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« Mandat ad hoc et conciliation ne font pas partie du langage du chef d’entreprise »

Écosystème
mardi 15 décembre 2020

Me Olivier Bouru - photo DR

Mises en place depuis le début de la crise sanitaire pour soutenir les entreprises face à la crise, les consultations gratuites proposées par les avocats du barreau de Bordeaux n'ont rencontré qu'un succès limité, alors que certaines mesures préventives permettent de prévenir des difficultés plus sérieuses. Pour Me Olivier Bouru, avocat spécialisé en droit commercial, des affaires et de la concurrence, le phénomène illustre la nécessité de sensibiliser les chefs d'entreprise aux vertus de l'anticipation.

Le barreau de Bordeaux a ouvert pendant le deuxième confinement un guichet pour une consultation gratuite ouverte aux chefs d’entreprise, quel est le sens de cette initiative ?
Les difficultés des entreprises liées à la crise s’inscrivent juridiquement dans le livre VI du code de commerce, ce qu’on appelle communément la loi de sauvegarde. On pouvait penser qu’il y allait y avoir une vague de ce qu’on appelle, un peu à tort, faillite, au regard de la situation économique et sanitaire. Pour traiter ces difficultés, il faut gérer la situation de l’entreprise à la fois d’un point de vue juridique et comptable. C’est dans cet esprit qu’ont été mises en place ces consultations gratuites, de façon à ce que les chefs d’entreprise puissent prendre contact avec le barreau de Bordeaux pour obtenir des conseils, qu’ils soient artisans, commerçants ou structures associatives. il suffit de prendre rendez-vous en envoyant un mail à l'adresse ida.barreaudebordeaux@gmail.com. 

La démarche a-t-elle été suivie ?
Force est de constater que plusieurs mois après la mise en place du dispositif, nous avons été très peu contactés. Il y a une forme d’anesthésie qui fait que les chefs d’entreprise ont encore du mal à appréhender leurs difficultés économiques et à en parler. Pour l’instant, les entreprises vivent sur une trésorerie artificielle qui résulte des reports de charge, des PGE, etc. Le problème, c’est qu’il y a un décalage important entre cette trésorerie et la situation économique réelle. La France est sans doute le pays d’Europe dans lequel les aides publiques ont été les plus importantes, mais elles retardent le mur de trésorerie qui risque d’être rencontré dans les prochains mois.

L’idée, c’est d’anticiper

Comment éviter ces difficultés ?
L’idée, c’est d’anticiper. Mais pour anticiper, il faudrait que le chef d’entreprise soit capable de parler de ses difficultés, or culturellement c’est difficile et c’est finalement le contraire qui se passe. On va trop souvent voir les hommes de loi et les hommes de chiffre quand il est trop tard. Si vous voulez une comparaison, il vaut mieux aller consulter un dermatologue quand on a une rougeur suspecte, sans attendre qu’un lymphome se soit déclaré. Les derniers chiffres indiquent qu’il y a une baisse de 38% des défaillances d’entreprise par rapport à l’an dernier. Il y a donc moins de procédures, en partie parce que les créanciers institutionnels, l’Urssaf ou les banques ont cessé de saisir les tribunaux. Mais une partie de ces entreprises vivent sous perfusion d’une trésorerie artificielle, qui ne correspond pas à la valeur créée pendant la période.

Vous craignez l’apparition de ce qu’on appelle les entreprises zombies ?
Ça commence, on voit d’ailleurs dans la presse des analyses sur le phénomène, mais c’est assez récent. Depuis le premier confinement, on annonce des vagues de faillites qui finalement n’ont pas eu lieu. Aujourd’hui, on parle du printemps prochain, mais plusieurs banques ont annoncé le report de l’exigibilité du PGE. On entend donc maintenant des gens parler du mois de juin, suite à l’approbation des comptes déposés en décembre. Il y aura fatalement des entreprises qui vont se retrouver à court de trésorerie et donc dans l’obligation de ce qu’on appelle couramment déposer le bilan.

A quel moment faut-il s’alarmer ou consulter ?
Les délais dépendent de la nature des difficultés rencontrées, de la taille et du secteur d’activité, mais une entreprise devrait vivre avec des prévisionnels de trésorerie actualisés tous les quinze jours, et consulter au moins trois ou quatre mois avant le mur, c’est-à-dire le défaut de paiement.

Quelles sont les mesures préventives possibles ?
Le mandat ad hoc et la conciliation sont des mesures parfaitement confidentielles, très souples, qui permettent de traiter les difficultés avec un nombre limité de partenaires de type banques, principaux fournisseurs, Urssaf ou trésor public, le tout sous la protection du tribunal, avec la désignation d’un professionnel dont c’est le métier de mener la conciliation et trouver des accords. Le plus souvent, il s’agit de travailler l’étalement de passifs ou d’obtenir des différés, voire des remises de paiement. Ça peut aussi être l’occasion de renégocier des contrats avec des fournisseurs, ou d’actualiser les conditions d’un bail commercial. Ces mesures restent placées sous l’autorité judiciaire, avec un conciliateur désigné par le tribunal, mais elles sont ordonnées avant que l’entreprise soit vraiment malade, au moment où elle présente des symptômes, c’est-à-dire des facteurs de risque qui laissent penser qu’elle va rencontrer des difficultés à une échéance relativement brève.

Mandat ad hoc et conciliation ne font pas partie du langage du chef d’entreprise

La prévention est-elle efficace ?
Les difficultés sont beaucoup mieux traitées quand on anticipe. Le taux de réussite de ces mesures est beaucoup plus élevé que celui des mesures curatives de type sauvegarde ou redressement judiciaire. Et pourtant, elles demeurent largement minoritaires, tout simplement parce que mandat ad hoc et conciliation ne font pas partie du langage du chef d’entreprise.

S’agit-il d’une simple méconnaissance ?
Il y a la méconnaissance, et le frein psychologique associé au fait de s’adresser à la justice, chose que l’on ne fait jamais naturellement en France. Le président de la République parlait de faillite dans ses discours, or le mot a un côté infamant, en plus de ne pas correspondre exactement à ce qu’il désigne. La faillite, c’est une sanction civile contre un dirigeant, il doit y en avoir une centaine par an alors qu’on enregistre 60 000 redressements et liquidations. Il y a donc tout un travail pédagogique à mener, non seulement dans les syndicats patronaux et chez les acteurs de l’environnement économique, mais même sans doute plus tôt, dès les écoles de commerce qui forment les futurs chefs d’entreprise. Il faut développer une culture de l’anticipation, d’acceptation de la difficulté et de capacité à en parler.

Quel est le coût de ces mesures préventives ?
Le coût est très variable, puisqu’il dépend de la nature des difficultés rencontrées, du nombre de créanciers avec lesquels il faut négocier et bien sûr du temps passé. Mais à périmètre égal, elles coûtent beaucoup moins cher qu’un redressement ou une sauvegarde. Elles durent également moins longtemps, sans oublier qu’elles ne sont soumises à aucune publicité. Consulter un expert-comptable ou un avocat ne veut pas forcément dire que ces mesures seront prescrites, mais mieux vaut prendre du recul sur la situation avant qu’elle ne soit devenue trop compliquée.

Quelle est la situation du côté des avocats ?
La profession a beaucoup souffert de la baisse d’activité liée d’abord aux grèves liées à la réforme des retraites, puis du quasi-arrêt du service public de la justice pendant le confinement. Le barreau français souffre comme beaucoup d’entreprises de difficultés qui sont d’autant plus importantes que la profession a grossi de façon exponentielle ces dernières années. Aujourd’hui, une part substantielle des avocats, de l’ordre de 20 à 25%, enregistre des revenus inférieurs à 2000 euros par mois, avec des semaines qui sont loin de faire 35 heures. Une partie du barreau est donc en grande difficulté. Les avocats ne font d’ailleurs pas exception à la règle. Eux aussi ont souvent du mal à accepter leurs difficultés, en parler et se faire conseiller.