Marie Kerouedan : « La liquidation entraîne une perte de confiance en soi » - Premium

« Qu’est-ce que je retiens de mon parcours entrepreneurial ? Le premier mot qui me vient en tête, c’est le terme “difficile”. C’est hyper dur d’entreprendre. » Lorsqu’elle livre son retour d’expérience, Marie Kerouedan est transparente. « Je ne vais pas vous dire que du positif », précise-t-elle en amont de l’interview. Pourtant, pour cette Bordelaise d’adoption, l’histoire démarrait plutôt bien, et fort. Celle qui dirige aujourd’hui Soltena, réseau néoaquitain autour de l’économie circulaire et de la transition environnementale, a créé Resurrection en 2018. Une startup née de sa passion pour la cuisine végétale, qui fabriquait des biscuits à partir de déchets de malt, la drèche. « Je suis toujours autant passionnée, sourit-elle. La liquidation judiciaire n’a pas jeté ça aux oubliettes. » Revenons sept ans en arrière. Habituée au travail d’indépendante en tant que consultante, Marie Kerouedan se lance dans ce projet « avec l’envie de produire, d’être dans le matériel, et non plus l’immatériel ». Fraîchement débarquée de Paris à Bordeaux, elle se souvient avoir vu sa toute jeune société « très bien accueillie, rapidement soutenue par des incubateurs, par la Région Nouvelle-Aquitaine, Bpifrance ». Le projet prend assez vite de l’ampleur, plus que ce à quoi s’attendait l’entrepreneuse.Une dynamique freinée par la pandémie « Je me suis prise au jeu, il faut le dire, avoue Marie Kerouedan. Initialement je n’avais pas forcément une vision claire de ce à quoi je voulais aboutir, je n’avais pas placé d’ambition démesurée. » Convaincue qu’il ne suffit pas de petites actions pour faire bouger les lignes, elle vise alors l’industrialisation de son activité. En 2019, Resurrection compte une dizaine de salariés et boucle sa première levée de fonds, de 850.000 euros. Mais alors que l’entreprise prévoit un important plan de déploiement notamment dans les cafés, hôtels et restaurants, elle prend de plein fouet le mur du Covid-19. Les biscuits à base de drèche ne sont pas des produits de première nécessité. « Ça a été une période compliquée à gérer, mais ça n’a pas mis à plat notre activité. On a rebondi, et en 2021 je me suis lancée dans une seconde levée », poursuit Marie Kerouedan. Le tour de table aboutit finalement en 2022 : 750.000 euros sécurisés, au moment où Resurrection se dote d’un important outil de production à Canéjan. « Le tour de table a mis du temps, certains investisseurs ont vraiment fait traîner. Au moment où on l’a clôturée, j’avais un encours de dettes fournisseurs énormes, et une accumulation de problèmes liés aux RH… La levée a rapidement été engloutie. Beaucoup plus vite que prévu. »Deux déflagrations financières La jeune pousse est également confrontée, cette année-là, à la hausse phénoménale du coût des matières premières, liée à la guerre en Ukraine. L’huile d’olive prend 100% d’augmentation, et Resurrection est trop petite pour espérer faire pression sur ses fournisseurs. « Puis on a subi une deuxième déflagration. Le plus important distributeur bio de France que je nomme volontairement, Biocoop, pour qui on a fait huit mois de R&D dans le but de développer une gamme en marque blanche, nous a plantés. Il n’a jamais voulu que l’on signe de contrat d’engagement, et nous a lâché alors que l’on devait alimenter 300 magasins », se souvient, amère, Marie Kerouedan. Cet événement est, dit-elle, l’un des coups de massue finaux de l’aventure Resurrection ; car cette manne financière devait représenter un quart du chiffre d’affaires de l’année. L’entreprise compte alors 17 salariés, et des investisseurs en attente de résultats. Les équipes tentent de rebondir, mais la trésorerie manque. « Il aurait fallu que je ne sois pas seule, se souvient l’entrepreneuse. J'étais très fatiguée, et je n’avais pas les ressources pour prendre le temps de chercher des marchés. Six mois auraient été nécessaires pour cela. » Marie Kerouedan n’a pas non plus le temps suffisant pour vendre son concept et son entreprise. En janvier 2023, elle demande le placement en liquidation judiciaire de Resurrection.Encore un tabou de l’échec entrepreneurial Pour Marie Kerouedan, une fois le dossier déposé au tribunal de commerce, « c’est presque une bouffée d’oxygène ». « Entreprendre, c’est l’aventure du début à la fin et cela demande beaucoup de résilience. Mais je n’avais pas de lien d’affect, je n’ai pas eu l’impression de perdre mon bébé. Par contre, j’ai perdu mon boulot auquel j’étais attachée. » Les conséquences sont alors triples pour l’entrepreneuse. Financières d’abord, car les huissiers viennent encore sonner à sa porte, la liquidation n’était pas finalisée. Professionnelles ensuite, car Marie Kerouedan ne touche pas de chômage et se retrouve sans emploi ni salaire. Personnelle, enfin, car elle est épuisée. Mais une autre conséquence plus insoupçonnée se fait ressentir : la disparition sociale, du jour au lendemain. « Beaucoup de monde me demandait d’intervenir, de présenter ma boîte, j’avais des articles de presse… Une femme cheffe d’entreprise, a fortiori dans la transition, ça intéresse pas mal. D’un coup, on n’est plus rien. » Marie Kerouedan affirme être « redevenue quelqu’un de fréquentable » huit à dix mois plus tard. Selon elle, ce tabou de l’échec entrepreneurial se fait aussi sentir dans le cercle personnel. « On renvoie quelque chose que les gens n’ont pas envie de voir, qui leur fait peur. Ce qui se comprend ! Les gens se disent “c’est abominable ce qu’elle vit”. »Reprendre confiance en soi De son expérience, elle retient l’étendue des apprentissages par lesquels elle est passée. Mais aussi le manque de liberté qui s’insinue petit à petit. « Je suis quelqu’un qui a un peu soif de liberté, je pense que c’est notamment cela qui m’a poussée à entreprendre. Je ne voulais pas être enfermée dans un cadre. Finalement on a une sorte de liberté, oui, mais il y a aussi d’énormes contraintes. » Après plusieurs mois de repos, Marie Kerouedan se relance dans la vie professionnelle et s’entoure d’une coach avec qui elle reprend confiance, car « la liquidation entraîne aussi une perte assez totale de confiance en soi ». L’heure est venue de devenir salariée, un statut qu’elle n’a pratiquement pas connu. En février 2024 l’opportunité Soltena se présente, et Marie Kerouedan décroche le poste. « J’avais besoin de sécurité », explique-t-elle. Et de poursuivre l’un des éléments qui l’a poussée à entreprendre, six ans auparavant : son engagement écologique.

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