Avec le viaduc du môle d’escale, le port de La Rochelle se réinvente - Premium

Le grondement sourd des scies se mêle au clapot contre les piles du viaduc. À quelques mètres, un convoi franchit lentement l’ouvrage, maintenu en alternat par un ballet de feux intelligents. Sous le tablier, les compagnons sablent les poutres d’acier, confinés dans une bulle de bâches étanches pour piéger la poussière de plomb. Ici, sur le viaduc du môle d’escale du port de La Rochelle, la modernité s’invite au chevet d’un monument industriel vieux de près d’un siècle.Construit entre 1930 et 1934, le viaduc d’accès long de 700 mètres relie la terre au quai pétrolier et aux infrastructures de croisière. Il est aujourd’hui au cœur d’un chantier de 21 millions d’euros hors taxes, financé en partie par le Contrat de plan État-Région (six millions d’euros). Objectif : prolonger la vie de cet ouvrage essentiel au trafic portuaire, tout en maintenant les opérations. Un défi autant technique qu’économique.Réparer plutôt que construireLe port Atlantique La Rochelle, sixième port français, traite environ dix millions de tonnes de marchandises par an, exclusivement des vracs. Plus d’un tiers de ce trafic transite par le viaduc, artère vitale pour les hydrocarbures ou les produits d’avitaillement. « C’est un maillon critique. Sans lui, pas de déchargement pétrolier, pas d’accès au môle d’escale », rappelle Mathieu Darsonville, chef de projet au service Ingénierie du port. Sur le terrain, impossible pourtant de geler l’activité. Les bateaux continuent d’accoster, les convois d’emprunter le viaduc, les passagers de croisière de rejoindre la ville. « C’est ce qui rend le chantier si complexe, il faut intervenir sans jamais interrompre le flux », insiste Valentin Genest, chef de projet chez Bouygues Travaux Publics Régions France, mandataire du groupement avec Roth (traitements de surface) et Euréchaf (échafaudages).Lire également : Avec l'outil Seapolar, le port Atlantique de La Rochelle veut montrer l'exemplaritéLes études menées depuis 2014 ont conclu qu’une réhabilitation lourde était plus vertueuse qu’une reconstruction complète. « Démolir pour refaire à neuf aurait été plus simple, mais infiniment plus coûteux et plus long », confie Mathieu Darsonville. L’option choisie : remplacer le tablier, renforcer la charpente métallique, déplomber et repeindre l’ensemble, tout en conservant la structure d’origine signée du style des ponts Eiffel.L’économie du temps de travailCe choix répond aussi à un enjeu environnemental. Le chantier mobilise du béton bas carbone, du carburant HVO (huile végétale hydrotraitée) pour les engins, et une filière rigoureuse de traitement des déchets plombés sous la supervision de Suez (AMO). Les opérations de sablage et de peinture se font sous confinement total, garantissant zéro rejet dans le pertuis. « On parle d’un ouvrage classé, implanté dans un environnement sensible. Il fallait concilier performance et sobriété », résume Sandrine Gourlet, présidente du directoire du Port Atlantique La Rochelle.Le chantier prévoit la peinture et le décapage de plus de 26.000 mètres carrés de surface. Crédits Photo : Laurie FerrèreLe mot d’ordre du chantier : optimiser le temps sans compromettre la sécurité. L’entreprise Bouygues TP RF a ainsi importé des méthodes issues de l’industrie automobile sur ce chantier. Avec un phasing en 39 zones, chaque « plot » faisant l’objet d’un cycle de 9 1 jours (neuf jours de travaux, un jour de transition). Cette organisation dite Takt Time permet de lisser les cadences et de limiter les temps morts. Résultat : 11 mois gagnés sur le planning initial de 39 mois, selon Bouygues. « Nous avons transformé un chantier linéaire en ligne de production », résume Valentin Genest. « L’alternat intelligent et la planification fine permettent de maintenir la circulation, même lors des bétonnages ou des levages de nuit. »Le port y voit un double bénéfice : moins d’impact économique sur les chargeurs et une réduction de l’exposition au risque. Chaque jour gagné, c’est une journée de trafic assurée et des recettes préservées. Un port en transitionSous les bâches, les volumes donnent le vertige : 1.500 m³ de béton, 370 tonnes de longerons, 17.000 boulons haute résistance, 26.000 m² de décapage et peinture anticorrosion. Sur le pont, les équipes posent plus de 600 prédalles préfabriquées sur site, avant d’y couler le béton de finition. Sur la période, le chantier mobilisera environ 85.000 heures de travail, dont 15.000 heures d’insertion – l’équivalent de quatre emplois à temps plein pendant deux ans. À la mi-parcours, le bilan sécurité est flatteur : zéro accident recensé.Lire également : Éolien en mer : « À La Rochelle, nous préparons ce projet depuis dix ans »Cette réhabilitation n’est qu’un chapitre de la mutation globale du port de La Rochelle, qui investit massivement pour adapter ses infrastructures à la transition énergétique et à de nouveaux trafics. Le port s’ouvre à l’éolien en mer, aménage des terre-pleins gagnés sur la mer et requalifie ses espaces urbains au nord. « Le viaduc est à la fois un symbole et une nécessité. On prolonge la vie d’un ouvrage des années 1930 pour accompagner les flux de 2030 », résume Sandrine Gourlet. « C’est la démonstration que la transition passe aussi par la réhabilitation du patrimoine industriel. »La livraison du chantier est prévue à l’été 2027, après deux ans et demi de travaux en site occupé. En attendant, le port vit au rythme du chantier, entre bruits de meuleuses et sirènes de navires.

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