Vins de Bordeaux : comment s’adapter au changement climatique ? - Premium

La qualité d’un vin tient aux cépages, aux pratiques de vinification mais aussi et surtout aux conditions de culture et donc au climat. D’un point de vue méthodologique, comment fait-on pour mesurer l’impact du climat sur le vin ? Le climat joue effectivement à la fois sur le rendement et sur la qualité des vins avec une variation spatiale. C’est ce qui fait que chaque région a ses caractéristiques. Mesurer précisément son impact reste toutefois un exercice délicat, puisqu’il y a de nombreux autres facteurs qui rentrent en ligne de compte. Le plus simple consiste à évaluer la variation temporelle, à l’aide d’une dégustation verticale, qui va confronter plusieurs millésimes d’un même cru. C’est ce qui permet par exemple d’isoler 2010 comme un grand millésime, mais l’exercice devient vraiment passionnant quand on commence à s’intéresser aux liens entre la typicité du vin et les conditions climatiques de l’année. Pour ce faire, on mesure des paramètres tels que la température, l’ensoleillement et le régime hydrique en équipant certaines parcelles de capteurs qui vont réaliser les mêmes relevés plusieurs années de suite. Ces différentes méthodes nous permettent de bien connaître l’effet du climat sur le comportement de la vigne et sur des paramètres majeurs tels que le degré alcoolique, la concentration du vin, ou de façon plus subtile sur des composés secondaires comme les tannins, les anthocyanes et les arômes, dont on a pu montrer qu’ils étaient assez différents selon que le vin est frais ou solaire. Au regard de l’influence du climat, comment s’annonce le millésime 2022 ? Pour analyser cet impact, il faut diviser la question du climat en différents paramètres mesurables, à commencer par les températures, le niveau de satisfaction en eau ou le rayonnement, c’est-à-dire la quantité d’énergie lumineuse reçue, en gardant en tête que chaleur et sécheresse ne se confondent pas nécessairement. 2022 est une année à la fois très chaude, très sèche et marqué par un fort rayonnement. Les températures élevées entraînent un très bon niveau de maturité, donc des acidités relativement basses, un degré alcoolique relativement élevé et aucune verdure dans les arômes. La vigne supporte très bien la sécheresse, mais l’absence d’eau a une influence sur la taille des baies. Cette année, les raisins sont petits, ce qui a un impact en matière de rendement, mais se révèle plutôt favorable sur le plan qualitatif, surtout pour les vins rouges. On peut donc s’attendre à des vins très concentrés, très riches, de longue garde, avec un millésime qui se situera entre celui de 2003, marqué par une vague de chaleur historique, et celui de 2005, année de grande sécheresse. Pour les blancs, je serais plus prudent, il devrait s’agir d’un beau millésime, mais il reste une petite interrogation sur l’acidité, qui reste nécessaire. On ne le saura qu’après la vinification.Quel sera l’impact du réchauffement climatique à horizon 2050 ? Le changement climatique est dramatique pour la planète, mais jusqu’ici il s’est montré plutôt positif pour les vins de Bordeaux. La maturité est plus facile, les années sèches sont de bonnes années, et l’on voit bien d’ailleurs que la fréquence de bons millésimes a augmenté. Mais il peut arriver un moment où il fera trop chaud, ou trop sec. Un point de bascule au-delà duquel ces augmentations ne seront plus bénéfiques. On atteindra peut-être ce point de bascule dans 20 ans, mais il est difficile d’en prévoir la date avec certitude, puisqu’elle dépend aussi du rythme auquel augmentent les températures. En attendant, nous essayons de trouver les adaptations nécessaires pour continuer à faire du bon vin dans un contexte climatique changé. Nous essayons de dessiner le vignoble de 2050. Quels sont les risques liés à l’augmentation des températures et les adaptations possibles ? Le risque lié à la température est que l’on finisse par avoir des degrés alcooliques excessifs, une acidité insuffisante, ou des aromes trop murs. Dans la palette aromatique, on ne cherche pas la verdeur, mais des aromes qui virent au fruit cuit ou au pruneau oxydé ne sont pas bons non plus. Toutes les adaptations qui permettent de reculer la date de maturité et donc la date de vendange permettent de limiter le phénomène puisque mécaniquement les températures baissent à partir de septembre et d’octobre. On peut par exemple retarder la taille de la vigne pour essayer de décaler le cycle de la vigne, ou limiter l’effeuillage afin de ralentir la maturation. Mais le levier d’adaptation le plus puissant est le choix du cépage. Chaque cépage a en effet une précocité qui lui est propre. Le cabernet sauvignon est par exemple tardif, contrairement au merlot, qui fera donc partie des premiers cépages en difficultés. On le voit avec les vins californiens, où le climat est plus chaud : leurs cabernets sauvignons sont magnifiques, mais les merlots ne sont pas terribles.D’où l’idée de réintroduire des cépages plus tardifs ? Nous travaillons effectivement à injecter des cépages encore plus tardifs à petite dose, avec une unité de recherche qui étudie depuis plus de dix ans le comportement comparé d’une cinquantaine de cépages. Les premières retombées sont très positives, et je salue d’ailleurs le travail des Bordeaux et Bordeaux Supérieur, qui autorisent désormais six nouveaux cépages à hauteur de 5%. C’est assez pour permettre au viticulteur de déployer plus largement ce que nous testons à toute petite échelle, et c’est suffisant pour ne pas dénaturer la typicité des vins de Bordeaux. Un viticulteur qui dispose de 20 hectares peut par exemple choisir de planter 1 hectare en Touriga Nacional, un cépage portugais prometteur, afin d’étudier son comportement et de savoir si, peut-être, il deviendra l’une des composantes du Bordeaux de demain. Ce travail sera vraisemblablement suffisant jusqu’en 2050. Au-delà, il est possible qu’on n’ait pas assez de ressources dans les cépages actuels, et il faudra peut-être envisager l’introduction plus massive d’autres cépages.L’irrigation est-elle la solution face aux problématiques de sécheresse ? La vigne est extraordinairement bien adaptée à la sécheresse, qui ne pose pas de problème de qualité. Elle soulève en revanche des problèmes de rendement, puisque les baies sont plus petites, ce qui peut affecter la rentabilité des exploitations. Aujourd’hui en France, 7% du vignoble sont irrigués, alors qu’on est à 90% dans le « nouveau monde ». Irriguer est bien sûr une possibilité, mais le sujet fait débat, à juste titre. L’apport en eau présente des bénéfices à court terme, mais il rend la vigne dépendante, puisque les racines vont se développer en surface, là où l’eau tombe des goutte à goutte. L’autre grande question concerne celle de la disponibilité en eau. On parle tout de même d’un million de litres par hectare et par an. Le débat n’est pas tranché, mais je ne suis pas favorable à cette solution, qui me semble présenter plus d’inconvénients que d’avantages sur le long terme, d’autant qu’il est possible de travailler sur un autre levier : le choix du porte-greffe, dont les différentes variétés disponibles présentent des résistances à la sécheresse assez variables. Autrefois, on évitait les porte-greffes les plus résistants à Bordeaux, parce qu’ils induisent beaucoup de vigueur, qui n’est pas favorable à la maturité du raisin. On fait toutefois face à un total changement de paradigme. Il y a vingt ans, atteindre la maturité était un vrai challenge, alors qu’aujourd’hui, on cherche plutôt à la ralentir. De mon point de vue, la réponse au changement climatique réside donc en grande partie dans le choix du matériel végétal.Faut-il, dans ce contexte, chercher à maintenir le goût des vins de Bordeaux ? Le goût n’est pas immuable. C’est difficile à évaluer, puisqu’on ne peut pas comparer les vins au même âge, mais on avait par exemple dans les années 70 des vins plus verts, plus acide. Ces changements ne tiennent pas qu’au changement climatique. Ils sont aussi liés à des changements de pratique, notamment sous l’influence des critiques américains, qui appelaient à plus de maturité et plus de boisé, mais ils montrent bien que le goût évolue. Reste à savoir dans quelle mesure ces changements sont tirés par la demande du consommateur, ou imposés par des facteurs qu’on contrôle moins bien.

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