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Rob Hopkins : « certaines entreprises devraient avoir l’intégrité de se réinventer ou de disparaître »

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mardi 04 avril 2023

Prof de permaculture devenu activiste politique, Rob Hopkins porte depuis 2006 le mouvement des villes en transition - crédit Miriam Klingl

Activiste, écologiste et fondateur du Mouvement mondial des villes en transition, le britannique Rob Hopkins intervient le 5 avril à Bordeaux pour mobiliser autour des enjeux de transition écologique. Comment sa démarche s’accommode-t-elle des contraintes inhérentes à la gestion d’une métropole ou d’une entreprise, et quelles sont ses clés pour dépasser les freins au changement ? Entretien.

Organisée par la revue Sans Transition, la venue de Rob Hopkins donne lieu à deux événements le 5 avril : une rencontre professionnelle, organisée dans les locaux de Science Po Bordeaux à partir de 17heures, puis un « grand dialogue citoyen », placé sous l’égide de la Ville et programmé à 20 heures.

Vous appelez à une prise en compte immédiate des risques liés au réchauffement climatique, pourquoi ?
Le dernier rapport du GIEC, paru fin mars, qui au passage n’a pas du tout reçu la couverture médiatique qu’il mérite, nous dit que nous allons vers un réchauffement de l’ordre de 3 à 4 degrés. Et nous savons que même 1,5 ou 2 degrés seraient déjà catastrophiques. Nous en voyons déjà les effets, partout. L’été dernier a été particulièrement difficile en France, et pourtant avec le recul nous pourrions bien être amenés à le voir comme l’été le plus frais de la décennie. Nous avons vu avec le Covid que quand les scientifiques alertent les politiques au sujet d’une urgence, ces derniers peuvent agir, trouver l’argent, et prendre des décisions que tout le monde aurait considéré comme impossibles dans un très court laps de temps ! Avant le Covid, qui aurait imaginé que le gouvernement puisse payer des gens pour ne pas aller travailler ? Le réchauffement climatique exige que nous créions une sorte de plan Marshall, qui permette de repenser le fonctionnement de notre économie. Nous n’avons pas le choix !

Avec votre mouvement, Cities in transition, vous appelez à des transformations à l’échelle locale. Dans le même temps, vous demandez un plan Marshall plus global, ce qui souligne bien le caractère systémique de ces transformations. Quel est le bon niveau d’intervention ?
La démarche doit être initiée à tous les niveaux. Pour l’instant, on a l’impression que tout le monde regarde autour de soi, en attendant qu’un autre se lance. C’est valable à l’international, comme si un pays ne pouvait rien réaliser d’ambitieux tant que les Etats-Unis ne se sont pas lancés. Au niveau national, les communautés attendent que le monde économique se lance, le monde économique dit qu’il attend le gouvernement, le gouvernement lui renvoie la balle… alors que nous avons besoin d’une mobilisation générale, incluant le monde de l’éducation. On ne doit pas attendre l’invention d’une technologie miraculeuse, nous avons déjà tous les moyens d’agir. Regardez le système de transport à Utrecht, les super-îlots de Barcelone, les quartiers sans voiture de Fribourg ou le système alimentaire développé par Liège. Les réponses existent déjà, nous avons juste besoin de les implémenter de façon beaucoup plus ambitieuse.

À l’échelle de la ville, on voit bien à Bordeaux comment les initiatives en faveur de la transition écologique se heurtent aux contingences d’une grande métropole, marquées par la congestion du trafic ou les difficultés à accéder au logement. La politique des petits pas est-elle suffisante ?
En tant qu’Anglais de passage, il ne m’appartient pas de juger la politique de Bordeaux, à plus forte raison quand les ambitions d’un maire, quel qu’il soit, se heurtent à des difficultés liées à la recherche de financements ou d’un soutien gouvernemental. J’aime beaucoup cette phrase, affichée sur les fenêtres de l’Institut du Futur, aux Etats-Unis, qui dit que « toute déclaration utile pour le futur devrait sembler ridicule au premier regard ». L’idée selon laquelle nous pouvons régler la question du changement climatique par petites étapes ne tient pas, nous avons besoin de décisions courageuses. La maire de Paris l’a fait, d’une certaine façon, en fermant certains axes majeurs à la circulation, et toutes les études montrent que ces décisions finissent par plaire au public. Amsterdam n'a pas toujours été la ville du vélo ! Je n’ai jamais été maire, mais j’en ai rencontré beaucoup, et ce que je remarque, c’est que la plupart ont tendance à se concentrer sur un ou deux grands chantiers, que ce soit le système alimentaire, les transports, l’habitat écologique ou les énergies renouvelables… mais ce dont nous avons vraiment besoin, c’est de villes qui avancent sur l’ensemble de ces sujets, même si j’ai conscience de la difficulté de l’exercice.

« On améliorerait la vie d’au moins 80% des gens, avec des prix moins élevés, une meilleure santé »

Pour des métropoles comme Bordeaux, la difficulté est accentuée par la croissance démographique. Comment se transformer durablement quand il faut, à court terme, réussir à absorber 10.000 nouveaux habitants chaque année ?
Remontez 50 ans en arrière et prenez une grande métropole comme Lyon. Vous n’aviez pas cette répartition entre zones d’habitation, zones commerciales et zones d’activité, on était dans une ville du quart d’heure, avec des quartiers diversifiés. Il faut revenir à ce modèle. Dans le même temps, il faut trouver une voie pour faciliter l’intégration des nouveaux arrivants, particulièrement quand le réchauffement climatique va accentuer les mouvements vers l’Europe. Nous avons besoin d’une forme de green deal, pour ces gens qui vont chercher un emploi alors que nous avons tant de choses à faire ! En Australie, vous pouvez par exemple prolonger votre visa en allant travailler trois mois dans une ferme. Nous pourrions imaginer quelque chose de similaire en France, autour de l’isolation des maisons par exemple, et veiller à ce que les nouveaux logements soient aussi écologiques que possible. Je suis allé à Grande-Synthe, près de Dunkerque, il y a quatre ou cinq ans, et j’avais été très inspiré par le maire de l’époque, Damien Carême, dont la philosophie était que l’action publique devait servir en priorité les couches les plus pauvres de la population : logements sociaux passifs, transports en commun gratuits, redistribution du fruit des économies d’énergie sur l’éclairage public…

Inégalités sociales et changement climatique, même combat ?
Ça devrait l’être, absolument. À ce sujet, je trouve que Macron a commis une erreur, une vraie maladresse politique, en surtaxant le diesel. Alors que si on arrivait, en France, à mener un véritable plan Marshall contre le réchauffement climatique, on améliorerait la vie d’au moins 80% des gens, avec des prix moins élevés, une meilleure santé…

Beaucoup redoutent la casse que pourrait engendrer un vrai changement de paradigme…
C’est si on ne fait rien que beaucoup d’emplois seront détruits. Ceux qui essaient de négocier avec la physique ont tout faux, il n’y pas d’économie sur une planète morte. Donc oui, c’est un changement. Mais c’est justement ce à quoi excellent les entrepreneurs, détecter les opportunités. Plutôt que de voir les emplois qui seront perdus, il faut regarder vers l’avant, et imaginer les modèles qui permettront de créer de nouveaux emplois, en nombre, comme avec l’avènement d’Internet. S’il faut réduire l’usage de l’avion de 80%, imaginons de nouvelles façons de voyager, de chez soi ou dans son propre pays. Et puis, oui, il y a aussi des activités qui doivent simplement disparaître, on ne peut plus avoir une industrie basée sur le pétrole et le gaz, et certaines grandes entreprises devraient avoir l’intégrité morale de se réinventer ou de disparaître.

C’est difficile de faire adhérer un patron de PME aux vertus de la destruction créatrice, comment mobiliser les petites ou moyennes entreprises, quand beaucoup se battent tout simplement pour survivre dans un contexte économique compliqué ?
C’est une question importante, et je ne dis pas que c’est facile, ça ne l’est pas ! Je pense que c’est aux gouvernements de soutenir les entreprises qui sont prêtes à mettre en place ces changements. On le fait pour les grands groupes, alors que c’est sans doute plus important d’avoir ce soutien pour les petites entreprises. Encore une fois, on a réussi à le faire pendant le Covid ! Dans le même temps, il faut trouver le moyen de laisser les entreprises se dégager le temps nécessaire pour réfléchir à ces changements, et il faut que ce soit intentionnel. J’ai travaillé avec plusieurs sociétés qui ont mis en place un process dédié à ces sujets, avec une demi-journée par semaine, par exemple, pour prendre du recul et essayer de réimaginer leur modèle, avec une aide extérieure. Il faut soutenir ces initiatives, créer ces espaces d’échange, comme ça a été fait avec les assemblées citoyennes sur le climat. Ça n’est pas le premier changement auquel fait face le monde économique !

Aujourd’hui, c’est le PIB qui sert à mesurer l’activité économique et donc, d’une certaine façon, la santé d’un pays. Quel serait selon vous le bon indicateur à utiliser pour mesurer la réponse aux enjeux climatiques ?
Le PIB n’est pas pertinent en matière de mesure de progrès. Si la moitié de la population a le cancer et doit aller à l’hôpital, le PIB augmente ! Il y a des travaux autour d’un indice du bonheur national brut (gross national happiness, ndr), ou de notions telles que l’économie du bonheur… nous avons besoin de nouveaux indicateurs. J’aime beaucoup l’idée développée par le maire de Bogota, en Colombie, de mesurer le nombre d’enfants qui jouent dans les rues. Quand j’anime des ateliers ou des conférences, je demande aux participants de se projeter vers un avenir à horizon 2030 dans lequel on aurait fait tout ce qui était possible pour améliorer la situation, sans utopie, sans dystopie. Et même si les réseaux sociaux donnent l’impression qu’on passe notre temps à ne pas être d’accord les uns avec les autres, les réponses sont quasiment toujours les mêmes : le chant des oiseaux est plus fort, l’air est plus propre, il y a moins de voitures, un plus grand sentiment d’objectifs communs, le travail a plus de sens, les gens ont plus de temps libre, et se sentent plus proches les uns des autres. Les indicateurs que l’on choisit doivent refléter le monde dans lequel on a envie de vivre.

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