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Jean-François Clédel, président CCI Nouvelle-Aquitaine: "Il ne faut pas surréagir et croire que tout va changer"

Écosystème
jeudi 04 juin 2020

Jean-François Clédel, président CCI Nouvelle-Aquitaine. Il est le président du Groupe Ingeliance et associé Placéco.

Pour Jean-François Clédel, président de la CCI Nouvelle-Aquitaine, le déconfinement se passe plutôt bien même si l’ouverture très relative des écoles pose problème. Il considère que cette crise ne va pas bouleverser la donne mais accélérer certaines tendances.

Comment les entrepreneurs néo-aquitains ont-ils réagi à cette crise ?

Nous faisons face à une crise particulièrement brutale. Dans un premier temps, tout le monde a traversé une phase de sidération. Presque de l’incrédulité face à la situation. Beaucoup de chefs d’entreprise ont fermé leur entreprise, compte tenu des dispositifs de soutien mis en place par le gouvernement. Puis dans un 2e temps, il y a eu une prise de conscience sur la nécessité de reprendre le travail, tout en assurant les mesures de sécurité nécessaire.

Comment va le moral des patrons néo-aquitains ?

Les CCI ont réalisé plusieurs enquêtes pour mesurer le moral des chefs d’entreprise. 7% répondent « j’arrête, je ne reprendrai pas ». C’est un taux très élevé mais qu’il faut sans doute pondérer. Peut-être les plus pessimistes ont-ils été les plus prompts à répondre aux enquêtes. La plupart des chefs d’entreprise font le constat qu’ils vont perdre de l’argent cette année. Il y a un côté fataliste : tout le monde va perdre de l’argent et cela rend la chose plus facilement acceptable. Enfin il y a une partie des chefs d’entreprise qui ne bénéficient pas de soutiens suffisants pour faire face à la situation. Cafés, restaurants, tourisme, spectacle… sont particulièrement touchés et font ou ont fait l’objet de fermetures administratives. Les restaurants se sont organisés, notamment grâce à la vente à emporter. Mais pour les petits établissements et les acteurs du tourisme la situation est très difficile. Ils ne savent pas s’ils auront la capacité financière pour tenir jusqu’à à la reprise. Enfin, la situation est très difficile pour les indépendants, dont certains emploient plus de 10 salariés, et qui ne sont pas très bien ciblés par les aides gouvernementales.

Ils ont à l’écart de tout et cela rend leur situation très inquiétante. Quel soutien apporter aux plus fragiles ?

En accord avec le conseil régional Nouvelle-Aquitaine, les CCI mènent une action pour identifier les chefs d’entreprise en situation de grande détresse et prêts à commettre un acte irréparable. Nous les orientons vers l’Apesa, une structure qui sait écouter, conseiller et orienter les chefs d’entreprise en situation de grande détresse.

Comment s’organise le déconfinement ?

Je trouve que cela se déroule plutôt bien. Les entreprises s’étaient préparées. Je suis surpris de voir comment les restaurateurs, par exemple, font preuve d’adaptation. Chefs d’entreprise et salariés ont été très actifs pour permettre le maintien de l’activité dans le respect des gestes barrières. Et il y a désormais tous les masques « grand public » nécessaires. Les secteurs de l’agroalimentaire, de la chimie, des carrières et du bois sont toutefois en manque de masques FFP2 et FFP3, indispensables aux salariés. Le problème qui reste le plus sensible est la garde des enfants. De nombreux enfants ne sont pas retournés à l’école et cela freine la reprise d’activité.

Dans quel état d’esprit les chefs d’entreprise reprennent-ils l’activité ?

La plupart des entreprises reprennent sans souci de la rentabilité. Toutes les mesures nécessaires sont mises en œuvre pour que la reprise d’activité se fasse. Mais il faut aussi que toute la chaîne se remette en marche, du fournisseur jusqu’au client. Cela nécessite un retour de la confiance dans l’existence d’un besoin. Sinon, à quoi bon produire ? Et les consommateurs doivent avoir confiance dans leur restaurateur ou commerçant, par exemple, en ce qui concerne les mesures sanitaires.

Comment jugez-vous les mesures de soutien à l’économie ?

Les dispositifs mis en œuvre ont été massifs. Etat, Région, collectivités locales ont été au rendez-vous. Pour celles qui ne seraient pas éligibles aux aides, le bon réflexe est de s’adresser à sa CCI. On peut d’ailleurs saluer le travail des banques. Certaines ont délivré en l’espace d’un mois l’équivalent de 6 mois de prêts habituels.

En quoi cette crise va-t-elle changer nos habitudes ?

Cette crise aura accéléré certaines mutations, certaines prises de consciences chez les consommateurs. Néanmoins, je pense qu’il ne faut pas surréagir non plus et croire que tout va changer parce qu’il y a eu cette crise. On a très souvent entendu après des crises « plus rien ne sera jamais comme avant ». Souvenons-nous de 2009… Je ne suis pas certain que grand-chose ait changé vraiment. Les banques ont été renforcé dans leurs capitaux propres, ce qui leur a permis d’ailleurs de tenir cette fois-ci. On voit bien qu’on a su corriger certains défauts mais qu’on a pas changé du tout les comportement des personnes. De la même façon, je crois que cette crise accélérera les comportements, notamment par rapport à l’écologie. Je parle de la vraie écologie, celle qui se préoccupe du bien-être des personnes, de la santé, de la pollution, et non pas l’écologie politique. On va devoir aller vers beaucoup moins d’énergie carbonée. Cela interroge, notamment, sur le nucléaire, dont on avait décidé de réduire la part. Le secteur aérien sera-t-il pénalisé durablement ? Faut-il bannir l’avion ? Je crois que certains rêvent. La population voudra toujours voyager et les constructeurs aériens vont travailler à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Un déplacement en avion entre Bordeaux et Paris consomme à peu près 22 litres de carburant par passager. Si vous prenez votre voiture vous allez consommer beaucoup plus de 22 litres. Vous allez plutôt consommer 30 ou 40 litres que 22 litres. On voit bien qu’en fait il y aura des changements dans les comportements. Donc il faut essayer d’anticiper les évolutions des comportements des consommateurs.

Quelles sont les bonnes questions que doit se poser un chef d’entreprise pour rebondir ?

Pour rebondir, il faut que chaque entreprise conduise une réflexion stratégique, qu’elle se repose les bonnes questions. C’est aussi un moyen de remobiliser les collaborateurs. D’abord il faut croire dans la croissance, il faut quand même avoir un petit crédo, il faut avoir confiance en l’avenir. Il faut que chaque chef d’entreprise ait confiance en l’avenir. S’il a confiance en l’avenir il faut qu’il l’exprime, ce n’est qu’une période qu’il faut traverser, une mauvaise période qu’il faut traverser, qui va durer 2/3 ans. Dans 3 ans on aura effacé les effets de la crise dans tous les cas. Et partant de là, on va reconstruire une nouvelle stratégie, une nouvelle approche commerciale, de nouveaux modes de fonctionnement, de nouveaux modes d’organisation pour retrouver da la rentabilité, pour nous repositionner durablement…

Quels changements attendre en Nouvelle-Aquitaine ?

Nous allons assister à de nouvelles prises de positions en matière de reconquête de souveraineté régionale ou nationale, et de résilience des entreprises. Trop d’entreprises ont été vulnérabilisées du fait de leur dépendance à des fournisseurs qui étaient lointains. J’espère que cette crise-là servira de leçon en la matière pour que l’on relocalise une partie des productions dans notre pays ou en tout cas en proximité. Pour les masques je crois que la leçon a été retenue. Certes, on continuera de s’approvisionner en Chine mais on aura nos propres capacités de production sur notre territoire y compris sur notre territoire régional. Mais c’est vrai aussi pour l’automobile, pour l’aéronautique, pour tous les secteurs qui jusqu’à maintenant avaient l’habitude, un peu trop, de délocaliser et qui peut-être, je l’espère, penseront davantage à leurs sous-traitants de proximité plutôt que de chercher tout de suite des sous-traitants très éloignés.

Quels enseignements tirez-vous de cette crise ?

Nous vivons dans une époque qui est soumise à l’immédiateté de la communication et de l’information. Cela entraine tout le monde à sur-réagir. On constate aussi que nos populations ne sont pas prêtes à accepter la mort. Nous sommes tous mortels, c’est une banalité de le dire, et pourtant les gens ne l’acceptent pas. Mais c’est cette crainte de la mort qui est à l’origine de la crise économique. Ce n’est pas la crise sanitaire. C’est notre refus de la mort qui a entrainé la crise économique. En 1958, il y a eu une crise sanitaire d’ampleur bien plus importante. C’était la grippe asiatique qui a fait plus de 100.000 morts sur une population de 40 millions d’habitants. C’est comme si nous avions entre 150.000 et 200.000 morts aujourd’hui du fait du Covid. Or, nous serons aux alentours de 30.000 morts. Tout le monde dit : 30.000 morts, c’est trop. C’est vrai que c’est beaucoup, mail il faut le rapporter au nombre de décès annuels. Nous avons 600.000 décès tous les ans en France. Le Covid, c’est donc 5% de nos décès annuels. C’est beaucoup trop dès lors que l’on peut l’éviter mais il faut savoir relativiser les choses.