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Adaptation aux transitions : « on est au cœur du business model des entreprises »

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mercredi 15 mai 2024

Laurence Versaille est cogérante du cabinet AuCentur. Crédit : LV

Comment une entreprise s’adapte, d’un point de vue comptable et financier, aux phénomènes de transitions (énergétique, environnementale, vers la RSE) ? Et comment les experts-comptables et commissaires aux comptes les accompagnent dans ces transformations ? Laurence Versaille, cogérante du cabinet girondin AuCentur spécialiste de l’audit financier et extra-financier, répond aux questions de Placéco.

Face aux problématiques de transitions, notamment environnementale, énergétique, comment une entreprise s’adapte-t-elle, d’un point de vue comptable et financier ?
Toutes ces transitions ont un effet transformateur pour les entreprises. S’adapter, ça veut dire s’organiser et avoir une stratégie pensée par la direction qui intègre ces enjeux. Donc on est au cœur du business model. Ensuite elle va mettre en place des comités, des actions, des cibles. Il va y avoir un bénéfice important, sur la communication des équipes en interne. Le responsable achats va parler avec le directeur des services d’information, le DAF va réunir tous ceux impliqués dans la collecte de données, les RH vont s’impliquer. Ces personnes vont parler entre elles, s’appuyer sur des outils car il va falloir collecter de l’information, structurer, organiser, mettre à jour, fiabiliser… Il y a plusieurs strates mises en place dans une démarche RSE, voire plus encore si on parle de la CSRD. Et à l’externe, c’est une transformation qui va se faire sur des approches d’achat, des choix d’investissement, des marchés nouveaux abordés.

« Une gouvernance plus partagée, des grilles d’analyse plus larges »

Est-ce que cela amène de nouveaux métiers, de nouvelles compétences au sein de l’entreprise ?
Il peut y avoir de nouvelles fonctions, très spécifiques, par exemple sur l’analyse du cycle de vie d’un produit. En interne, les DAF vont acquérir une nouvelle culture, aborder ces sujets en ayant en plus une base solide sur l’aspect financier, ils vont pouvoir faire le lien entre des considérations environnementales et puis un impact financier. Je pense que ça va plutôt développer des compétences pour les personnes à l’interne, qui vont intégrer ça au quotidien. Un directeur d’achats, son métier ne va pas fondamentalement changer. En revanche, la relation avec ses fournisseurs va être construite sur du plus long terme, il va intégrer dans ses contrats des clauses RSE ou proposer des contrats pluriannuels… Ça sera plus une évolution des compétences.

Est-ce que cela implique aussi de revoir les modes de gouvernance au sein des entreprises ? Si oui, pourquoi ?
Oui, complément. Je pense qu’on va tendre vers un mode de gouvernance plutôt partagé, avec plusieurs directions internes. Une gouvernance qu’on pourrait aussi appeler responsable, ce qui veut dire qu’on va mieux prendre en compte ces enjeux de durabilité. C’est-à-dire, au-delà des critères économiques, les aspects environnementaux, sociaux… La gouvernance va s’attaquer à des sujets plus divers et avoir des grilles d’analyse plus larges.

« Un avantage stratégique si on anticipe »

Comment vous, experts-comptables et commissaires aux comptes, accompagner les entreprises, leurs dirigeants, dans ces transformations ? Quels leviers activez-vous ?
Experts-comptables, nous sommes plutôt des conseils. Commissaires aux comptes, nous sommes auditeurs donc complètement indépendants. On va les aider à identifier les enjeux en termes de risques et d’opportunités. Il faut les sensibiliser pour les aider à anticiper les sujets qui vont peut-être émerger à moyen terme. Les entreprises qui vont anticiper sont celles qui ne subiront pas, par exemple certaines nouvelles clauses d’appel d’offres où, tout d’un coup, on vous demande un bilan carbone ou quelle est votre démarche RSE. Celles qui n’anticipent pas seront pénalisées, pas immédiatement mais elles le seront. Je lisais il y a peu que la Banque centrale européenne souhaite avoir des taux bonifiés pour le refinancement de prêts verts. Les banques vont financer ces prêts verts, mais au vu d’une démarche concrète, avec un suivi. Les entreprises vont devoir prouver qu’elles ont pris conscience de ces enjeux et qu’elles sont dans une transformation.

La performance extra-financière est-elle, selon vous, l’ennemi ou en tout cas un frein à la performance financière ?
C’était assez binaire jusqu’à présent, les entreprises ne voyaient que le sujet des coûts. Mais il me semble que se dessine quand même, en face des coûts qui peuvent être engagés, la construction d’une pérennité de l’entreprise. Si on doit passer par un financement plus difficile voire plus onéreux, on voit bien que le bénéfice de la performance extra-financière devient immédiat. Là, on n’est plus dans un horizon à long terme. Je pense que dans deux ou trois ans, l’accès aux financements sera vraiment impacté par cet engagement dans la RSE. Est-ce que ça obère la rentabilité financière quand vous avez un plan de réduction de la consommation d’énergie ? Ça a un impact direct sur la rentabilité mais un impact bénéfique. La RSE n’est plus un coût. On voit bien les opportunités qui sont là financiarisées.

« Les entreprises vont être comparables sur l’extra-financier »

La RSE peut-elle être vue comme un avantage stratégique, notamment si on devance les obligations légales ?
Oui, je suis profondément convaincue que ça peut être un avantage de différenciation. Evidemment, il y a toujours le risque du greenwashing. C’est pour ça que l’Europe a voulu normaliser, mettre en place un référentiel. Il y a une directive qui arrive contre les allégations du genre “neutre en carbone” et cætera.

Passer de la DPEF au rapport de durabilité, ça change quoi pour les entreprises ?
C’est un autre environnement, une autre étape. La DPEF n’était obligatoire que pour les sociétés cotées. On passe d’une déclaration qui n’était pas structurée à un rapport qui va être construit sur les normes et une méthodologie définie. Ça veut dire que les entreprises vont être comparables, c’est ça l’objectif. Comparabilité entre elles, mais aussi d’année en année. Et le cadre sera applicable à tout le monde. Mettre en place la CSRD, ça demandera des ressources, financières et humaines. Mais c’est plus que des normes. L’ambition de l’Europe, c’est cet objectif de transformation et d’embarquer les entreprises vers des prises de conscience, de construction de plans de transition qui touchent le CO2, la biodiversité, l’eau… Il faut dépasser le côté normatif et réglementaire pour en faire des outils de pilotage d’entreprise.

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