Jeux vidéo : en Nouvelle-Aquitaine, les studios veulent se mettre au vert
Six studios néoaquitains seront pilotes, durant les 36 mois de travail du consortium. Photo d'illustration : Adobe Stock Sezer 66
En début d’année, un consortium national mené par plusieurs acteurs de la filière jeux vidéo, dont l’association néoaquitaine SO Games, a répondu à un appel à projets France 2030. L’objectif : réfléchir à la transition écologique du secteur du jeu vidéo, grâce à des studios pilotes, dont six sont implantés sur la région. Un vaste sujet, comme l’explique Pierre Forest, fondateur de Games Planet et membre du conseil d'administration de SO Games.
Pourquoi ce consortium s’est-il constitué, et quelles sont ses missions concrètes ?
Dans un premier temps, il s’agit de réfléchir à la façon dont les studios peuvent mesurer leur empreinte carbone. Pour, ensuite, développer une méthode et des outils de mesure simples. Aujourd’hui l’ADEME [NDLR : l’agence de la transition écologique], a déjà créé un outil mais beaucoup de cases ne concernent pas notre secteur… Et on ne trouve pas grand-chose sur le "cloud", l’hébergement de données, etc. 27 studios pilotes ont été retenus en France dont 6 en Nouvelle-Aquitaine [NDLR : Asobo, Shiro Games, Metaboli, Aperture, Nova-Box et Seed by Seed SCOP] car pour créer ce fameux outil, il faut un certain nombre de données, et vérifier qu’on peut les avoir. Le but est de s’assurer avec les studios des informations qu’ils ont en main et qu'ils peuvent fournir, pour ensuite s’assurer que l’outil va couvrir tous les types d’exploitation - consoles, téléphones, ordinateurs, partie éditeurs, partie développeurs… Tout ce travail sera mené durant 36 mois.
Il est si difficile que ça de mesurer l’empreinte carbone du jeu vidéo ?
La partie la plus émettrice de gaz à effet de serre (GES), c’est l’utilisation des jeux par des millions de joueurs à travers le monde. Concrètement, ça représente 90% de l’empreinte des studios. Donc c’est bien beau de mesurer l’empreinte de ses salariés, la facture de gaz des locaux, mais ce n’est rien du tout par rapport à la vie du jeu en tant que tel.
Quel est le poids de la filière dans l’émission de gaz à effet de serre, aujourd’hui ?
Si on se focalise sur les GES, on arrive à un chiffre qui peut paraître surprenant - le numérique est estimé à 4% des émissions globales. Comparé à l’agriculture, le bâtiment ou les transports, on peut estimer que ce n’est pas énorme. Mais le problème, c’est que c’est un secteur en forte croissance, on peut s’attendre à ce qu’il atteigne des chiffres bien plus importants à terme, si on continue sur notre lancée. Et puis c’est aussi l’arbre qui cache la forêt ! Il y a un sujet qui concerne beaucoup le jeu vidéo et plus largement le numérique, c’est l’épuisement des ressources. L’eau notamment, mais aussi certains minerais rares utilisés pour construire les ordinateurs, les consoles, tout le matériel informatique. Or, nous n’avons pas les ressources suffisantes pour assurer un renouvellement constant du matériel. L’industrie du numérique n’est pas tenable à long terme, dans la façon qu’on a de fabriquer, de générer de l’obsolescence.
Faire connaître les bonnes pratiques
Concrètement, comment les acteurs du jeu vidéo peuvent-ils réduire leur empreinte carbone ?
D’abord pour qu’un jeu tourne, il faut trois éléments. Un terminal côté utilisateur, un réseau, et un data center. Il faut interroger son impact sur ces trois blocs… Par exemple, les jeux demande de plus en plus de calculs de machine, notamment des GPU, ces fameuses cartes graphiques qui doivent être toujours plus puissantes. Au fur et à mesure que le jeu vidéo devient la première industrie culturelle mondiale, ces terminaux sont démultipliés, les jeux de plus en plus lourds, qui occupent beaucoup de bande passante… Je pense qu’il faut mieux sélectionner ses fournisseurs, faire durer les machines plus longtemps. Il y a aussi la question du codage, qui concerne directement les studios, et on sait que selon la façon dont est codé un jeu, on peut avoir jusqu’à 25% de variation de consommation énergétique… pour un résultat similaire. Il y a plusieurs démarches qui vont dans le sens d’un codage sobre, beaucoup de studios font cet effort. En plus, cela permet d’avoir des gains en termes de robustesse, d’efficacité et de temps. Quelque part, c’est plus rentable.
Vous parlez de la nécessité de construire des machines plus résistantes. Mais les géants de ce domaine s’engagent-ils eux-mêmes dans cette voie ?
Ça change un peu, oui, que ce soit chez les fabricants ou chez les éditeurs de moteurs. Ils commencent à intégrer dans leurs logiciels des outils de mesure qui vont aider les développeurs à aller chercher les bonnes ressources au bon moment, et à être plus sobres. À la dernière GDC [NDLR : la Game Developers Conference, l’un des plus grands événements mondiaux pour les professionnels du jeu vidéo], Microsoft a annoncé qu’il allait équiper les XBox d’un logiciel permettant de coder en ce sens. Ubisoft a aussi communiqué sur le sujet, en annonçant qu’il proposera bientôt un mode éco pour certains jeux. Au-delà de ça il faut travailler sur l’indice de réparabilité, sur le recyclage des terminaux, et mieux valoriser le cycle de l’occasion également. L’un des travaux du consortium sera de compiler les bonnes pratiques déjà existantes, pour les diffuser. Nous sommes pas mal aidés en France par le CNC, le Centre national du cinéma et de l’image animée, qui conditionnera certaines aides aux studios capables de mesurer leur impact, et ce, dès 2024.