Pénurie de matières premières (3/5) : « Sans papier, je ne produis pas » - Premium
Pénurie, hausse des prix ? Placéco revient sur les difficultés d'approvisionnement qui touchent les grandes filières d'activité girondines, et sur la façon dont les entrepreneurs concernés s'adaptent à cette nouvelle situation. Une série à suivre tout au long de la semaine.
"Après la période de confinement, on ne pensait pas qu’il y aurait autant de choses à faire", témoigne Laurent Rousseil, dirigeant du groupe Imprim.
Dans la filière bois, la pénurie de pâte à papier, importée en partie d’Amérique du sud, n’est pas sans conséquence pour les imprimeurs girondins. A la tête du groupe Imprim, Laurent Rousseil nous livre les multiples adaptations imaginées pour tenir la barre de ses rotatives.
« L’un des principaux problèmes de la filière papier s’est concentré sur les approvisionnements en pâte à papier, qui est importée à 70% d’Amérique du sud, le reste provenant de pays européens. La filière est donc très dépendante des échanges transatlantiques qui ont tourné au ralenti ces derniers mois », pointe d’emblée Laurent Rousseil, dirigeant du Groupe Imprim, PME de 35 salariés, basée à Gradignan. Créé en 1972, cet acteur historique de l’imprimerie dans le sud-ouest, a besoin de plus de 3700 tonnes de papier par an pour assurer un vaste panel de publications : campagnes publicitaires, bulletins municipaux ou institutionnels, livres, flyers, brochures… Un sacré volume de feuilles blanches, renommées « désir » au long de ces derniers mois !
« Or, sans le papier, moi, je ne produis pas », pose le PDG qui reconnaît avoir subi de fortes pressions pour arriver à approvisionner. « Il y a eu en effet un déséquilibre entre l’offre et la demande. Les économies chinoises puis américaines sont reparties avant les marchés européens. Lorsque l’économie française a repris, après les confinements, nous n’avions plus le choix. Le cours de la pâte à papier était passé de 800$ à 1300$ la tonne en raison notamment du marché chinois qui a spéculé et acheté au prix fort. Quant aux délais de livraison du papier, ils sont passés à 24 semaines alors qu’auparavant ils étaient de 3 à 6 semaines. »
Des stocks dès juillet 2020
Obligée de prendre des risques et ce, non sans incidence sur sa trésorerie, l’entreprise, bien en amont, dès juillet 2020, s’est constituée des stocks conséquents, 700 tonnes de papier, soit sa capacité maximum de stockage. « Nous avons rempli nos trois entrepôts et avons même réaménagé certains ateliers pour dégager de l’espace. Par la suite, on s’est réapprovisionné au fur et à mesure mais avec des contraintes. Quand on commandait 10 tonnes, le fabricant ne pouvait en fournir que 8 ».
Face aux difficultés pour s’approvisionner, le choix a été fait, par cette société familiale et de proximité, de privilégier les clients historiques. « De fait, aucun ne nous a quitté », se réjouit le directeur qui regrette en revanche, faute de stocks, de n’avoir pu honorer des demandes de nouveaux clients. En parallèle, avec ses clients et négociants, l’imprimeur s’est efforcé de formaliser le plus en amont possible les pré-réservations. « Alors qu’habituellement notre plan de charge est sur trois mois, il est désormais sur un an », ajoute Laurent Rousseil.
Des clients devenus « partenaires »
Ayant subi des hausses allant de 15 à 25 % selon les différents types de papiers - auxquelles se sont ajoutées celles sur le coût des palettes, de l’encre, de l’aluminium…-, l’entreprise a maintenu ses tarifs sur les devis déjà réalisés, quitte à impacter sa marge et son chiffre d’affaires. Pour les nouveaux devis, les commerciaux ont joué la carte « dialogue ». « Un travail important d’explications, de relations, de mailing… a été mené pour les informer de notre situation et des difficultés rencontrées. Nos clients étant eux-mêmes confrontés à des problèmes d’approvisionnement ou de hausses de prix, nous avons travaillé dès lors ensemble plutôt comme des partenaires qui cherchent à se serrer les coudes. C’est d’ailleurs l’un des effets positifs de cette crise inédite », note le dirigeant. Les discussions ont ainsi battu leur plein pour trouver des « alternatives » : des papiers aux qualités plus standards ou au grammage moindre mais avec une pagination optimisée, plus facile à produire.
Le papier recyclé : une alternative à la dépendance à l’international
Les commandes se sont reportées également sur des papiers moins demandés, notamment le papier recyclé made in France. « Les difficultés d’approvisionnement ont ainsi accéléré la politique mise en place depuis des années par notre groupe, dont 60 % de la production en 2020 était déjà basée sur du papier recyclé. Il y a donc au-delà, de la question de réindustrialiser en Europe, une autre alternative pour notre secteur avec le papier recyclé qui offre des possibilités de circuits-courts. On limite la dépendance à l’international et en termes de valorisation de la matière première, on ne peut faire mieux. Le papier peut être recyclé entre 7 et 10 fois et sa production est peu consommatrice en eau et énergie », s’enthousiasme Laurent Rousseil, qui n’en reste pas moins prudent sur l’avenir.
Selon la filière, la situation devrait en effet s’améliorer à la fin du premier semestre 2022 et d’ores et déjà le coût de la pâte à papier est à la baisse. En revanche, une hausse du prix du papier d’environ 8% n’en est pas moins annoncée pour janvier 2022. « Franchement, après la période de confinement, on ne pensait pas qu’il y aurait autant de choses à faire », conclut le PDG. « Non, on ne s’attendait pas à vivre tout ça… ».
