Placéco Gironde, le média qui fait rayonner l’écosystème

Votre édition locale

Découvrez toute l’actualité autour de chez vous

Biotech (4/4) :« En France, il y a un syndrome du chercheur pauvre »

Écosystème
jeudi 19 mai 2022

Kévin Alessandri, cofondateur de Treefrog Therapeutics et actuel CTO. Crédits : Treefrog Therapeutics

Spécialiste des thérapies cellulaires, Treefrog Therapeutics fait partie de ces sociétés innovantes dont la réussite est citée en exemple. La biotech girondine, « future licorne » pour beaucoup, a levé 64 millions d’euros en septembre 2021 pour accélérer son développement. Et s’implante, en 2022, outre-Atlantique. Pour Placéco, son cofondateur et CTO Kévin Alessandri revient sur le parcours de la société, et les freins rencontrés.

Comment s’est déroulée la transition, entre le laboratoire et la création de Treefrog Therapeutics ?
C’était assez particulier, car on est passé d’une activité de laboratoire académique, où on est impliqué dans de la recherche fondamentale, où on écrit des articles de science et où on a des moyens faibles ; à ce qu’on fait maintenant c’est-à-dire une activité à très haute énergie, avec beaucoup de gens et d’argent. La transition n’est pas très simple mais on a bien pris le virage, et aujourd’hui encore on est dirigeants de la société, ce qui est plutôt rare à cette taille-là. Je pense que c’est lié au soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine, de Bpifrance, à l’incubation avec Unitec et à la maturation avec la SATT Aquitaine Science Transfert. Ces soutiens nous ont vraiment permis de garder une certaine indépendance, tout en nous cornaquant pour apprendre à réaliser des business plans, à boucler des levées de fonds… Ce qu’on a plutôt bien réussi à faire, je pense.

Dans votre secteur d’activité, on entend souvent qu’une startup va se développer jusqu’à un certain point, avant d’être rachetée si elle n’a pas les leviers suffisants…
C’est souvent le cas. Il y a aussi un problème de moment, car quand on arrive avec une technologie de rupture – quelque chose qui n’est pas dans les mœurs de la société – on a beau être très fort et intelligent, parfois on n’arrive pas à convaincre qu’un besoin émerge et qu’on est là pour y répondre. Nous, nous avions compris le besoin en thérapie cellulaire, d’avoir des moyens de production qui puissent monter à l’échelle, de qualité et avec une manière de délivrer le médicament – des cellules vivantes – qui est différent de ce qui se faisait avant. Pour autant, bien le comprendre et bien le faire n’est pas suffisant. Il faut aussi avoir la chance d’être là au bon moment.

« Un problème de valorisation » de la recherche

Pensez-vous qu’il y a, en France, un manque de soutien de la recherche ?
Clairement, la recherche n’est ni assez soutenue, ni assez financée, il n’y a pas de doute. Même si c’est international et que ce n’est pas la grande forme pour les laboratoires académiques ; en France, il y a un syndrome du chercheur pauvre. Les ingénieurs, chez Treefrog Therapeutics, sont mieux payés que les chercheurs à bac+10 qui dirigent un laboratoire. C’est un problème de valorisation, de place dans la société. Je pense qu’il y a un manque global de vision, de ce que peut apporter la recherche fondamentale. Pour nous, par exemple, ça n’a pas été facile. Quand on est sorti du laboratoire, on a été challengé, on a eu une forte opposition sur les choix que l’on faisait, forcément. C’est difficile à comprendre pour les financeurs, mais faire une étude de marché sur une innovation de rupture et sur un marché qui n’existe pas encore, ça ne sert à rien. Du côté des laboratoires, ce mouvement économique est également peu compréhensible. D’un seul coup, on va avoir une centaine de personnes qui vont travailler sur un sujet tandis qu’avant il n’y en avait que deux… Ce changement d’échelle, la puissance économique qui arrive, c’est assez impressionnant.

Vous avez bouclé en septembre 2021, un tour de table de 64 millions d’euros. Pourquoi choisir ce levier financier, quand d’autres acteurs healthtech comme Aelis Farma privilégient l’introduction en bourse ?
La situation d’Aelis Farma est très différente. Déjà, c’est une entreprise qui nous a précédé, ils ont quand même pavé la voie des healthtech en Aquitaine. Ils développent une nouvelle catégorie de médicaments, et ce n’est pas une structure très grosse en termes de salariés. Nous, nous sommes encore relativement loin du produit, et nous avons des besoins de financement très, très élevés sur la thérapie cellulaire. Dans notre domaine, les sociétés lèvent régulièrement plusieurs centaines de millions d’euros, c’est une industrie qui consomme énormément d’argent. Le niveau de financement qu’on peut obtenir en Europe lors d’une IPO, comparé aux Etats-Unis, n’est pas du tout le même. C’est une question qu’on se pose souvent – comment faire pour lever 400 millions d’euros en Europe ? Qui peut nous suivre ? Outre-Atlantique, des sommes comme celles-là sont monnaie courante. Même dans notre domaine des thérapies cellulaires, il y en a des dizaines par an, alors qu’il n’y en a eu aucune en Europe l’année dernière. Pour autant, on perçoit une évolution dans l’environnement de financement des biotech, une prise de conscience qu’on développe un outil à moyen ou long terme et non à court terme. Il faut le noter, le milieu des investisseurs est beaucoup plus éduqué qu’il y a une dizaine d’années.

Dans la même série

Santé et innovation