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Oser la confiance, c'est maintenant !

Opinion
vendredi 13 novembre 2020

Tout à tour  dirigeante, DRH, psychopraticienne et coach spécialiste de l'accompagnement des dirigeants, Marianne Olivier de Pishiki Mikana met à profit la rubrique Opinion réservée aux adhérents Placéco pour livrer quelques pistes sur la façon dont la confiance peut cimenter et fertiliser les organisations. 

A l'heure où notre mouvement naturel peut être la prudence, le repli, la peur, pouvons-nous nous inspirer de Dame Carcas ?

« Lorsqu’en 1334, la duchesse du Tyrol, Margareta Maultasch, encercla le château d’Hochosterwitz, dans la province de Carinthie, elle savait trop bien que la forteresse, juchée au sommet d’un rocher incroyablement escarpé, dominant la vallée d’une grande hauteur, résisterait à toute attaque de front et ne serait prise que par un long siège. A la longue, la situation des assiégés se fit effectivement intenable ; ils étaient réduits à leur dernier bœuf et à deux sacs d’orge. Mais la situation de Margareta devenait également critique, pour d’autres raisons : ses troupes commençaient à s’agiter, le siège semblait devoir durer une éternité, et d’autres expéditions armées se faisaient tout aussi urgentes. C’est alors que le commandant de la forteresse se résolut à une action désespérée qui dut passer pour de la pure folie auprès de ses hommes : il fit abattre le dernier bœuf, remplir sa cavité abdominale des deux derniers sacs d’orge, et ordonna que la carcasse fût ainsi jetée du haut du rocher dans un champ devant le camp de l’ennemi. Lorsqu’elle reçut ce message méprisant, la duchesse, découragée, leva le siège et partit. » Une histoire similaire existe au sujet de Carcassonne, Dame Carcas ayant jeté un cochon engraissé du haut des remparts vers ses assaillants. (« Changements. Paradoxes et psychothérapie » de P.Watzlawick, J.Weakland, R. Fisch, édition Points Seuil)

Retourner nos vieilles marmites

Face à la crise économique, la tentation est forte d'utiliser « les bonnes vieilles recettes » qui ne manqueront sans doute pas de fonctionner, au bout d'un certain temps, au prix humain que nous connaissons. Faire plus de la même chose produit toujours la même chose. Autrement dit, si les trajectoires de « reprise » choisies aujourd’hui s'inspirent de ces recettes connues, elles porteront les germes de nos crises à venir. Le "monde d'après" sera différent, nous dit-on. Mais pour qu'il soit durablement différent, il est nécessaire d'opérer un retournement du modèle dominant, qui a conduit non seulement à ce que nous vivons aujourd'hui, mais aussi à toutes les autres crises qui préexistaient : conflits armés interminables en Syrie et ailleurs, pauvreté croissante et écarts de richesses insensés, concentration dangereuse des pouvoirs économiques, crise environnementale, crise des réfugiés, crise dans les relations hommes-femmes... Edgar Morin le disait en 2016, « il y a donc une profonde crise de l’humanité qui ne se rend pas compte qu’elle est crise de l’humanité. Alors que certains n'ont pas hésité à parler de mondialisation heureuse … ». (In « Sur la crise » de Edgar Morin, édition Champs Essais.)

Intégrer les 3 dimensions

Différentes propositions émergent pour un autre monde et la complexité de nos systèmes nous invite à la recherche de voies non cloisonnées, intégratives, « holistiques » : des solutions qui envisagent à la fois l’Homme, le groupe, l’environnement ET la création de valeur. Chaque modèle traditionnel a été construit en se focalisant sur l’une des dimensions au détriment des autres. L’économie symbiotique proposée par Isabelle Delannoy (« L’économie symbiotique – Régénérer la planète, l’économie et la société », éd Domaine du Possible) , ou l’économie de la réciprocité, développée par Bruno Roche , chef économiste du groupe Mars, proposent de nouveaux modèles qui cherchent l’intégration positive, féconde, des trois dimensions. Intellectuellement, c’est séduisant. Mais si certains leaders, par exemple, s’engagent dans l’économie de la réciprocité par intérêt pour les résultats financiers qu’elle garantit, alors, même si le mouvement est apparemment positif, rien n’aura changé. Car ce mouvement ne sera qu’une trajectoire nouvelle enracinée dans les valeurs qui nous ont conduits au désastre.

Commencer par soi

Le premier retournement, la première métamorphose, c’est en chacun qu’elle doit opérer. Car aucune transformation de cet ordre, de cette exigence, ne peut se faire sans constance, sans cohérence, sans courage. Et quels que soient les boucs-émissaires qui seront désignés dans les prochaines semaines et mois, la seule question qui s’impose à chacun relève de celle de sa propre responsabilité face au présent et à l’avenir. Qu’est-ce que chacun veut vivre avec ses proches, ses équipes ? Qu’est-ce que chacun a envie, profondément, de servir ? Quel monde est souhaité ? Et quelles valeurs universelles sont les pierres angulaires de cette voie désirée ? En quoi la période que nous vivons, que nous subissons, nous enseigne sur notre essentiel ? Et comment allons-nous intégrer ces enseignements ?

Tous les témoignages de dirigeants qui ont choisi, bien avant mars 2020, d’engager leur entreprise dans un nouveau modèle humain le soulignent : le point de départ est un choc personnel, un événement dramatique, une intensité d’exaspération suffisante pour provoquer la décision d’un « autrement » ; un autrement plus humain, plus écologique pour chacun, où les relations humaines, l’intelligence collective, la confiance structurent les façons de travailler ensemble ; où la question du sens et de la raison d’être de l’entreprise est centrale, comme un fil à plomb des décisions stratégiques et opérationnelles ; où la performance est regardée globalement.

Ces pionniers, dont les motivations profondes reposaient sur une sorte d’idéal, ont inspiré beaucoup de dirigeants, séduits par ces démarches pour des raisons diverses. Beaucoup s’y sont engagés, sans toujours enraciner cet engagement dans une nouvelle vision de l’homme - il sera intéressant, le moment venu, de regarder comment ces entreprises ont résisté à la crise à venir-. Il s’est parfois trouvé que les résultats ne soient pas à la hauteur des espérances des actionnaires de ces entreprises, dont la sensibilité aux dimensions humaines est variable … Certains ont alors demandé un retour aux méthodes classiques, directives, classiquement hiérarchiques, « sifflant la fin du jeu pour revenir à plus de sérieux et de contrôle » ; retour en arrière difficile pour les équipes, et rarement plus fructueux à long terme. Il est facile « d’oser la confiance » par temps ensoleillé. C’est quand vient l’orage que se reconnaissent les engagements sincères. (Cf « reinventing organizations », de Frédéric Laloux, édition Diateino ; cf « Nous réinventons notre entreprise » de Michel Sarrat, édition Diateino et beaucoup d’autres !)

Porter la juste responsabilité 

Ces dernières semaines, dans les échanges que j’ai eus avec des entrepreneurs, des dirigeants, je suis touchée par l’immense responsabilité qu’ils portent sur leurs épaules, bien au-delà de la charge habituelle, et de leur grande solitude face aux décisions à prendre : santé de leurs salariés, gestion opérationnelle de la crise, mobilisation des dispositifs d’aides qui émergent quotidiennement et qui petit à petit endettent leurs structures, zèle parfois des organismes de contrôle .. Animés par la peur – compréhensible – et parfois la colère – tout aussi compréhensible -, ils prennent la plupart du temps les voies connues d’eux-mêmes et évoquent déjà les stratégies à venir face à la crise annoncée : rigueur, licenciements … et « cela va être très difficile ». Certainement. Le monde d’après, s’il se construit sur des stratégies nourries de peurs et de colères, avec les mêmes critères qu’aujourd’hui, sera celui que nous connaissons. Rien n’aura changé. Et nous aurons gâché collectivement cette crise : en n’intégrant pas les enseignements, en ne cueillant pas les cadeaux cachés que porte chaque deuil d’une époque.

Oser les confiances

Saurions-nous, tels Dame Carcas ou le commandant du château d’Hochosterwitz, oser la confiance dans un mouvement audacieux, individuel et dans nos communautés ? Serions-nous prêts à ce retournement maintenant ? Justement parce que la situation est difficile, inédite ?

Oser la confiance dans les équipes, dont une grande partie nous a positivement impressionnés pendant cette période ? Les moments de crises collectives suspendent les modes opératoires habituels, les processus de travail connus, les modes de fonctionnement et de décision connus. Brutalement, il y a un objectif commun – survivre, s’en sortir -, un environnement hostile – libertés moindres, normes plus dures – et un « grand méchant loup » - ennemi réel ou fantasmé, bouc-émissaire -. Ces facteurs extérieurs sont ceux décrits par Pablo Servigne et Gauthier Chapelle comme les facteurs qui favorisent la collaboration (In « L’entraide, l’autre loi de la jungle », édition Les Liens qui Libèrent). Des témoignages nombreux montrent le potentiel de créativité et d’efficacité qui se révèlent en ce moment. Et beaucoup espèrent que cela perdure. Mais ce n’est pas magique. Ce potentiel a pu se révéler grâce à la confiance qui a été faite implicitement à ce moment-là : parce que face à l’urgence et la complexité de la situation, il n’y avait pas d’autres choix.

L’exemple du télétravail est éloquent. Le retour au travail pour tous va interpeller chaque leader : reprendre le contrôle, comme avant, ou consentir à ce chemin inconnu, qui le bouscule dans ses représentations, en mettant la confiance sincère comme principe directeur et agir ainsi déjà un nouveau modèle ? Bien sûr, il y a eu aussi des déceptions humaines. Tout le monde n’est pas taillé pour le combat de même que tout le monde n’est pas taillé pour la routine. Les crises révèlent les reliefs : les forces comme les parts obscures. Nous en avons sans doute fait l’expérience à titre personnel et dans nos relations durant ce confinement. Les organisations se sont aussi révélées de façon brute et les personnes qui les constituent aussi. Mais comme dans le monde du Vivant, c’est la biodiversité de nos organisations qui constitue leur force et leur résistance aux épreuves .

Oser la confiance en ce qui va émerger

L’illusion que nous pouvions encore prévoir l’avenir est perdue. Laisser l’organisation, l’entreprise être ensemencée par le nouveau contexte et, peut-être, accepter de faire évoluer la raison d’être, comme un maître d’aïkido qui danse avec l’énergie de son adversaire … Cela va demander une grande lucidité sur le réel - il ne s’agit pas de rentrer dans un optimisme béat dénué de responsabilité -, car des décisions seront à prendre. Encore plus qu’avant, l’écoute fine de l’environnement, la vigilance à rester centré sur la raison d’être de l’organisation, la mise à distance des biais de décision, la capacité à discerner clairement seront des talents essentiels. Le champ des possibles est vaste. Mais pour cela, nos cerveaux ont besoin de repos, de calme : un cerveau fatigué emprunte les routes connues par souci d’économie d’énergie … D’où l’importance de la confiance dans les capacités des autres à faire face : cela nous permet alors, sereinement, de prendre la distance, le repos, l’oxygène qui faciliteront la clairvoyance et nous permettront de ne pas être guidé par notre reptilien. (Cf interview de Philippe Damier, professeur de neurologie au CHU de Nantes, dans Cerveau et Psycho, n°101). 

Oser la confiance en nous-même

Personne n’avait vraiment prévu ce qui arrive aujourd’hui (les risques de pandémie étaient identifiés ; leurs répercussions actuelles sur le monde, pas vraiment). Tous ceux qui ont vécu des épreuves, même les plus difficiles, savent que tout passe. Pour autant que le désir soit là. Cela demande à la fois de connaître sa force, et de consentir à sa vulnérabilité. Bob Marley le dit : « vous ne savez jamais à quel point vous êtes fort, jusqu’à ce que votre seul choix soit la force. » Là aussi la crise révèle les potentialités enfouies. Quant aux vulnérabilités, les zones d’ombre, elles font en général peur : elles pourraient prendre toute la place et ce n’est pas le moment ! C’est précisément en les niant, en les ignorant qu’elles risquent d’envahir. Les connaître, les admettre permet de mettre en place les ressources pour y faire face et y puiser de nouvelles forces. Le témoignage de Michel Onfray sur les deuils est une illustration bouleversante de cette approche. C’est donc à un travail de lucidité sur nous-mêmes que nous sommes appelés encore davantage face aux enjeux. Soutenir ses forces, en prenant particulièrement soin d’elles, qu’elles soient intérieures ou extérieures (famille, amis, réseaux, partenaires). Prendre au sérieux ses besoins d’aide et oser demander : les agréables surprises sont nombreuses en constatant l’abondance des ressources invisibles. Comme Frodon , nous n’avons pas demandé ce qui arrive et pensions peut-être maîtriser la trajectoire de notre vie. Notre liberté réside dans notre façon de répondre aux événements. Et oser la confiance en soi, maintenant, c’est se donner le courage d’avancer, les yeux grands ouverts, dans l’inconnu immense qui s’ouvre.

La dynamo de la confiance 

Ces trois mouvements de confiance envers soi-même, les autres et en ce qui va émerger, se conjuguent ensemble pour offrir une nouvelle voie. Une voie qui commence par le cœur : le regard que nous décidons de porter sur la vie. C’est là toute sa simplicité et sa difficulté : ni solution organisationnelle, ni nouveau dogme managérial, ni choix politique, elle renvoie davantage à une philosophie ou une éthique personnelle, qui appartient à chacun et qui se traduira dans les actes : les choix stratégiques, les comportements du quotidien, les modes de fonctionnement collectifs, les organisations éventuelles, si nécessaire. Elle demande cohérence, constance, courage et lien collectif. Je ne sais pas en effet si « ensemble on va plus loin » : ce que je crois, c’est que l’on avance de façon plus solide et plus légère, avec un regard à la fois plus large, plus profond, plus aiguisé. Chacun peut trouver au sein de cet « ensemble » le miroir qui aide à gagner confiance, à grandir, à rester fidèle à son essentiel, à identifier ses zones d’ombre pour gagner en conscience, énergie et capacité d’action. Pour autant que ce collectif, cette équipe apprenne à vivre une parole partagée en vérité, lucide, sans armure qui enferme, ni débordement qui envahit. Pour autant qu’elle ose, avec une fraîche audace, incarner « Les vertus communes » , ces vertus universelles qui nous relient dans notre humanité (« Les vertus communes », de Carlo Ossola, éd « Les Belles Lettres. »). La confiance est comme une dynamo : sa lumière rayonne proportionnellement au mouvement qui l’induit. Elle est à la fois processus et résultat. Et elle a besoin que quelqu’un décide de la mettre en route. Tout le reste n’est qu’outils, méthodes, options d’organisations qui apparaîtront sur le chemin au fil de la maturation individuelle et collective : des procédures perdront leur sens, des modes de fonctionnement nouveaux apparaîtront, des réunions retrouveront efficacité et légèreté. Cela peut demander du temps pour que la charpente s’adapte en profondeur et accepter ce temps, c’est s’inscrire dans le réel des dynamiques naturelles des organisations. Mais dans le fond, ce qui est essentiel, c’est la terre commune dans laquelle elle va se dresser.

C’est au soin de cette terre que chacun est appelé. Choisir la confiance comme terreau d’une organisation, quelle qu’elle soit, oser se laisser être transformé, apprendre à se dire et à écouter, créer des liens humains dénués d’enjeux personnels, c’est un chemin à la portée de chacun et une rupture de trajectoire comme celle que nous vivons collectivement est une occasion à saisir pour le décider. En tant que leader, ou manager, ou porteur de projet, quel que soit votre champ d’action, vous pouvez en être la source . Aucune situation difficile, aucun projet complexe ne résiste à l’énergie de relations professionnelles basées sur la confiance. Toute l’énergie habituellement mise à se protéger, à contrôler, à manipuler, est rendue disponible et fluide pour la création et la performance collective et chacun peut assumer sereinement et dignement ses responsabilités. Alors je rêve que la situation actuelle inspire à chacun le désir de cet « autrement » dont la clef est à l’intérieur de lui-même. Et je rêve qu’un jour, la définition du salariat ne soit plus une relation de subordination, mais une relation de coopération. Cela marquerait la touche ultime de la transformation de nos rapports humains dans les organisations.

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