparretarrak (organisation politique armée qui lutte pour l'indépendance du Pays basque), qui a lui-même connu la prison et voulait une alternative innovante à l’incarcération. Un lieu « unique en France qui accueille jusqu’à 12 résidentes à la fois, en leur offrant un cadre structurant pour reprendre pied dans la société. À travers le travail agricole, un accompagnement personnalisé et une vie en collectivité, la ferme vise à prévenir la récidive et à reconstruire les parcours de vie de femmes souvent marquées par des traumatismes », raconte t-il. « Ici, notre objectif est clair : réinsérer, pas punir davantage. Nous voulons leur permettre de retrouver leur dignité et leur place dans la société », estime encore le directeur. Une mission qu'il porte depuis plus de cinq ans maintenant.
« Briser les cycles de violence et de marginalisation »
Mettre un cadre pour aider les détenues qui sont accueillies à se réinsérer donc. Tel est l'un des objectifs de la Ferme Emmaüs, association soutenue par Emmaüs France et implantée à proximité immédiate de la Communauté Emmaüs Landes-Pays basque. « Le matin, elles se consacrent aux activités de maraîchage donc, sous contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI). Rémunéré au SMIC, il leur confère les mêmes droits que tout salarié, y compris l’accès à la sécurité sociale et à la formation », explique le directeur du site. Une opportunité pour beaucoup, mais aussi un emploi harassant pour certaines. « Quand vous avez passé 10 ou 15 ans derrière les barreaux, votre corps a, en quelque sorte, épousé la forme du lit de votre cellule. Et c'est difficile de se remettre debout parfois, de se remettre au travail, au sens propre du terme », estime Gabi Mouesca. « De ce fait, nous avons parfois des arrêts maladies et des femmes qui, physiquement, ont des douleurs ou des incapacités à faire certains mouvements. »
La structure accueille des parcours abîmés, tant sur le plan physique que psychologique, des parcours cassés, comme il l'explique, mais toujours des profils qui sont soigneusement sélectionnés en amont. « Pour chaque détenue qui nous rejoint, nous jaugeons la personne d'abord. Il y a un premier entretien en visio, puis un essai de quelques jours, avec nous à la ferme. Le but est de déterminer comment chaque femme se sent vis-à -vis du projet, de l'équipe et de l'idée de s'engager dans cette vie en communauté », détaille t-il. Et puis, la dernière étape, c'est la demande auprès du juge d'application des peines. « Chaque femme qui vient chez nous doit demander à bénéficier d'une mesure de placement extérieur, c'est le terme administratif. C'est le juge d'applications des peines qui a le dernier mot et qui leur donne, ou non, le droit de rejoindre notre structure. »
Une alternative à la prison, qui n'empêche parfois pas les évasions. « Les détenues ne sont pas autorisées à quitter notre enceinte sans notre autorisation, sans quoi, leur acte est considéré comme une évasion. Et c'est déjà arrivé en effet. Malgré le cadre qu'on essaie de mettre en place, la remise en liberté est aussi un choc pour certaines. S'y soumettre et accepter les règles n'est pas toujours évident. » Car, ce qu'il faut prendre en compte pour Gabi Mouesca, c'est avant tout l'histoire personnelle de chacune. « Toutes ont des parcours de vie différents et des peines différentes. J'insiste sur le fait qu'ici, d'abord, on respecte les gens. Et il y a parfois des personnes qui ont été condamnées pour des dossiers extrêmement lourds. Mais quoi qu'elles aient fait, on les respecte, dans leur dignité », insiste-t-il. Selon lui, le but de la structure est aussi de « briser les cycles de violence et de marginalisation », souvent présents dans les parcours des résidentes. « Nous accueillons des femmes qui ont vécu des années de violence, que ce soit dans leur famille, dans la rue ou en prison. Ici, elles apprennent à vivre ensemble, à gérer des conflits de manière apaisée et à se reconstruire dans un environnement bienveillant », poursuit Gabi Mouesca.
C'est ici, sous ces serres, que poussent les fruits et légumes que produit la ferme. Crédits : Lauriane Negron
Un modèle économique à pérenniser
La ferme Emmaüs se distingue également par son approche inclusive. Elle est la seule structure en France à accueillir des femmes transgenres. « Ces femmes sont souvent encore plus marginalisées que les autres. Leur offrir un espace où elles sont reconnues et respectées est essentiel pour leur reconstruction », analyse Gabi Mouesca. Il se souvient d'ailleurs que, lors d'une visite officielle, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, avait qualifié la démarche de « révolution culturelle ». Une démarche qui est aussi sociale et environnementale. Car ici, la ferme favorise la consommation locale. Les produits récoltés sont commercialisés dans des circuits courts, comme des AMAP (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). Les revenus du maraîchage contribuent au fonctionnement de la ferme, aux côtés des subventions publiques et des soutiens privés. « Une journée à la ferme coûte 45 euros par résidente, bien moins que les 105 euros nécessaires pour maintenir une personne en prison. C’est une solution économiquement et humainement plus viable », estime le directeur. D'ailleurs, en ce qui concerne le modèle économique de la structure, Gabi Mouesca se veut transparent : « le budget de fonctionnement de la maison, c'est à peu près 600.000 euros par an. L'an dernier, l'apport économique de la vente de notre production était de 40.000 euros. En parallèle, les salaires des résidentes sont payés par l'État, le ministère du Travail, les fameux CDDI. »
Pour couvrir le coût du fonctionnement, l'établissement s'appuie sur le soutien de la Région, du Département, mais aussi de la mairie de Tarnos. « Je tiens vraiment à les remercier, parce que sans eux, nous n'aurions pas pu faire ce que nous faisons ici et nous ne pourrions pas subsister. » En parallèle, tous les ans, Gabi Mouesca va aussi chercher environ 150.000 euros auprès de fondations. « Et jusqu'à présent, on a été bien soutenu. Alors c'est un combat de tous les jours, je tiens à le préciser. Pérenniser ce modèle économique n'est pas évident, mais c'est aussi un combat qui vaut le coup, à mon sens. Mon but est aussi de montrer que ça peut fonctionner et que ce type de structure, ce modèle, peut être répliqué ailleurs. » Un rôle qui lui tient à cœur, d'autant que la Ferme Emmaüs est également un lieu de sensibilisation. En effet, des visites sont organisées pour des élèves, des étudiants et des professionnels du secteur social, afin de mieux faire connaître les enjeux de la réinsertion. « Nous avons aussi un rôle pédagogique important. Montrer que la réinsertion est possible est une manière de lutter contre les préjugés sur les femmes sortant de prison », conclut Gabi Mouesca.