Pour Benjamin Salah, « le manager doit protéger son collectif et parfois ça demande du courage » - Premium

Benjamin Salah est président directeur général de Human Immobilier. Son père, Eddy Salah, avait fondé la Bourse de l’Immobilier. Benjamin Salah était l'invité d'une interview en public devant les adhérents de Placéco, mardi 7 septembre, à Bordeaux.Human compte presque 3.000 personnes. Comment fait-on pour fédérer autant de monde vers un objectif commun ?Dans le management, on touche à l'être humain et il n'y a rien de plus complexe. Déjà, il faut bien avoir conscience que c'est très difficile. J'aime cet aspect de la gestion d'entreprise, malgré les souffrances qui vont avec. Mon père était un leader différent de moi dans une époque qui n'a plus les mêmes codes qu'aujourd'hui. Nous avons des salariés, des chefs d'entreprise aussi puisque nous nous sommes lancés dans la franchise. Chez nous les parcours et les profils sont très riches. On dit souvent qu'il faut aimer ses collaborateurs, je ne sais pas si c'est à ce point-là mais une chose est sûre, il faut aimer être au contact. Il faut aller au-delà du travail à proprement parler. Il faut savoir donner, faire preuve de générosité dans le rapport à l'autre et pas uniquement économiquement. J'entends parfois « on ne travaille pas pour l'argent » mais en fait si, tout le monde travaille pour gagner sa vie.Investir pour accompagner les collaborateursLe management est-il plus complexe aujourd'hui ?J'ai commencé à 18 ans, donc je n'ai pas 30 années de recul mais on sait tous qu'il y a 30 ans, les gens cherchaient la sécurité de l'emploi, on cherchait à être fonctionnaire. Celui qui faisait carrière était valorisé. Cette quête-là, je ne la vois plus beaucoup, chez les jeunes et les moins jeunes, ça transpire aussi dans les autres générations. Le moteur des jeunes et des moins jeunes c'est l'épanouissement. Les gens veulent changer très vite. Il y a 20 ans, on pensait à changer au bout de sept ou huit ans, aujourd'hui, c'est au bout de deux ans. On essaie d'y répondre mais on ne peut pas y répondre à chaque fois. Chez Human, on favorise au maximum les mouvements au sein de l'entreprise, très souvent on accompagne les collaborateurs sur des nouveaux métiers, sur des formations. Lorsqu'on sent l'envie et l'engagement, on n'hésite pas à investir pour accompagner ces profils. Comment engager les différentes générations ?Nous travaillons dans un souci d'équité. Apprendre, se donner un nouveau challenge vaut aussi pour les seniors, ce n'est pas qu'une question pour les jeunes. L'important est de ne pas attendre le jour où le collaborateur viendra vous dire qu'il en a marre parce qu'il a fait le tour de la question. Si on le voit avant même qu'il le verbalise, on peut lui proposer une nouvelle mission, une petite responsabilité supplémentaire ou au contraire, redescendre en responsabilité. Parfois aussi, certains profils doivent partir. Cela permet aussi à l'entreprise de respirer, d'avoir un souffle nouveau. On aimerait que l'épanouissement soit éternel mais la vie n'est pas comme ça.À lire également : Laurent Marti, président de l'UBB : « J'ai failli abandonner » Vous sponsorisez la voile et le rugby. Est-ce un moyen de rassembler et de fédérer ?Le rugby rassemble plus largement que la voile mais ces deux sports permettent d'embarquer une partie des collaborateurs. Pas tous, il ne faut pas s'attendre à ce que tout le monde vous suive si vous vous engagez dans cette voie. J'ai entendu « pourquoi on met autant de fric dans l'Union Bordeaux-Bègles? » Autrefois, ça me mettait en colère, aujourd'hui, je sais que tout le monde ne peut pas être embarqué et moi je suis fier de ce qu'on fait et je sais que certains de nos collaborateurs vivent des émotions fortes grâce à ces partenariats.« Je sais que je serai trahi »Pratiquez-vous un management bienveillant ou strict ?Je sais que j'ai la réputation d'être un peu dur. On est aussi confronté à des mauvais comportements. Bien sûr qu'on écoute, on fait de la pédagogie, chacun avec ses limites mais si besoin, à un moment donné on dit stop. Stop ça veut dire, c'est dehors. Car si je ne suis pas en capacité de demander à quelqu'un qui ne remplit pas son contrat de l'écarter, je mets à mal tous ceux qui se donnent du mal, ceux qui s'engagent pour le collectif. Le manager doit protéger son collectif. Parfois, ça demande du courage. On nous apprend la bienveillance et l'empathie. Je crois que tout part de là mais il faut savoir faire preuve d'exigence sinon toute la générosité qu'on a donnée risque d'être gâchée, et notamment dans les périodes de crise. On se fait mal aimer. C'est important de l'accepter. Personnellement, j'ai beaucoup travaillé sur ces sujets. Aujourd'hui, je le ressens toujours. Ce n'est jamais agréable mais cela ne me blesse plus. C'est aussi l'expérience qui m'a permis d'apprendre. Apprendre que même vos plus proches collaborateurs, certains à qui vous pouvez confier vos enfants, peuvent vous manquer de loyauté. Je vous assure que quand vous l'avez appris, vous le gardez à l'esprit tout le reste de votre vie. Je sais que je serai trahi et j'essaie de ne pas y laisser trop de plumes. Ce n'est pas si facile, même avec l'expérience. Comment manager toute une équipe vers le changement, en l'occurrence dans le changement de nom, donc d'identité de l'entreprise ?Nous avons changé le nom - autrefois La Bourse de l'immobilier - pour Human. Nous avons travaillé trois ans sur ce dossier. J'ai commencé à en parler à mon cercle rapproché. Au début, je les ai perdus ! Marc Prikazsky [ndlr, PDG de Ceva Santé Animale] m'a conseillé de tout arrêter, je l'ai écouté car c'est un très grand dirigeant mais j'ai poursuivi car j'y croyais. Nous étions au plus haut de la réussite de l'entreprise. Notre identité ne correspondait plus à ce que nous étions devenus. Nous avons attendu d'avoir le résultat de notre évolution pour changer de nom, l'erreur aurait été faire l'inverse : de dire d'abord ce qu'on veut être et ensuite d'essayer. Personnellement, qu'est-ce qui vous porte au quotidien ?Ces envies changent selon les époques de ma vie. J'ai passé une période où j'ai eu besoin de prouver que j'étais capable. J'aime aussi voir mes collaborateurs réussir, les voir voler de leurs propres ailes s'ils n'oublient pas ce que nous avons fait ensemble. Depuis deux ou trois ans, je commence à être très animé par l'idée de commencer à transmettre, à partager davantage le pouvoir, accompagner certains vers la fonction de dirigeant. Je me suis senti un peu seul aux manettes, je voudrais trouver un moyen pour que les autres ne vivent pas cela. Il y a des erreurs que je n'ai pas envie de refaire, je me suis parfois fait mal, je vais essayer de gommer ce qui a été plus douloureux. Et puis, je sais que je ne vais pas vivre les 20 prochaines années comme j'ai vécu les 20 précédentes.

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